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En Oromia, les jeunes, assoiffés de liberté et de justice, ont peur: "Les soldats ne parlent pas notre langue. leur seul langage, c'est les armes"

En Oromia, les jeunes, assoiffés de liberté et de justice, ont peur: "Les soldats ne parlent pas notre langue. leur seul langage, c'est les armes"
 
 

Dans la région éthiopienne de l'Oromia, où des manifestations antigouvernementales sont réprimées sans merci, les jeunes contestataires confient leur soif de liberté et de justice à l'abri des regards et des pick-up surmontés de mitrailleuses qui sillonnent leurs communes.

La répression qui s'est abattue depuis novembre 2015 sur cette vaste région, située à proximité d'Addis Abeba, a plongé ses habitants dans une peur de tous les instants. Personne ici n'accepte de donner ne serait-ce que son prénom à un journaliste étranger.

Depuis la capitale, les militaires sont très présents sur la route qui s'enfonce vers l'ouest de l'Oromia. L'asphalte porte encore les stigmates des barrages érigés par les manifestants fin 2015.

C'est un plan gouvernemental d'urbanisme pour satisfaire l'expansion de la capitale qui a mis le feu aux poudres.

Ce "Master plan", finalement abandonné le 12 janvier, suscitait des craintes d'expropriation de fermiers oromo, le plus important groupe ethnique du pays.

Des manifestations largement pacifiques se sont alors multipliées, traversant toutes les couches de la société dans cette région forte de 27 millions d'habitants et dont la langue, l'oromo, est distincte de l'amharique, la langue de l'administration.

La répression a été brutale et massive: plus de 140 morts et des milliers d'arrestations, selon un bilan établi début janvier par l'organisation Human Rights Watch.

"Notre vie n'a plus de sens"

"Si vous sortez le soir, la police va vous arrêter, contrôler vos papiers, vos téléphones. Si vous avez de la musique ou des images en lien avec les manifestations, vous êtes embarqués", explique à une journaliste de l'AFP un jeune homme d'une vingtaine d'années rencontré à Ginchi, à 80 km d'Addis Abeba.

A 40 km plus à l'ouest, à Ambo, policiers et militaires quadrillent la ville. Quelques boutiques sont ouvertes mais les collèges, lycées et hôpitaux sont fermés depuis trois mois.

Dans une petite rue, trois trentenaires, employés de banque, discutent dans un recoin des manifestations qui ont éclaté en fin de semaine dernière dans la localité.

"A Ambo, il y a autant de policiers que de pavés", ironise l'un d'eux. "On a peur des soldats. Il y a eu énormément de personnes arrêtées. Depuis le début des manifestations, la tension est croissante", ajoute le deuxième.

Un peu plus loin, dans une salle de billard obscure, une dizaine d'étudiants racontent les événements de vendredi.

"L'un de nos professeurs a été arrêté et nous sommes sans nouvelles depuis. Nous avons décidé de nous rendre au ministère de l'Éducation pour obtenir des explications. La police est arrivée, a demandé ce qu'on voulait. On voulait leur expliquer mais ils ont jeté des grenades lacrymogènes", explique un étudiant.

"Puis les commandos spéciaux de l'armée sont arrivés et ont tiré à balles réelles".

Selon les étudiants, un jeune homme, Elias Arasasa, a succombé à ses blessures et sa soeur Nagasse a été blessée par balles.

"Les soldats ne parlent pas notre langue. On ne peut pas communiquer avec eux. Leur seul langage, c'est les armes (...) J'ai très peur pour les enfants, pour nos jeunes. Je n'en dors plus la nuit. Notre vie est un chaos, elle n'a plus de sens", abonde une quadragénaire, mère de deux enfants.

Marginalisation

Lundi, Human Rights Watch a publié un rapport dénonçant la répression toujours en cours dans l'Oromia.

"Des assassinats et arrestations arbitraires sont presque quotidiennement rapportés depuis le début de l'année", écrit HRW.

Au-delà du "Master plan", qui a été un "élément déclencheur", "les Oromo se sont toujours sentis marginalisés par les gouvernement successifs. Des situations similaires existent chez d'autres ethnies marginalisées dans le pays, mais les Oromo sont perçus comme une menace par le gouvernement notamment car ils sont de loin le plus large groupe ethnique", explique Felix Horne, spécialiste de la Corne de l'Afrique pour HRW.

Tadess O'Barr, un activiste basé à Addis Abeba, confirme : au-delà du projet urbanistique, les manifestations actuelles relèvent de "problématiques politiques et socioculturelles qui n'ont toujours pas été réglées", citant notamment l'accès à la terre, la corruption, la bonne gouvernance et la langue.

Pour le gouvernement, les troubles actuels sont liés à des "gangs armés qui commettent des crimes, détruisent des ponts, brûlent des églises".

"En aucun cas ils ne représentent quelque segment de la société oromo", a expliqué à l'AFP le ministre éthiopien de la communication, Getachew Reda.

Mais malgré la peur omniprésente, les jeunes rencontrés par l'AFP entendent poursuivre leur mouvement. L'un d'eux résume: "Nous n'allons pas abandonner notre droit à la liberté. Il est trop tard".


 

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