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Bangladesh: une mosquée bâtie par des "hijras" ou le droit de prier pour le troisième genre

 
 

Des "hijras", communauté transgenre interdite de prendre part aux prières dans les mosquées du Bangladesh, ont fini par bâtir la leur, la première destinée au troisième genre dans ce pays à majorité musulmane.

Ce bâtiment modeste, en tôle et de plain-pied, offre de l'espoir aux hijras, minorité présente dans toute l'Asie du Sud, dont le nombre est estimé à environ 1,5 million dans ce pays de plus de 170 millions d'habitants.

"Désormais, personne ne peut interdire au troisième genre hijra de venir prier dans notre mosquée", lance dans l'édifice bondé Joyita Tonu, cheffe d'une congrégation de hijras.

"Personne ne peut se moquer de nous", déclare à l'AFP Tonu, 28 ans, visiblement émue sous son foulard blanc.

La mosquée Dakshin Char Kalibari a été construite près de Mymensingh, à 100 kilomètres au nord de la capitale Dacca, sur les rives du fleuve Brahmapoutre, sur un terrain cédé aux hijras par le gouvernement après leur expulsion d'une mosquée locale.

"Je n'espérais plus pouvoir prier dans une mosquée au cours de ma vie", déclare Sonia, âgée de 42 ans, au bord des larmes.

- Interdite d'inhumation -

Enfant, Sonia adorait réciter le Coran, écritures sacrées de l'Islam qu'elle étudiait au séminaire. Mais en devenant hijra à l'adolescence, l'accès à la mosquée lui a été interdit.

"Les gens nous disaient : +Que venez-vous faire, les hijras, dans les mosquées ? Priez chez vous. Ne venez plus dans les mosquées+", raconte-t-elle, "C'était si humiliant pour nous que nous n'y sommes plus allées".

"Nous avons la nôtre désormais. Personne ne peut s'y opposer", ajoute-t-elle.

Des dizaines de hijras ont contribué en temps et financièrement à la construction de la mosquée inaugurée début mars.

Un cimetière y a aussi été adossé, après l'interdiction de l'inhumation d'une jeune hijra dans un cimetière des environs l'an dernier, explique Tonu.

"C'est la première mosquée du pays dédiée aux hijras, au troisième genre", se félicite le mufti Abdur Rahman Azad, dont l'association caritative Dawatul Coran gère de nombreux séminaires coraniques pour hijras.

Selon lui, des hijras d'un district frontalier du nord avaient "tenté de bâtir une mosquée" en février, mais "des musulmans du coin les ont arrêtées".

La communauté LGBTQ reste l'objet de discriminations massives dans le pays, de la part de la société bangladaise et au regard de la loi qui pénalise l'homosexualité - passible d'emprisonnement à vie - depuis l'époque coloniale.

Mais les hijras bénéficient d'une reconnaissance juridique grandissante au Bangladesh.

Depuis 2013, elles ont le droit de voter en tant que telles, officiellement enregistrées sous le statut "troisième genre".

Certaines sont entrées en politique au niveau national, et en 2021 l'une d'elles a été élue maire d'une ville rurale, pour la première fois dans le pays.

Un projet de loi propose également de permettre aux hijras d'hériter, et le gouvernement a cédé des logements à des centaines d'entre elles, dans le cadre d'une campagne de réparation des injustices subies.

Mais des islamistes radicaux stigmatisent, dans des manuels scolaires nationaux, ce début de reconnaissance. Des milliers de personnes ont manifesté contre ces ouvrages en janvier, appelant les autorités à exiger leur révision.

- "Tous des êtres humains" -

L'imam d'une mosquée, Abdul Motaleb, âgé de 65 ans, condamne ceux qui fustigent les hijras.

"Elles sont comme tous les êtres créés par Allah", argue le religieux à barbe blanche.

"Nous sommes tous des êtres humains. Certains sont des hommes, d'autres des femmes, mais tous sont des êtres humains. Allah a révélé le Saint Coran à tous, ainsi chacun a le droit de prier, personne ne peut être banni".

Selon l'imam, nombre de Bangladais pourraient apprendre de la foi et de la force des hijras.

"Depuis que je viens dans leur mosquée, je suis impressionné par leur caractère et leurs actes", affirme-t-il. "Elles sont meilleures que nous."

Leur mosquée érode déjà les préjugés. Tofazzal Hossain, riverain de 53 ans, a dédié ses prières du vendredi à la mosquée du troisième genre pour la deuxième semaine d'affilée.

Il assure que vivre et prier aux côtés des hijras a eu raison de sa "conception faussée".

"Quand elles ont commencé à vivre avec nous, beaucoup ont affirmé un tas de choses", rappelle-t-il, "mais nous avons réalisé que leurs propos n'étaient pas justes, leur vie est aussi légitime que celle des autres musulmans".

Quant à Tonu, elle souhaite juste agrandir la mosquée, rêvant de cinq étages pour accueillir davantage de monde. "Si Dieu le veut, nous y parviendrons très bientôt", dit-elle, "pour que des centaines de personnes prient ensemble."


 

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