Le Niger connaît depuis quelques années une forte islamisation de sa société, un phénomène surveillé de près par les autorités et qui inquiète dans une région où sévissent les groupes jihadistes sahéliens et les islamistes nigérians de Boko Haram.
Le sujet plane sur la campagne de la présidentielle et des législatives de dimanche, sans être vraiment évoqué par les politiques.
Depuis une dizaine d'années, la religion est devenue très présente dans la vie quotidienne de ce pays figurant parmi les plus pauvres du monde. Des milliers de mosquées ont été construites et les écoles coraniques se sont multipliées.
Dans les quartiers populaires de Niamey, il y a presque une mosquée dans chaque rue. Aux heures de prière, des centaines de fidèles débordent parfois à l'extérieur. La plupart des femmes sont voilées.
Le Niger est à 98% musulman. Il s'agit dans la grande majorité de l'islam malikite, le plus répandu en Afrique de l'Ouest, traditionnellement plus tolérant que le wahhabisme.
Tous les meetings de la présidentielle ont été précédés de la Fatiha, sourate du Coran récitée au début des cérémonies.
Le Dr Boubakar Seydou Traoré, imam du quartier de Tchangaraï (quartier populaire du nord de Niamey) et secrétaire général de l'association islamique du Niger, s'en réjouit.
"Avec les nouveaux médias, télévision, internet, radios, nous avons désormais accès à plus d'information. Cela a favorisé une meilleure pratique. Les femmes voilées, l'arrêt des cours à l'université pendant les prières, c'est l'émergence de l'islam", dit-il.
- Emeutes anti-chrétiennes -
"Ca n'existait pas il y a cinq ans", regrette en revanche Moulaye Hassane, de l'Institut de recherches en sciences humaines de Niamey.
Pour ce spécialiste de l'islam, le wahhabisme est en train de s'installer, essentiellement dans les villes, l'islam malikite restant la règle dans les campagnes.
"Les groupes salafistes dans le désert n'ont pas d'influence directe. Mais, le danger pour le Mali, la Mauritanie et le Niger, c'est de passer à un autre islam. Le processus est interne. Un jour viendra où (certains) voudront une république islamique".
Alors que la minorité chrétienne cohabitait sans problème avec les musulmans, des émeutes anti-chrétiennes ont fait dix morts et détruit une cinquantaine d'églises à Niamey et Zinder, la deuxième ville du Niger, en janvier 2015, une flambée de violence religieuse sans précédent dans ce pays.
Ces émeutes avaient suivi la publication d'une nouvelle caricature de Mahomet en Une de Charlie Hebdo, après l'attentat qui avait décimé la rédaction de l'hebdomadaire français.
Moulaye Hassane estime qu'un coup d'accélérateur a été donné au phénomène d'islamisation dans les années 1990.
"Avec la mauvaise gouvernance, la Banque Mondiale et le FMI ont imposé des règles qui ont conduit l'Etat à se désengager des dépenses sociales. Des ONG, avec cette idéologie (wahhabite) sont entrées avec des fonds saoudiens, qatari et autres... Ils travaillent le terrain social".
"Les boursiers étudiant dans les pays arabes apprennent le wahhabisme", souligne-t-il. "Avec les élections, ils vont investir l'Assemblée. Ils ne viendront pas sous le label de la religion mais ils seront là".
Selon lui, la classe politique ignore le problème, mais il faudrait que "l'Etat revienne, que l’administration soit partout".
- Limites de la politique sécuritaire -
Avec une démographie galopante et un record mondial de fécondité, le Niger peine à éduquer sa jeunesse. Les filles sont faiblement scolarisées et les garçons fréquentent souvent les écoles coraniques.
Le ministre de l'Intérieur Hassoumi Massaoudou minimise l'influence wahhabite, qui "ne concerne qu'une petite part de la population" mais reconnait qu'à l'intérieur de celle-ci "il y a une frange qui peut se radicaliser". Il assure que les radicaux viennent des pays voisins, Mali, Libye et Nigeria.
Selon lui, le pouvoir du président Mahamadou Issoufou qui brigue un deuxième mandat, suit de près le dossier islamiste. Les autorités "surveillent les mosquées et les prêches", dit-il, notant qu'il y a eu des arrestations de prédicateurs.
Le ministre rappelle que le gouvernement "a multiplié par 10 ses dépenses de défense et de sécurité depuis 2010 sans toucher aux priorités" (scolarisation, infrastructures et besoins alimentaires).
Moussa Tchangari, figure de la société civile, incrimine la mauvaise gouvernance et le non-respect des droits de l'homme.
"La dérive sur le plan politique fait le lit de tout ça. Si on échoue à asseoir une démocratie, ça donne raison aux islamistes qui disent que la démocratie est un modèle importé de l'Occident".
Il estime que la politique sécuritaire n'est pas une solution: le régime "veut éradiquer le mal sans toucher aux causes".
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