Les Libanais ont affiché encore hier soir leur détermination à ne rien céder à la classe politique, descendant par dizaines de milliers dans les rues pour le sixième jour consécutif. Une vidéo filmée au 3ème jour des manifestations fait le tour des réseaux sociaux : pour se faire pardonner d'avoir réveillé un bébé, des dizaines de manifestants lui entonnent une chanson pour enfants.
Cela s'est déroulé samedi soir. Eliane Jabbour et son bébé Robin, assis à l'arrière de la voiture, circulaient au milieu de manifestants bruyants. Ceux-ci ont réveillé Robin et la mère leur a alors demandé s'ils pouvaient se calmer un peu car l'enfant semblait un peu confus par le bruit et le nombre de personnes autour d'eux. Pour le rassurer, ils ont alors spontanément entonné en chœur une des chansons pour enfants les plus connues de YouTube : Baby Shark, en dansant autour de la voiture.
Une scène filmée par Eliane. Si l'enfant n'a pas l'air d'apprécier plus que ça ou même de comprendre ce qu'il se passe, il apprécie après coup. "Il commence maintenant à rire dès qu'il regarde la vidéo", explique-t-elle à Reuters.
La chanson a près de 70 millions de vues sur YouTube. Si elle vous est inconnue, la voici :
Les manifestants ne décolèrent pas
Hier soir, les manifestants ont à nouveau envahi les rues de Beyrouth et de nombreuses autres villes du pays. Les lueurs de milliers de téléphones portables et une forêt de drapeaux libanais ont salué l'apparition de slogans prouvant une volonté intacte de poursuivre la lutte: "Révolution jusqu'à la victoire!", "Manifestations, manifestations jusqu'à la chute du régime!".
Dans les rues de Beyrouth, un groupe de jeunes juchés sur une voiture a appelé en chantant à la "désobéissance civile". "Ils croient que ce sera terminé demain, mais demain nous serons toujours là", a annoncé sous les vivats un jeune homme qui s'était emparé du micro sur l'estrade installée place des Martyrs, au coeur de la capitale.
Un rassemblement s'est aussi formé devant le siège de la Banque centrale. "Nous ne paierons pas les taxes. Que les banques les payent!", ont scandé les manifestants. Les banques, les écoles et les universités sont restées fermées, et elles le seront à nouveau ce mercredi.
Ils ne croient pas aux promesses d'Hariri
Le scepticisme de la foule, mêlé de colère, s'était fait sentir dès l'annonce lundi soir par Saad Hariri de son plan qui se voulait pourtant décisif : mesures contre la corruption, budget sans nouveaux impôts, programme de privatisations pour lutter contre la gabegie des services publics, aides en faveur des plus défavorisés...
Son discours à peine terminé, les slogans-phares de la contestation ont retenti de plus belle, notamment celui réclamant le départ immédiat de l'ensemble de la classe politique: "Tous, cela veut dire tous!".
Venu de la banlieue sud chiite, fief du puissant mouvement Hezbollah, Hussein al-Aliya était mardi plus déterminé que jamais. Pour ce chauffeur de bus de 35 ans, "les députés et les ministres sont tous des voleurs" et le plan de sauvetage du gouvernement n'est que de la poudre aux yeux. "Pourquoi ne l'ont-ils pas fait depuis 30 ans?", a-t-il demandé en réclamant un gouvernement et un parlement totalement "composés de jeunes, femmes et hommes".
Peu d'améliorations depuis 30 ans
Depuis la fin de la guerre civile en 1990, les infrastructures du pays sont restées en déliquescence et les Libanais font toujours face à des coupures quotidiennes d'eau et d'électricité.
Selon le chercheur en sciences politiques Karim el-Mufti, il aurait fallu des "mesures beaucoup plus radicales", au-delà d'annonces économiques d'urgence, pour convaincre les Libanais qui réclament une refonte en profondeur du système.
Heiko Wimmen, analyste à l'International Crisis group, est du même avis: "il s'agit de mesures techniques qui peuvent améliorer la situation budgétaire du pays mais ne sont pas à la hauteur du défi posé par les manifestants".
Déclenché par une taxe sur WhatsApp
Déclenché par l'annonce le 17 octobre d'une nouvelle taxe sur les appels effectués via la messagerie WhatsApp, le mouvement de colère a pris la classe politique de court. L'annulation rapide de la mesure n'a pas empêché la colère de prendre de l'ampleur.
Fait aussi rare que marquant, la mobilisation a gagné l'ensemble du pays et un tabou a été brisé dans les fiefs chiites du Hezbollah pro-iranien, où même son leader Hassan Nasrallah a été pris à partie par la foule.
L'issue du mouvement semble plus incertaine que jamais. Pour Karim el-Mufti, "un bras de fer" s'est engagé entre la rue et le pouvoir. "L'opinion publique s'est invitée à la table des grands et a bien l'intention d'y rester", estime-t-il.
M. Hariri a entamé de son côté une série de consultations avec des ambassadeurs à Beyrouth pour leur présenter son plan de réformes en espérant, selon un de ses conseillers, "des réactions très positives".
Faute des réformes structurelles promises, le Liban est toujours dans l'attente du versement d'une aide de 11 milliards de dollars promise en avril dernier par des pays donateurs.
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