Qu'importe la volonté de l'Etat: au lendemain d'une décision de justice ordonnant l'évacuation partielle du bidonville, la plupart des migrants de la "jungle" de Calais, les yeux rivés vers l'Angleterre, n'entendent pas quitter les lieux.
Depuis 08H30 vendredi, des maraudeurs mandatés par la préfecture font le tour des cabanes dans la zone sud, vouée à disparaître partiellement, pour proposer aux migrants une solution de mise à l'abri.
Le camp s'est levé plus tôt que d'habitude, et on les écoute poliment: "On les connaît, les solutions, mais on ne veut juste pas partir", dit ainsi Abou, 32 ans.
Dans le sillage de ces maraudeurs, quelques associatifs et des militants No Border critiquent les propositions de l'Etat. Parmi eux, la chef de mission du "centre juridique" située dans la "jungle", Marianne Humbersot.
"Nous demandons l'ouverture d'un dialogue avec les associations locales et d'une vraie réflexion, et pas simplement des discours vides de sens. Nous ne voulons pas de +jungle+, mais, nous voulons que les solutions soient humaines", proteste-t-elle, alors que le tribunal administratif de Lille a validé jeudi un arrêté préfectoral sur l'évacuation partielle de la zone sud du bidonville.
A 11H30, un bus en direction notamment du Centre d’accueil et d’orientation (CAO) de Saint-Brieuc s'ébranle. A bord: cinq migrants seulement. "Quatorze étaient prêts à partir, mais quelques activistes No Border les ont empêchés...", explique la préfecture.
- 'On ne reculera pas maintenant' -
Dans ce secteur de la jungle où vivent 800 à 1000 migrants selon la préfecture mais 3.450 selon les associations, l'option du Centre d'accueil provisoire (CAP), des conteneurs en dur capables d'abriter 1500 personnes mais où vivent déjà quelque 1200 migrants, ne fait pas plus recette.
"No center, no center, no good, no good", crie Ahmid, 33 ans, faisant référence à ce lieu d'accueil.
S'il s'y rend, Ahmid est sûr qu'il sera "fiché". Une allusion à l'empreinte de la main requise pour entrer, même si ma préfecture assure que celle-ci n'est pas conservée.
Ahmid n'y croit pas, alors il restera dehors: "C'est la vie, je vais quitter ma cabane, mais j'irai dans l'autre partie de la +jungle+, puis après j'irai ailleurs à Calais, dans un champ, un squat ou sous un pont", affirme-t-il, résigné à vivre ainsi jusqu'au jour où il rejoindra l'Angleterre.
Dans le quartier soudanais, Djamal, 26 ans, affirme aussi qu'il ne quittera pas la +jungle+. "Nous allons dormir dans une autre partie. Nous ne voulons pas nous éloigner de notre objectif, alors nous n'allons pas quitter Calais, on ne reculera pas maintenant", explique-t-il.
"Les réfugiés ont tellement l'habitude d'être chassés, que finalement, ils sont assez philosophes. Nous sommes plus scandalisés qu'eux, mais ça ne veut pas dire qu'ils sont prêts à bouger", commente Maya Konforti, bénévole à l'Auberge des migrants.
Abdullah, 27 ans, en témoigne. Il restera dans la cabane qu'il a construite avec son frère et quelques bénévoles tant qu'il n'aura pas traversé La Manche.
Certains de ses amis, dit-il, ont "abandonné l'idée de rejoindre la Grande-Bretagne". "Ils sont partis ailleurs en France et ont demandé l'asile, mais nous, nous continuons d'espérer, notre famille est là-bas, nous n’allons pas rester seuls ici", raconte-t-il dans un anglais courant qu'il explique avoir appris auprès des militaires américains en Afghanistan, lorsqu'il était dans l'armée afghane.
"Un jour on sera en Angleterre, ça viendra", lance-t-il à son petit frère. "Nous essayons tous les soirs, par la route et par la mer", conclut-il, en coupant du bois pour allumer un feu et faire chauffer du thé.
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