Des alliés lâchés, des jihadistes dans la nature, un régime de Damas qui regagne du terrain et des adversaires, Iran et Russie, prêts à renforcer leur influence: les décisions de Donald Trump en Syrie piétinent tous les objectifs traditionnels des Etats-Unis.
"Nous sommes face à une situation qui était prévisible depuis près d'un an, mais qui est gérée de telle manière que toutes les pires conséquences qui étaient à craindre deviennent réalité", constate Robert Malley, président de l'organisation International Crisis Group.
Après une semaine d'annonces contradictoires, tous les militaires américains déployés dans le nord de la Syrie, soit un millier de soldats, sont finalement en train de quitter le pays.
Le tournant remonte en fait à décembre 2018.
Le président des Etats-Unis, qui a promis de se désengager des conflits au Moyen-Orient, bat alors le rappel de toutes ses troupes stationnées en Syrie.
Mais Donald Trump se retrouve rapidement dans une situation étonnante: "Alors que le président pense prendre une décision, son équipe résiste, ignore son choix voire va à son encontre", explique à l'AFP Rob Malley.
Les diplomates et militaires américains se relayent alors auprès des alliés de Washington, et notamment des forces kurdes qui ont mené le combat antijihadistes, pour leur assurer que l'impétueux milliardaire ne pensait pas vraiment ce qu'il disait.
Sur le moment, ses conseillers parviennent à le convaincre de faire marche arrière, au nom de ce qu'ils considèrent être les intérêts américains: la lutte contre le groupe Etat islamique (EI), dont le "califat" a été rayé de la carte mais qui conserve une capacité de nuisance; la protection des miliciens kurdes que la Turquie accuse de "terrorisme"; et la nécessité de contrer l'expansionnisme de l'Iran.
- "Résurgence de l'EI" -
Dix mois plus tard, le locataire de la Maison Blanche renoue toutefois avec son instinct initial et laisse le champ libre à l'offensive de son homologue turc Recep Tayyip Erdogan contre les Kurdes en Syrie.
Seulement, faute d'avoir préparé le terrain à ce retrait, c'est un sentiment de sauve-qui-peut général qui prévaut face à l'avancée des forces turques.
Avec des répercussions néfastes pour ces mêmes intérêts que Washington voulait défendre.
"Il y a bien entendu un gros risque de résurgence de l'EI et de voir de dangereux terroristes prendre la fuite", alors que leurs geôliers kurdes sont désormais accaparés par la résistance à l'attaque turque, explique Elizabeth Dent, du cercle de réflexion Middle East Institute.
Selon elle, l'administration Trump aurait "pu se montrer plus déterminée pour éviter une incursion de la Turquie". Et même sans y parvenir, "si les Etats-Unis avaient préparé un retrait plus ordonné, on aurait pu faire en sorte que ces prisonniers soient mis en sécurité".
Autre conséquence, les Kurdes n'ont pas tardé à se tourner vers Damas.
Voilà donc le président syrien Bachar al-Assad, dénoncé comme un "dictateur brutal" par les Etats-Unis qui souhaitent son départ, regagner encore un peu plus du terrain perdu depuis le début du conflit en 2011.
"Une forme d'entente entre le régime de Damas et les forces kurdes était inévitable, dès lors que Trump clamait publiquement vouloir partir", mais la débandade américaine "renforce politiquement Assad et la possibilité de revenir contrôler des zones de Syrie perdues depuis plusieurs années lui donne de quoi peser", affirme Elizabeth Dent.
- Perte de confiance -
La volonté de désengagement de Donald Trump rencontre les intérêts de toute une série d'acteurs disparates qui espéraient un départ des Américains, de la Turquie au pouvoir syrien. En passant par la Russie et l'Iran, parrains de Damas, qui voient leur assise confortée.
L'US Army conserve certes, dans l'immédiat, 150 hommes sur la base d'Al-Tanf, dans le sud de la Syrie, souvent perçue comme stratégique pour empêcher l'Iran de boucler une sorte d'"arc chiite" vers la Méditerranée.
"Ce n'est pas la présence de 100, 1.000 ni même 2.000 soldats américains qui peut faire une quelconque différence", relativise Rob Malley, pour qui "rester en Syrie" pour contrer l'Iran était "une mauvaise raison et un objectif illusoire".
Pour autant, le départ précipité peut renforcer le malaise de certains alliés des Etats-Unis, à commencer par l'Arabie saoudite dont l'Iran est le principal ennemi. Ironie du calendrier, c'est le président russe Vladimir Poutine qui reçoit lundi un accueil royal à Ryad.
"La cote du président Trump s'effondre au Moyen-Orient tandis que celle du président Poutine s'envole", résume, un peu provocateur, Joshua Landis, spécialiste de la Syrie à l'université de l'Oklahoma. "Plus personne ne fait confiance au président Trump, tout le monde sent qu'il va finir par retirer l'Amérique du Moyen-Orient."
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