Au pays des attentats-suicide, de la burqa et de la guerre sans fin, un groupe de jeunes Afghans s'est converti au breakdance pour évacuer le stress et s'exprimer, craignant que cette liberté ne dure qu'un temps si les talibans reviennent au pouvoir.
C'est dans les locaux du Centre culturel français à Kaboul qu'ils s'entraînent aux mouvements de base : le toprock (pas de danse), le headspin (tour sur la tête) et autres Power moves, ces figures spectaculaires démarrant par une rotation.
"Le breakdance nous tient à distance du stress et de la guerre. Il nous apporte la liberté. Il libère nos esprits du stress de vivre à Kaboul et nous permet d'oublier la guerre et ses morts", explique Murtaza Lomani, 23 ans, qui appartient à l'équipe Top Step.
C'est après en avoir vu des vidéos en ligne qu'un de ses membres, Obaidullah Koofi, 24 ans, a découvert la discipline et s'est jeté dans l'arène.
"Nous apprenons les nouveaux mouvements sur Youtube", notamment ceux de fameux breakdancers comme Lilou et Hong Ten, explique-t-il. "La chaîne est notre mentor parce qu'ici il n'y a personne pour nous apprendre de nouvelles figures".
Briser les barrières
Le breakdance est encore une rareté dans cette société musulmane férocement conservatrice, où la musique traditionnelle règne sur les ondes et où toute forme de mixité entre les genres, davantage encore dans la danse, est mal vue.
Le Centre culturel français est l'un des rares endroits de la capitale afghane où le Top Crew puisse s'entraîner tout en se sentant relativement en sécurité, explique Lomani. Mais même là, ce n'est pas sans risque.
Le lieu a été attaqué par les talibans il y a cinq ans, au moment même où s'y jouait une pièce de théâtre consacrée aux attentats-suicides. Et Lomani a fait partie des blessés.
"Nous sommes la première équipe de breakdance en Afghanistan. Il y en a d'autres qui pratiquent, mais nous avons été les premiers à lancer le mouvement, il n'y avait personne avant", claironne-t-il.
Le breakdance trouve son origine dans le quartier du Bronx à New York dans les années 1970. Le "breaking" a constitué avec la musique rap et l'art du graffiti les piliers de la culture hip-hop, qui s'est imposée ensuite dans la musique aussi bien que dans la mode.
Les compétitions de breakdance ont fait de leurs champions des stars, et le Comité international olympique s’est décidé à faire entrer la discipline aux jeux d'été de 2024 à Paris.
Mais pendant que le reste du monde se frottait à la culture hip-hop et au breakdance, des décennies de guerre et le régime de fer des talibans dans les années 90 les ont empêchés de prendre racine en Afghanistan.
Le "mouvement" des talibans
"La société afghane a un peu changé ces dernières années, les générations ont évolué et les gens pensent plus positivement", affirme Lomani, qui avoue volontiers que leurs mouvements de danse attiraient les moqueries quand ils se sont lancés en 2011.
"Mais nous sommes arrivés à convaincre des jeunes et maintenant c'est vraiment bien de pouvoir pratiquer", ajoute-t-il. Malgré cela, il craint que tout cela ne change, en pire.
Après 18 ans de guerre, le président américain Donald Trump a mis fin début septembre aux pourparlers avec les talibans sur un retrait des troupes américaines. De nombreux Afghans craignent qu'un retrait total des soldats américains ouvre la voie à une reconquête du pouvoir par les insurgés.
Cette perspective serait un désastre pour Heja Aalia, une des quatre jeunes femmes à pratiquer le breakdancing à Kaboul.
"Aucune d'entre nous ne pourra continuer si les talibans reviennent", dit-elle. Aujourd'hui encore Aalia explique choisir prudemment les endroits et les moments pour s'entraîner. Elle dit aussi avoir eu du mal à convaincre sa famille de la soutenir.
"Si je m'entraîne en plein air, je me ferai insulter", explique Aalia en assurant que de nombreuses jeunes filles aimeraient suivre son exemple mais n'ont pas l'autorisation de leur famille pour s'y essayer.
"C'est vraiment difficile pour une fille de pratiquer le breakdance en Afghanistan, parce que beaucoup de gens croient que c'est contre la culture musulmane".
Malgré cela, et même avec la peur d'un retour des rebelles au pouvoir, Aalia est déterminée à poursuivre sa passion.
"Si les talibans reviennent un jour, nous ne nous produirons plus en public, dit-elle, mais nous continuerons à nous entraîner, en cachette s'il le faut".
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