"Depuis que monsieur Chapo n'est plus là, il y a davantage de pauvreté": sur les terres de Joaquin Guzman, connues comme la Sicile mexicaine, les habitants vouent un culte à ce puissant narcotrafiquant jugé coupable mardi à New York.
Cette zone montagneuse fertile du nord-ouest du Mexique, où l'omerta est la règle, a vu naître de nombreux barons de la drogue, des frères Beltran Leyva à Amado Carrillo Fuentes, surnommé "Le seigneur des cieux", en passant par Ismaël "El Mayo" Zambada.
L'Etat du Sinaloa, au côté de ceux du Chihuahua et de Durango, forment une zone surnommée "le triangle d'or", territoires très disputés de culture de marihuana et de pavot, qui abritent également les routes de trafic de drogue vers les Etats-Unis.
Dans les environs de Badiraguato, chef lieu de la zone, la tension est palpable: des hommes équipés de fusils d'assaut et de talkie-walkies patrouillent dans d'imposants 4x4 blindés.
Certains arborent fièrement des vêtements ou une casquettes avec le chiffre "701", qui correspond au rang qu'occupait Joaquin Guzman sur la liste du magazine Forbes des hommes les plus riches du monde. Sa fortune était alors estimée à 1 milliard de dollars.
A l'issue d'un procès qui, pendant trois mois, a mis au jour l'extrême violence et la corruption des cartels, les 12 jurés du tribunal fédéral de Brooklyn ont jugé El Chapo, 61 ans, emprisonné depuis deux ans dans une prison fédérale de haute sécurité à New York, coupable des 10 chefs d'accusation à son encontre.
A commencer par le principal, à savoir qu'il avait co-dirigé le puissant cartel de Sinaloa, responsable de l'exportation de centaines de tonnes de cocaïne et d'autres drogues aux Etats-Unis entre 1989 et 2014.
Si les autorités américaines se félicitent de cette décision, dans son Etat natal de Sinaloa, l'ambiance est toute autre.
"Depuis que monsieur Chapo n'est plus là, il y a davantage de pauvreté et les gens doivent descendre (de la montagne) car les choses sont plus difficiles", déclare à l'AFP Jorge Valenzuela, habitant de Potrero de Bejarano, localité escarpée collée à l'Etat de Chihuahua.
"Car lui, il distribuait de l'argent aux gens, il leur donnait de quoi semer, pour qu'ils achètent des choses. Il n'y a plus personne qui fasse ça", ajoute-t-il.
- Impact sur les commerçants -
A Badiraguato, neuf habitants sur dix vivent dans des conditions de pauvreté ou d'extrême pauvreté, selon les données officielles du Coneval (Conseil national d'évaluation de la politique de développement social). De tout l'Etat, c'est la municipalité qui a le plus de problèmes sociaux et économiques.
C'est aussi celle qui compte le moins de routes goudronnées. Les chemins de terre qui grimpent vers les montagnes, sont en revanche très nombreux. L'activité minière est un des piliers de l'économie (33% du territoire est cédé à des entreprises privées), au côté de la production de marihuana et de pavot.
Ces plantes sont cultivées par des agriculteurs locaux qui en extraient de la gomme d'opium pour la vendre à des gangs criminels qui la transforment ensuite en héroïne.
En 2018, le Sinaloa a concentré la plus grande surface de marihuana détruits par l'armée en 2018, avec 43.976 hectares, soit 31% de ce qui a été éliminé dans tout le pays, indiquent les données du ministère mexicain de la Défense mexicain.
"Ici, tout le monde sait ou planter (de la marihuana), mais comme monsieur Chapo n'est plus là, les gens ne plantent presque plus, car c'est à lui qu'ils la vendaient", ajoute Jorge Valenzuela, un des rares qui accepte de parler de ce sujet.
Si l'arrestation et l'extradition aux Etats-Unis d'El Chapo a dans un premier temps affaibli le cartel de Sinaloa, et ouvert une guerre de succession, l'agence anti-drogue américaine (DEA) assurait fin 2018 que cette organisation criminelle conservait "sa domination aux États-Unis".
Le cofondateur du cartel, Ismael "El Mayo" Zambada, a imposé son leadership sur les fils d'El Chapo, réputés immatures.
L'arrestation du baron de la drogue en janvier 2016 a eu un impact sur les commerçants de Badiraguato, assurent ces derniers.
"Avant les gens entraient et sortaient. Ils emportaient dans des camions des produits dans les montagnes pour les revendre. Mais maintenant c'est très tranquille... Il se dit que les gens n'ont plus d'argent et ont du mal à joindre les deux bouts", déclare à l'AFP Jaime Laija, qui tient un petit restaurant sur la route.
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