Les attaques jihadistes augmentent de façon "exponentielle" au Burkina Faso et s'étendent géographiquement à des zones jusque là épargnées sous les yeux des forces de sécurité incapables de faire face, soulignent des experts à la veille de l'ouverture du grand festival international de cinéma de Ouagadougou, le Fespaco.
L'aggravation est incontestable, avec parfois plusieurs attaques hebdomadaires
Depuis qu'elles ont débuté il y a quatre ans, les attaques islamistes au Burkina ont fait plus de 300 morts (plus de 500 selon certaines sources) et sont d'intensité croissante. Depuis début décembre 2018, une quinzaine d'attaques ont été perpétrées dans des régions du nord et de l'est du pays, tuant 80 personnes, civils et membres des forces de l'ordre, selon un décompte de l'AFP.
"Ce qui est frappant, c'est la rapidité de la dégradation de la situation. Il y a une augmentation exponentielle du nombre d'attaques", relève Rinaldo Depagne, responsable pour l'Afrique de l'Ouest du groupe de réflexion International Crisis Group.
"L'aggravation est incontestable, avec parfois plusieurs attaques hebdomadaires" et une "extension géographique", confirme Nicolas Desgrais, chercheur à l'université britannique du Kent sur la coopération militaire au Sahel.
Au début concentrées dans le nord du Burkina, frontalier du Mali lui-même très instable, les attaques des groupes jihadistes se sont étendues au nord-est puis au sud-est et à l'ouest du pays, particulièrement depuis 2018. En décembre l'état d'urgence a été décrété dans plusieurs provinces.
"Les campagnes burkinabè sont en ébullition", souligne Rinaldo Depagne, alors que "les villes sont relativement calmes, même s'il y a un peu de psychose à Ouagadougou" suite aux trois attaques qui ont frappé la capitale et fait une soixantaine de morts en trois ans.
C'est ainsi sous tension que le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), seule manifestation de rayonnement mondial de ce pays sahélien très pauvre, va se tenir du 23 février au 2 mars, avec ses 100.000 spectateurs attendus dans divers lieux qui pourraient constituer une cible.
Forces de sécurité dépassées
Quelque 2.000 membres des forces de sécurité ont été mobilisés, a annoncé jeudi le commissaire Joseph Toni, président de la commission sécurité du Fespaco, pour des patrouilles jour et nuit, "la surveillance des hôtels, des lieux de manifestations, des salles de cinéma" où des "contrôles rigoureux et des fouilles systématiques" seront effectués.
Beaucoup de gens n'osent plus renseigner les forces de sécurité, de peur de représailles
Néanmoins, l'impuissance des forces de sécurité burkinabè est manifeste, face à "la douzaine de groupes jihadistes" qui opèreraient maintenant dans le pays, dont Ansarul Islam, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) et l'Etat islamique au grand Sahara (EIGS), selon M. Depagne.
Pour se développer, ces groupes, dont les contours et les liens sont mal connus, instrumentalisent les problèmes existants entre les communautés locales, comme les conflits fonciers, et jouent sur l'impuissance de l'Etat central à régler tant les problèmes socio-économiques que les problèmes de sécurité, selon les deux chercheurs.
Pour le consultant en sécurité burkinabè Paul Koalaga, "la radicalisation progresse dans le pays" et dans les campagnes, "beaucoup de gens n'osent plus renseigner les forces de sécurité, de peur de représailles". Voire "rejoignent les groupes jihadistes pour exprimer leur mécontentement", ajoute M. Depagne.
Les forces de sécurité (armée, police, gendarmerie, renseignement) "sont dépassées" et n'en finissent pas de se réorganiser, après les bouleversements qu'elles ont subis (grande mutinerie de 2011, dissolution de l'unité d'élite du Régiment de sécurité présidentielle en 2015, disparition du service de renseignement avec l'arrestation du général Gilbert Diendéré), selon M. Depagne.
Un grand ménage a été mené ces dernières semaines à la tête de l'armée, avec les nominations d'un nouveau chef d'état-major général, d'un nouveau chef d'état-major de l'armée de terre et de nouveaux responsables à la tête des trois régions militaires du pays.
Les cinq pays du G5 Sahel (Mali, Mauritanie, Tchad, Niger et Burkina Faso), ont monté une force militaire conjointe pour tenter d'endiguer ces attaques dans toute la région. Mais cette force peine à obtenir des résultats.
Les experts comme les armées occidentales (France, Etats-Unis) qui interviennent dans la zone sahélienne s'accordent à penser que la question du jihadisme nécessite un règlement politique autant que militaire.
"Mais négocier quoi et avec qui ?", s'interroge M. Depagne. "Quel est l'agenda politique des groupes jihadistes ? Pour l'instant, ils nuisent plus qu'ils ne gagnent".
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