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L'OCDE se met d'accord sur un impôt minimum sur les sociétés

L'accord du siècle? 130 pays s'entendent sur un impôt minimum des sociétés
© AFP
 
 

"Un pas colossal", "jour historique": moins d'un mois après le G7, et après des années de négociations, 130 pays, mais pas l'Irlande, se sont mis d'accord jeudi pour mieux taxer les multinationales, avec notamment un taux minimum d'impôt sur les sociétés "d'au moins 15%".

"Après des années de travaux et de négociations intenses, ce paquet de mesures historique garantira que les grandes entreprises multinationales paient leur juste part d'impôts partout dans le monde", a déclaré Mathias Cormann, le secrétaire général de l'Organisation de développement et de coopération économique (OCDE) qui pilote ces négociations, cité dans un communiqué.

L'Irlande soutient "dans l'ensemble"... mais ne signe pas

Un petit groupe de pays, dont l'Irlande et la Hongrie, très réticents à la proposition d'accord qui était en négociation, notamment sur un taux minimum de 15%, n'ont pas signé la déclaration conclue ce jour, selon la liste fournie par l'Organisation.

Le gouvernement irlandais, par la voix de son ministre des Finances Paschal Donohoe, a cependant affirmé "soutenir dans l'ensemble" cet accord et affirmé avoir "pour objectif de trouver une issue que l'Irlande puisse encore soutenir".

La Chine, dont la position était très attendue, et les pays généralement considérés comme des paradis fiscaux, se sont eux joint à l'accord.

L'ensemble des pays signataires représentent 90% du PIB mondial.

Ces entreprises "ne pourront plus éviter de payer leur juste part en cachant les bénéfices générés

"Les sociétés multinationales ne pourront plus opposer les pays les uns aux autres dans le but de faire baisser les taux d'imposition et de protéger leurs bénéfices au détriment des recettes publiques", a réagi le président américain Joe Biden dans un communiqué. Ces entreprises "ne pourront plus éviter de payer leur juste part en cachant les bénéfices générés aux États-Unis, ou dans tout autre pays, dans des juridictions à fiscalité plus faible".

Le ministre allemand des Finances Olaf Scholz a évoqué un "pas colossal vers une plus grande justice fiscale" et son homologue français Bruno Le Maire "l'accord fiscal international le plus important conclu depuis un siècle".

Oxfam nuance

Si l'accord met sous pression le modèle des paradis fiscaux les plus agressifs, il devrait essentiellement profiter aux pays riches, a nuancé l'ONG Oxfam. "Les pays riches forcent les pays en développement à choisir entre un accord désavantageux et pas d'accord", a-t-elle fustigé dans un communiqué, dénonçant une "nouvelle forme de colonialisme économique".

Deux piliers principaux à l'accord

L'accord conclu jeudi à l'OCDE pour une réforme de la taxation des multinationales prévoit deux volets: l'un sur un taux d'impôt mondial sur les bénéfices d'au moins 15%, et l'autre sur une nouvelle répartition entre Etats des droits à taxer les multinationales.

  • Nouvelle répartition des droits à taxer

Baptisé "Pilier 1" dans les négociations, ce volet consiste à réallouer une part de l'impôt sur les bénéfices payé par les multinationales aux pays dits "de marché", c'est-à-dire ceux où elles réalisent effectivement leurs activités. L'impôt ne sera donc plus dû uniquement là où leurs sièges sociaux sont installés, une véritable révolution en matière de fiscalité internationale.

Les entreprises concernées sont celles qui réalisent plus de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires mondial et dont la rentabilité est supérieure à 10%.

Le seuil de chiffre d'affaires pourra être ramené à 10 milliards d'euros au bout de 7 ans, prévoit la déclaration, une manière de satisfaire certains pays émergents qui voulaient élargir le nombre d'entreprises éligibles.

Les industries extractives, comme les mines, et les services financiers réglementés sont exclus de ce volet.

Les Etats qui pourront prétendre recevoir une part de cet impôt sont ceux où les multinationales réalisent plus d'un million d'euros de chiffre d'affaires, ou 250.000 euros pour les petites économies (au PIB inférieur à 40 milliards d'euros).

