Les néons clignotent comme à Las Vegas et les danseurs virevoltent autour du marié paré de guirlandes. La saison des mariages a commencé en Afghanistan, mais le gouvernement tente de limiter la frénésie de ces agapes ruineuses pour les jeunes couples. Des centaines d'invités -y compris d'inévitables pique-assiettes- investissent chaque soir les tables de ces immenses salles de mariage dans la capitale afghane.
Avant l'austérité du ramadan, dans quelques semaines, la saison nuptiale bat son plein au milieu des confettis et au son des orchestres afghans. Hommes et femmes vivent encore ces fêtes séparément. Mais le clinquant de ces mariages constitue un vif contraste avec la période des talibans (1996-2001) lorsque musique et danse étaient interdites.
"En Afghanistan vous invitez tout le village, toute la tribu, tout ceux qui vous ont déjà invité à leur mariage... et ils amènent leurs propres invités", explique Akbar Sabawoon dans le vacarme des percussions au Qasr-e-Paris (Le château de Paris), un palais de mariages tout illuminé arborant dans sa cour une énorme réplique de la tour Eiffel. "Si vous invitez 1.000 personnes, attendez-vous à en accueillir 1.500", assure le cousin de la mariée.
Une loi qui limite le nombre d'invités
Mais au parlement les députés viennent de voter une loi très controversée visant à tordre le cou à cette culture du mariage extravagant: elle limite le nombre d'invités à 500 et fixe un prix plafond aux repas servis par les traiteurs, à 400 Afghanis (7 dollars) par convive.
L'objectif de cette loi, qui doit encore être promulguée par le président Ashraf Ghani, est de soulager les hommes qui se marient et doivent traditionnellement régler une facture monumentale, depuis les dépenses de bouche jusqu'aux cadeaux qu'il faut offrir à la famille de la mariée. Plusieurs dizaines de milliers de dollars sont parfois engloutis dans les mariages, une petite fortune et un poids financier considérable pour de jeunes hommes vivant dans un pays ravagé par la guerre et la pauvreté.
Mais cette loi provoque la colère des propriétaires de salles de mariage dont la prospérité --remarquable au milieu d'une économie en berne-- pourrait ainsi être menacée. "Des parlementaires à l'esprit étroit ont choisi ce problème pour faire oublier les vrais problèmes comme la sécurité qui se dégrade", estime Hajji Ghulam Siddique, le patron d'Uranus, l'une des plus grosses salles de mariage sur la trentaine que compte Kaboul.
Une échappatoire temporaire au conflit
Ces fêtes somptueuses ne sont pas seulement un divertissement pour les Afghans, elles constituent aussi une échappatoire temporaire au conflit encore présent au quotidien dans leurs vies. "Les mariages doivent être luxueux car ce sont des événements uniques", commente Shoaib Khaksari, employé du gouvernement et l'un des invités au Qasr-e-Paris, assis devant des assiettes de poulet rôti, de riz à l'afghane mêlé de morceaux d'agneau et de beignets d'aubergines.
Selon lui, "comme c'est le cas pour beaucoup de lois afghanes, personne ne la respectera". Beaucoup d'Afghans accordent toutefois un certain mérite à la nouvelle législation.
Khusal a dépensé 25.000 euros pour la fête
Lorsque Khushal Nabizada, un jeune docteur de 34 ans, s'est marié il y a trois ans, il a dû dépenser 25.000 dollars pour la fête, épuisant en une seule soirée ses économies accumulées de longue date. "Je voulais une cérémonie plus sobre (...) mais la famille de la mariée a été implacable", dit-il, avant d'ajouter: "Ma femme et moi nous rendons compte maintenant que ça été une perte énorme".
Certains Afghans ont trouvé un moyen astucieux de raccourcir la liste des invités: en rassemblant hommes et femmes lors des célébrations. Car beaucoup d'Afghans, ne souhaitant pas exposer leur épouse à la vue de centaines d'inconnus, renoncent alors à participer.
Le mariage, seul exutoire licite pour les frustrations sexuelles
Certains font remarquer que le mariage est le seul exutoire "licite" pour les frustrations sexuelles, dans un pays où les relations avant le mariage peuvent être interprétées comme perverses.
"Les jeunes hommes célibataires luttent contre leurs problèmes hormonaux et s'inquiètent d'être pervertis par la masturbation", juge M. Nabizada. Bref, "le mariage est la seule issue, or beaucoup n'en ont pas les moyens", résume-t-il.
Dans une des salles du Qasr-e-Paris, l'orchestre se lance dans une mélodie traditionnelle annonçant l'arrivée de la mariée.
Alors que le marié apparaît à son tour, l'un des invités lance: "Il doit être nerveux à cause des dépenses de mariage". "Il aurait dû attendre la loi...", ironise un autre, provoquant le rire des convives.
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