"Combien de Christine Renon devront donner leur vie?" A Bobigny comme dans d'autres villes, des milliers d'enseignants se sont rassemblés jeudi, jour des obsèques de cette directrice qui s'est suicidée dans son école à Pantin après avoir dénoncé ses conditions de travail dans une lettre.
Sur une pancarte en carton, Isabelle, enseignante à Clichy-sous-Bois venue protester devant les locaux de l'Education nationale de Seine-Saint-Denis, a simplement inscrit : "Je suis Christine".
"On peut tous se reconnaître dans la lettre de Christine. Nos conditions de travail sont exécrables, c'est pour ça qu'on a du mal à recruter en Seine-Saint-Denis. Le geste qu'elle a fait, tout le monde pourrait le faire", dit-elle, tremblante, au milieu de centaines de directeurs, enseignants et parents d'élèves - entre 1.100 et 3.000 selon les sources - réunis devant le bâtiment où se tenait un CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), convoqué à la suite de la mort de la directrice.
Lors de ce rassemblement, qui s'est achevé peu après 16H00, des directeurs d'école ont pris la parole pour saluer la mémoire de leur collègue et réclamer des réponses politiques à ce geste désespéré. Un salarié de France Télécom et un cheminot, qui avaient eux aussi tenté de mettre fin à leur jours, ont témoigné.
Une délégation s'est ensuite rendue au rectorat de Créteil, où elle devait être reçue par le recteur de l'Académie.
Lundi 23 septembre au petit matin, la gardienne de l'école maternelle Méhul avait découvert le corps de cette femme de 58 ans dans le hall de l'établissement. Deux jours plus tôt, juste avant de se donner la mort, la directrice décrite comme "hyper investie" avait pris le soin d'adresser à une trentaine de ses collègues une lettre de trois pages où elle détaillait "son épuisement", la solitude des directeurs, l'accumulation de tâches "chronophages", les réformes incessantes et contradictoires.
Jeudi, près d'un quart des personnels de l'académie de Créteil étaient en grève (24,16%). Au niveau national, 2,23% des enseignants ont suivi l'appel des syndicats à cesser le travail.
A Lille, entre 200 et 300 enseignants, directeurs d'école et autres agents de l'Education nationale se sont réunis à la mi-journée devant la direction départementale de l'Education. Une enseignante a lu la lettre de Christine Renon dans un porte-voix, finissant au bord des larmes. Dans la foule émue, quelques personnes sanglotaient.
A Marseille, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées à la mi-journée devant le rectorat, devant lequel elles se sont couchées en signe de protestation.
- "Epuisement" -
Dans la banlieue lyonnaise, à Vaulx-en-Velin, quelque 170 personnes se sont rassemblées devant une des écoles de la ville où une minute de silence a été observée après la lecture du même courrier.
"Son suicide a été un choc. Ca a circulé sur les réseaux sociaux, hors de tout canal syndical habituel. Cette lettre a touché tout le monde. Certains se sont dit: +J'aurais pu écrire certaines phrases+. C'est une erreur de penser que c'est un problème de directeur seulement, l'épuisement, les injonctions contradictoires ça touche tous les enseignants", a expliqué à l'AFP Benjamin Grandener, directeur d'une école à Vaulx-en-Velin du SNUipp-FSU.
Une pétition réclamant "une toute autre qualité de vie au travail" lancée par une intersyndicale avait recueilli jeudi près de 100.000 signatures.
Jeudi matin, le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer s'est dit "prêt" à discuter du statut des chefs d'établissements.
"On doit améliorer la situation des directeurs d'école" qui n'est "pas satisfaisante", a affirmé le ministre sur RTL, proposant la création d'"un comité de suivi" associant syndicats et professionnels pour "faire évoluer" leur statut.
La députée LREM Cécile Rilhac, co-auteure d'un rapport en août 2018 proposant de créer un statut de "super" directeur et de rapprocher écoles et collèges, dit travailler "depuis six mois à une proposition de loi" qu'elle devrait présenter prochainement.
Dans un communiqué, la PEEP, deuxième fédération de parents d'élèves, a "réitéré officiellement sa demande récurrente pour la création d'un véritable statut de directeur d'école".
Jeudi dernier, plusieurs centaines de personnes s'étaient rassemblées dans la cour de l'école Méhul pour rendre hommage à la directrice, quelques heures après la venue sur les lieux de M. Blanquer.
Samedi matin, une marche blanche aura lieu à Pantin, entre la mairie et l'école maternelle.
Vos commentaires