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Purificateurs d'air, masques ... le Pakistan réalise les dangers de la pollution

 

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Depuis deux mois, le téléphone d'Hasan Zaidi sonne constamment. Inventeur d'un purificateur d'air à bas coût, il est assailli d'appels alors que le smog atteint des sommets au Pakistan où la population prend progressivement conscience de ses ravages sur la santé.

"Certains jours, j'ai tellement d'appels que je ne peux répondre", note cet ingénieur trentenaire dans son atelier où deux ouvriers s'affairent silencieusement.

Il a mis six mois à concevoir son appareil, "The indoor forest" ("La forêt d'intérieur"), élégante boîte en plastique noire vendue 16.000 roupies pakistanaises (95 euros). Quelque 500 ont trouvé preneurs. Dépassé par la demande, il a dû refuser des centaines de commandes.

Les purificateurs importés, beaucoup plus chers et inaccessibles aux masses, s'arrachent également.

Au magasin RTC de Lahore (Est), les achats ont quadruplé en trois ans, de 52 en 2017 à 226 cette année, se félicite le propriétaire Faisal Ali.

"Les purificateurs d'air ne sont plus un luxe, mais une nécessité", observe Sadia Khan, dont l'entreprise Autosoft dynamics s'est récemment dotée d'une dizaine d'appareils pour que ses 180 employés puissent "respirer sans risque" au travail.

- 135.000 décès -

Depuis cinq ans, le smog atteint des niveaux préoccupants dès octobre au Pakistan. Comme en Inde voisine, la chute des températures accompagnée de vents faibles plaque au sol la pollution, issue de brûlis agricoles, émissions industrielles et automobiles etc, générant problèmes respiratoires et cardiaques.

D'après une étude publiée par la revue scientifique The Lancet, 135.000 Pakistanais sont morts en 2015 du fait de la mauvaise qualité de l'air.

Début novembre, des écoles ont pour la première fois fermé au Pendjab, province orientale dont Lahore est la capitale, tant l'atmosphère était saturée.

Cela a provoqué une prise de conscience, dans ce pays pauvre où les problématiques environnementales sont secondaires, selon plusieurs experts.

Le niveau de particules fines PM2,5 dépasse fréquemment 200 microgrammes par mètre cube d'air à Lahore. L'Organisation mondiale pour la santé (OMS) suggère de respecter un seuil de 25 en moyenne journalière.

L'Université de Chicago estime que la pollution atmosphérique fait perdre cinq ans d'espérance de vie aux Lahoris - 2,7 années en moyenne nationale.

D'après le site Air Visual, le Pakistan était en 2018 le deuxième pays au monde pour sa pollution atmosphérique - derrière le Bangladesh mais devant l'Inde - et Lahore la 10e ville à l'air le plus vicié sur les 3.500 dont il mesure la qualité.

Des mesures jugées non fiables par Tanveer Waraich, directeur général de l'agence environnementale du Pendjab. Elles proviennent selon lui d'appareils "non authentiques".

"Le Pakistan et Lahore ne font pas partie des villes les plus polluées au monde", objecte-t-il, reconnaissant toutefois que les niveaux de smog enregistrés par ses services, certes moins élevés, ne sont "pas acceptables".

Indice d'une inquiétude grandissante, Air Visual, qui comptait 10.000 abonnés en début d'année à Lahore, ville de 12 millions d'habitants, a vu ce nombre décupler, selon Yann Boquillod, son co-fondateur.

"Au Pakistan, il y avait un problème mais personne ne le connaissait. Les Pakistanais sont en train de se mobiliser", observe-t-il.

- Demande "folle" -

Tout a démarré sur les réseaux sociaux. Abid Omar a lancé en 2016 PakistanAirQuality (PAQ), une initiative citoyenne visant à pallier le manque de données officielles dans le pays. Avec une poignée de citoyens, il se retrouve désormais à compiler des données accablantes.

D'après PAQ, Lahore n'a connu que "10 heures" de "bon" air, selon les standards de l'OMS, sur les onze premiers mois de 2019. A l'inverse, pendant 223 jours, l'indice de pollution ambiant oscillait entre "mauvais" et "dangereux".

Ahmad Rafay Alam, l'un des rares avocats environnementalistes du pays, poursuit au nom de sa fille et deux autres adolescents les autorités du Pendjab, accusées de "sous-estimer" sciemment "la gravité" de la pollution.

Quand ils sortent de leur domicile, où un purificateur d'air trône dans chaque pièce, les Alam portent souvent des masques anti-smog. Parmi les précurseurs l'an passé, ils ont été rejoints depuis novembre par des cohortes de Lahoris, généralement aisés.

"L'an passé, les gens se moquaient" des masques, se souvient Ayza Omar directrice de interiorsource.pk, site vendant des articles anti-smog.

"Mais cette année, la demande était folle. Nous n'avions plus rien à vendre au bout de deux mois", ajoute-t-elle, indiquant avoir écoulé des "milliers" de masques cette année, contre des "dizaines" l'an passé.

A Lahore, des vendeurs ambulants proposent désormais des cache-nez aux moins argentés. Le smog "a rendu nos vies misérables", s'émeut un acheteur.

Des chercheurs pakistanais inaugureront en janvier en ville une "tour anti-smog", purificateur d'air haut de 8 mètres.

"Ce sera comme une oasis dans le désert", capable de fournir une atmosphère respirable à 90.000 personnes, explique Maryam Saeed, l'une des conceptrices. "Mais l'effet sera local", avertit-elle, demandant aux autorités de légiférer sur la pollution. Car partout ailleurs, "Lahore restera une chambre à gaz."


 

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