Toutes les estimations la placent en tête du peloton des puissances nucléaires mondiales et les analystes s'inquiètent sur la réalité de sa doctrine : coup de projecteur sur l'arsenal nucléaire russe, son organisation et les craintes qui l'entourent.
Numéro un mondial
Les chiffres sont indiscutables et indiscutés : la Russie est la puissance équipée du plus grand nombre d'ogives nucléaires, même si les Etats-Unis disposent d'un nombre supérieur d'ogives déployées, c'est-à-dire utilisables très rapidement
Selon l'Institut de recherche international pour la paix de Stockholm (Sipri), les Russes affichent 6.255 ogives nucléaires contre 5.550 pour les Américains. Les autres puissances ne jouent pas dans la même cour. La Chine, la 3e puissance nucléaire mondiale, n'en dispose que de 350, la France de 290.
Ces chiffres ne sont pourtant que des estimations. Les arsenaux dits non-stratégiques sont particulièrement complexes à évaluer, notamment parce que la plupart sont utilisables via des lanceurs aussi capables de porter une charge conventionnelle.
Selon la Campagne internationale pour abolir l'arme nucléaire (ICAN), prix Nobel de la paix en 2017, la Russie a dépensé en 2020 quelque huit milliards de dollars pour "fabriquer et entretenir ses forces nucléaires".
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Chaîne de commandement
Qui ordonne le feu nucléaire ? Le président, en vertu de la Constitution, mais la transmission de l'ordre et son authentification passent par le ministre de la Défense et le chef d'état-major. En l'occurrence respectivement Sergueï Choïgou et son bras droit Valeri Guerassimov.
Poutine "a l'autorité de déclencher", commente pour l'AFP Pavel Podvig, un expert russe indépendant. "A quel point d'autres peuvent faire partie du processus, on n'en sait rien. Ils ne peuvent mettre leur veto, mais il y a une certaine forme de collégialité".
Le scénario-catastrophe reste donc complexe à envisager. Le président ne dispose pas d'un bouton sur son bureau, le processus n'a rien d'automatique et il demeure impossible de prévoir la réaction des différents individus d'un bout à l'autre de la procédure.
Là intervient la question de l'armée russe et de son degré d'obéissance, si Vladimir Poutine emmenait son pays vers le chaos nucléaire.
"Je ne suis pas sûr que toute l'armée soutienne Poutine. Ils (les militaires) ne sont ni fous ni fanatiques. Mais nous ne pouvons deviner si l'armée exécutera un ordre d'utiliser l'arme nucléaire", assure Pavel Louzine, un expert de l'armée russe travaillant à Moscou pour le centre de réflexion Riddle.
Les analystes occidentaux sont nombreux à affirmer que Vladimir Poutine a plus à perdre qu'à gagner dans l'invasion de l'Ukraine. Et certains suggèrent que des responsables russes pourraient eux mêmes être en proie au doute.
"Je ne pense pas que l'élite militaire russe se réjouira d'un usage nucléaire limité en (Ukraine) ou à propos de l'Ukraine", tweetait lundi Kristin Ven Bruusgaard, du Centre pour la coopération et la sécurité internationale (CISAC) de l'Université de Stanford.
"Mais qui préviendra Poutine que cela pourrait en réalité ne pas fonctionner - et être aussi parfaitement contreproductif que ses autres efforts pour produire ce qu'il recherche ?"
Doctrine et réalité
Dans un article paru jeudi dans le "Bulletin of the Atomic Scientists", les experts Hans Kristensen et Matt Korda rappelaient que Vladimir Poutine avait validé en 2020 une doctrine nucléaire, avec quatre cas justifiant l'usage du feu : des tirs de missiles balistiques contre la Russie ou un allié, l'usage d'une arme nucléaire par un adversaire, une attaque contre un site d'armement nucléaire russe ou une agression mettant en jeu "l'existence même de l'Etat".
Mais les doutes sont réels quant à la sincérité de cette doctrine. La Russie affirme avoir modernisé près de 90% de son arsenal et Vladimir Poutine revendique le besoin de la Russie de suivre "le rythme du changement".
"Ce n'est pas de la Formule 1, c'est du supersonique. Arrêtez une seconde et vous commencez immédiatement à tomber", a assuré le maître du Kremlin, cité par les deux experts.
Ils ajoutent que "les responsables russes ont fait de nombreuses déclarations qui semblent aller bien au-delà de la doctrine publiée". La modernisation intensive de l'arsenal suggère que celle-ci "va plus loin que la dissuasion élémentaire et vers des stratégies de combats régionaux ou même d'armes destinées à provoquer la terreur".
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