Le président Joe Biden a défendu lundi coûte que coûte le retrait américain d'Afghanistan, malgré la prise de contrôle des talibans et les scènes de désespoir à l'aéroport de Kaboul, où des milliers de personnes tentaient de fuir le pays.
Cible de vives critiques, aux Etats-Unis comme à l'étranger, le maître de la Maison Blanche a assuré que la mission de Washington n'avait jamais été de bâtir une nation démocratique dans le pays instable, mais "d'empêcher une attaque terroriste sur le sol américain".
Le fulgurant triomphe final des insurgés dimanche a déclenché des scènes de panique monstre à l'aéroport de la capitale afghane. Une marée humaine s'est précipitée vers ce qui est la seule porte de sortie de l'Afghanistan, pour tenter d'échapper au nouveau régime que le mouvement islamiste, de retour au pouvoir après 20 ans de guerre, promet de mettre en place.
"Après 20 ans, j'ai appris à contre-cœur qu'il n'y avait jamais de bon moment pour retirer les forces américaines", a affirmé M. Biden lors d'une adresse à la nation, très attendue en raison du mutisme présidentiel durant ce week-end historique qui a vu le président Ashraf Ghani fuir l'Afghanistan.
"La vérité est que tout cela s'est déroulé plus rapidement que nous l'avions prévu", a toutefois concédé le démocrate.
Face au chaos régnant à l'aéroport de Kaboul, le locataire de la Maison Blanche a par ailleurs menacé les talibans d'une réponse militaire "rapide et puissante" si ces derniers venaient à perturber les opérations d'évacuation en cours.
Les vols, civils et militaires, suspendus lundi après-midi ont repris dans la nuit, a annoncé le Pentagone.
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont montré plus tôt des scènes de totale anarchie, comme ces centaines de personnes courant près d'un avion de transport militaire américain qui roule pour aller se mettre en position de décollage, pendant que certaines tentent follement de s'accrocher à ses flancs ou à ses roues.
D'autres font apparaître des milliers de personnes attendant sur le tarmac même et des grappes de jeunes hommes, surtout, s'accrochant aux passerelles pour tenter de monter dans un avion. D'autres vidéos montrent ce qui semble être des corps tombant d'un avion militaire américain ayant pris son envol.
Après avoir tiré en l'air dimanche, les forces américaines ont ouvert le feu lundi, tuant deux hommes "qui ont brandi leurs armes d'un air menaçant", a déclaré un responsable du Pentagone.
"Nous avons peur de vivre dans cette ville et nous tentons de fuir Kaboul", a témoigné, de l'aéroport, à l'AFP Ahmad Sekib, 25 ans, un homme utilisant un faux nom.
Les compagnies internationales ont suspendu le survol de l'Afghanistan, à sa requête, pour laisser l'espace aérien aux militaires chargés des évacuations.
Un cliché, dont le Pentagone n'a pas démenti la véracité, montrait 640 Afghans entassés dans un avion cargo C-17 de l'US Air Force.
Les rues de Kaboul sont à l'opposé restées relativement calmes lundi, des talibans en armes y patrouillant abondamment et y installant des postes de contrôle.
Sur les comptes Twitter qui leur sont favorables, les talibans se vantaient d'avoir été chaleureusement accueillis à Kaboul ou encore du fait que des jeunes filles retournaient dès lundi à l'école, comme à l'accoutumée.
- "Servir notre nation" -
Ils ont aussi assuré que des milliers de combattants convergeaient vers la capitale pour en assurer la sécurité.
Le désormais ex-président Ashraf Ghani a reconnu dimanche soir que les talibans avaient "gagné".
Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, le mollah Abdul Ghani Baradar, co-fondateur de ce mouvement islamiste, a appelé ses troupes à la discipline.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a lui mis en garde les talibans contre toute volonté de faire du pays une base pour de futures attaques terroristes. Il a demandé aux nouveaux maîtres de l'Afghanistan de mettre en place un nouveau gouvernement représentatif incluant notamment une "participation pleine, entière et significative des femmes".
La débâcle est totale pour les forces de sécurité afghanes, financées pendant vingt ans à coups de centaines de milliards de dollars par les Etats-Unis.
En dix jours, le mouvement islamiste radical, qui avait déclenché une offensive en mai à la faveur du début du retrait des troupes étrangères, a pris le contrôle de quasiment toute l'Afghanistan.
Et ce vingt ans après en avoir été chassé par une coalition menée par les Etats-Unis en raison de son refus de livrer le chef d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.
Les Etats-Unis ont affirmé lundi qu'ils ne reconnaîtraient un gouvernement mené par les talibans en Afghanistan qu'à condition que ces derniers respectent les droits des femmes et rejettent les terroristes.
Notre position "dépendra du comportement des talibans", a résumé le porte-parole du département d'Etat, Ned Price.
La Chine avait été le premier pays à dire lundi vouloir entretenir des "relations amicales" avec les talibans.
Le ministère russe des Affaires étrangères a estimé que "la situation en Afghanistan et en particulier à Kaboul se stabilisait. Les talibans procèdent au rétablissement de l'ordre public".
A contrario, le ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a jugé que ce n'était "pas le moment" de reconnaître le régime taliban. Le Premier ministre Boris Johnson a appelé à organiser une rencontre virtuelle des dirigeants du G7 "dans les prochains" jours.
Le président français Emmanuel Macron a pour sa part déclaré dans la soirée que l'Afghanistan ne devait "pas redevenir le sanctuaire du terrorisme qu'il a été" et appelé à "une réponse (internationale) responsable et unie".
Washington a envoyé 6.000 militaires pour sécuriser l'aéroport et faire partir quelque 30.000 Américains et civils afghans ayant coopéré avec les Etats-Unis qui craignent les représailles des talibans.
- Pilule amère pour Washington -
De nombreux autres diplomates et ressortissants étrangers ont également été évacués à la hâte de Kaboul dimanche.
Les Etats-Unis et 65 autres pays ont plaidé pour que les Afghans et les étrangers voulant fuir l'Afghanistan soient "autorisés à le faire", appelant les talibans à la "responsabilité" en la matière.
La pilule est amère pour Washington dont l'image en ressort profondément écornée et qui déplore 2.500 morts et une facture de plus de 2.000 milliards de dollars.
Selon un responsable de l'administration Biden, "les actifs de la Banque centrale que le gouvernement afghan possède aux Etats-Unis ne seront pas mis à la disposition des talibans".
En Ouzbekistan et au Tadjikistan, pays voisins, plusieurs avions de l'armée de l'air afghane se sont posés, avec de nombreux soldats afghans qui s'y sont réfugiés. Un appareil militaire afghan s'est écrasé en Ouzbékistan, après être entré dans ce pays.
Beaucoup d'Afghans, principalement dans les villes, craignent que les talibans n'imposent la même version ultra-rigoriste de la loi islamique que lorsqu'ils dirigeaient leur pays, entre 1996 et 2001.
Ils ont maintes fois promis que s'ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec les "valeurs islamiques".
Mais pour Aisha Khurram, 22 ans, qui a représenté la jeunesse afghane auprès de l'ONU et devait être diplômée de l'université de Kaboul dans les mois à venir, la journée de dimanche "a brisé nos âmes et nos esprits".
"Le monde et les dirigeants afghans ont laissé tomber la jeunesse afghane de la manière la plus cruelle que l'on puisse imaginer", a-t-elle accusé.
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