Le montant qui servira de base au calcul de l'impôt sur les sociétés attribué aux pays de marché représentera entre 20% et 30% du bénéfice dit "résiduel", c'est-à-dire au-dessus du seuil de 10% de rentabilité.

La déclaration de jeudi ouvre la voie à une "segmentation" des activités. Un mécanisme qui devrait notamment assurer que l'activité "cloud" d'informatique dématérialisée en ligne d'Amazon, dont la rentabilité est supérieure à 10% contrairement à celle de l'ensemble du groupe américain, soit bien inclue dans le champ de la taxe.

  • Pilier 2: taux minimum d'impôt sur les sociétés

Baptisé "Pilier 2", ce volet correspond à l'instauration d'un taux d'impôt effectif minimum "d'au moins 15%" sur les bénéfices des multinationales. Certains pays, notamment de grandes nations émergentes, avaient défendu la définition d'un taux minimum plus élevé que ce qui est inscrit dans la déclaration.

Un Etat pourra taxer les profits étrangers d'une de ses entreprises nationales qui aurait été imposée à l'étranger à un taux inférieur à ce taux minimum, afin de compenser l'écart.

Les sociétés concernées sont celles qui réalisent un chiffre d'affaires d'au moins 750 millions d'euros. La déclaration prévoient des "exceptions" à cette règle, par exemple sur les activités de transport maritime international.

Un dispositif a également été intégré en faveur des plus petits pays, pour prendre en compte la présence réelle des multinationales sur leur territoire, et les distinguer des paradis fiscaux, où ces entreprises n'ont souvent aucune activité effective.

Les entreprises technologiques en ligne de mire

La déclaration commune, qui se base sur un accord conclu au G7 début juin, prévoit aussi de répartir de manière "plus équitable" les bénéfices entre les pays où sont installés les sièges des entreprises et ceux où elles réalisent effectivement leur activité, même sans présence physique. Ce volet vise notamment les géants du numérique.

Les industries extractives, comme les mines par exemple, et les services financiers réglementés seront toutefois exclus de ce volet, mais pas de l'impôt minimum, précise le texte.

La fédération professionnelle des industries du numérique (CCIA), incluant notamment Amazon ou Facebook, a dit "attendre avec impatience de participer aux détails du plan de mise en oeuvre et exhorte les pays à supprimer les taxes sur les services numériques existantes et à renoncer" à d'autres projets similaires à l'étude, par la voix de son président Matt Schruers.

Le dispositif envisagé sera "d'une aide précieuse aux États" qui ont beaucoup dépensé pendant la pandémie et doivent financer la relance, a souligné l'OCDE dans son communiqué.

"Ce paquet de mesures ne met pas fin à la concurrence fiscale, et n'a pas vocation à le faire, mais cherche à la limiter selon des règles convenues à l'échelle multilatérale", a insisté M. Cormann.

Mise en oeuvre en 2023

Les participants aux négociations se sont donnés jusqu'au mois d'octobre pour "parachever les travaux techniques" et pour préparer "un plan de mise en oeuvre effective en 2023".

D'ici là, les pays qui n'ont pas adhéré à l'accord peuvent encore le rejoindre. "Je m'attends à ce que cela se passe, que la dynamique politique nous y conduise. (...) L'Irlande, en tant que membre de l'Union (européenne), ne peut pas tenir longtemps sur cette position à terme, ce n'est pas envisageable", a estimé une source au ministère allemand des Finances.

Les ministres des Finances du G20, qui se réunissent la semaine prochaine à Venise, devraient entériner l'avancée technique et politique conclue ce jeudi.

Un premier accord au G7 début juin à Londres avait redonné un élan à la négociation, enlisée pendant la présidence de Donald Trump et relancée par l'arrivée de Joe Biden à la Maison blanche.

La crise sanitaire, qui a vu les Etats dépenser massivement pour faire face à la pandémie et soutenir leurs économies, a aussi renforcé la volonté politique pour aboutir à un accord censé accroître les recettes fiscales. Selon l'OCDE, avec un taux d'au moins 15%, l'impôt minimum mondial devrait générer environ 150 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires par an au niveau mondial.


 

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