Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a plaidé jeudi en Irak pour que les jihadistes étrangers, dont 60 Français, soient jugés dans ce pays après leur transfert depuis les prisons des Kurdes de Syrie actuellement visés par une offensive turque qui fait planer un "risque de dispersion".
Son homologue irakien Mohammed Ali al-Hakim a appelé devant lui à "coopérer pour juger les combattants étrangers et les présenter à la justice", avant qu'un communiqué de son bureau ne précise que Bagdad ne voulait "pas des terroristes étrangers qui avaient mené des attaques hors d'Irak".
Les discussions n'ont pas dans l'immédiat abouti à un accord, indique-t-on de source française, alors que de nombreuses voix s'élèvent en Irak pour refuser ces transferts, à l'image de Badr al-Zayadi, député du plus important bloc au Parlement, qui affirmait à l'AFP peu avant la venue de M. Le Drian "refuser de recevoir en Irak des jihadistes que même leurs pays refusent".
Jeudi, le ministre français a affirmé avoir évoqué avec les dirigeants à Bagdad et au Kurdistan autonome "la manière de mettre en oeuvre (un) mécanisme juridictionnel adapté" pour juger "dans les meilleures conditions" ces combattants, "y compris a priori les combattants français".
Jusqu'ici, 14 Français ont été condamnés à Bagdad pour "appartenance" au groupe Etat islamique (EI), une accusation suffisante pour prononcer la peine capitale.
Parmi eux, 12 ont été transférés de Syrie et la justice irakienne a établi que certains n'avaient pas commis de crimes en Irak mais elle s'était estimée compétente parce qu'ils avaient, à un moment ou à un autre, transité par le territoire irakien. Onze ont été condamnés à mort et trois autres --dont deux femmes-- à la perpétuité.
- "Risque de dispersion" -
L'Irak avait proposé en avril de juger l'ensemble des jihadistes étrangers retenus en Syrie contre environ deux milliards de dollars.
Mais depuis qu'Ankara a lancé le 9 octobre son offensive contre une milice kurde de Syrie, les Européens redoutent que les 12.000 jihadistes détenus par les Kurdes -dont 2.500 à 3.000 étrangers- ne s'évadent pour reformer le "califat" territorial de l'EI défait en mars, et les discussions se sont accélérées.
L'entrée en scène de l'armée de Bachar al-Assad aux côtés des Kurdes a aussi accru l'attention sur le sujet.
Damas, qui reprend peu à peu le contrôle des zones où cette minorité avait établi une semi-autonomie depuis le début de la guerre en 2011, pourrait mettre la main sur les jihadistes étrangers et leurs familles et les exhiber ou les instrumentaliser, scénario redouté dans les chancelleries européennes.
Mardi, des experts de sept pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Danemark et Suède) ont été dépêchés à Bagdad.
"Il y a des discussions entre Américains, Britanniques, Français et Irakiens sur le financement de la construction de prisons", affirme à l'AFP Hicham al-Hachémi, spécialiste des mouvements jihadistes.
Alors que les combattants actuellement détenus en Syrie sont originaires de 72 pays, M. Le Drian a appelé la coalition internationale formée contre l'EI en 2014 à "se réunir face aux risques nouveaux engendrés par l'intervention turque" en Syrie, notamment une "résurgence de l'EI".
Deux jihadistes belges se sont déjà échappés d'une prison et le Conseil de sécurité de l'ONU a mis en garde mercredi contre le "risque de dispersion" des jihadistes.
L'Irak, un des cinq pays au monde qui ordonne le plus de peines capitales, a déjà condamné plus de 500 étrangers de l'EI --hommes et femmes dont plusieurs centaines à mort--, mais aucun n'a jusqu'ici été exécuté.
Deux jihadistes belges ont écopé de la peine de mort, tandis qu'une Allemande a vu sa sentence commuée en peine de prison à perpétuité en appel.
Les Européens s'opposent à la peine de mort et les défenseurs des droits humains dénoncent "de vrais risques de torture" et "aucune garantie pour des procès équitables" dans ce pays.
- Familles -
Jeudi, le ministre irakien des Affaires étrangères a plaidé pour qu'une "solution soit trouvée" pour les familles de combattants de l'EI. L'Irak en compte encore des milliers en Syrie.
M. Hakim a insisté sur le fait que Bagdad assurerait le rapatriement et le jugement de ses ressortissants jihadistes devant ses tribunaux.
Environ 12.000 femmes et enfants de combattants de l'EI sont retenus dans des camps de déplacés du nord-est syrien souvent surpeuplés.
La France, qui compte environ 200 ressortissants adultes et 300 enfants dans les camps et prisons sous contrôle kurde refuse, comme nombre d'autres pays, de les rapatrier en raison des craintes d'attentats et de l'hostilité de l'opinion, et souhaite qu'ils soient jugés au plus près de là où ils ont commis leurs crimes.
Les épouses françaises, considérées par les autorités comme tout aussi radicalisées que les hommes, sont susceptibles d'être jugées en Irak, au même titre que les quelque 60 jihadistes français actuellement détenus en Syrie.
Les familles réclament elles des rapatriements, de crainte que leurs proches se retrouvent au coeur des combats et que "des enfants innocents soient tués ou blessés en plus grand nombre".
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