A Midi, district du Yémen repris aux rebelles, des responsables saoudiens dévoilent, au milieu des décombres, des projets d'aide de plusieurs millions de dollars, une réponse de Ryad aux critiques sur les effets dévastateurs de son intervention militaire chez son voisin du sud.
Tout en dirigeant une coalition armée depuis 2015 contre les rebelles Houthis appuyés politiquement par l'Iran, l'Arabie saoudite multiplie les aides au Yémen alors que la pression internationale s'accroît pour que cette "sale guerre" s'arrête.
Les bombardements de l'alliance ont provoqué, de l'avis général, une catastrophe humanitaire. Des milliers de civils sont morts et des millions sont au bord de la famine.
L'aide est destinée à rendre les Yéménites autonomes, selon des responsables saoudiens, mais l'efficacité de cette stratégie est mise en doute par des militants et des spécialistes.
Des responsables du Programme saoudien de développement et de reconstruction du Yémen (SDRPY), créé en 2018, ont traversé récemment la frontière pour lancer, dans la localité portuaire de Midi (nord-ouest du Yémen), des projets de 7 millions de dollars.
Escortés par des soldats mettant constamment en garde contre les mines, ils ont organisé une cérémonie de lancement de 11 projets, dont une nouvelle école, un centre de santé et une usine de dessalement.
"Ces projets font partie des nombreuses et importantes réalisations de l'Arabie saoudite au profit du Yémen frère", a déclaré à l'AFP Hassan al-Attas, directeur des projets de SDRPY.
La date d'achèvement des travaux n'est pas connue.
- "Les mines sont partout" -
Le district de Midi, dévasté par des combats ayant chassé les rebelles en avril 2018, a besoin d'un effort massif de reconstruction et de déminage.
Des milliers d'habitants ayant fui craignent d'y retourner.
Les bateaux détruits et la peur des mines navales des Houthis ont paralysé l'industrie de la pêche, pilier de l'économie locale.
"Les mines sont partout", a déclaré Abdel Fattah, enseignant de 46 ans qui vit maintenant dans la ville saoudienne de Jizane.
"Les gens reviendront une fois les mines enlevées, les maisons reconstruites et les services de santé, l'éducation, l'électricité et l'eau rétablis".
Midi est situé dans le gouvernorat de Hajjah, dont de vastes zones restent sous contrôle rebelle.
Une tentative d'une équipe de télévision saoudienne de faire un direct sur la cérémonie a provoqué la panique parmi des journalistes. Ils craignaient que leur présence soit révélée, ce qui les exposeraient à des tirs rebelles.
L'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, autre pilier de la coalition, sont les principaux donateurs du Yémen auquel ils ont fourni plus de 18 milliards de dollars depuis 2015, selon Abou Dhabi.
A elle seule, l'Arabie saoudite affirme avoir apporté 12 milliards USD.
"Tout cet argent a été injecté au Yémen, mais le niveau de vie, la santé et l'économie vont de mal en pis, ce qui soulève des questions sur l'efficacité" de l'aide, ont déclaré des militants yéménites dans une pétition sur change.org en demandant des comptes sur la manière dont l'assistance a été dépensée.
Aussi généreuse soit-elle, l'aide ne compense pas les pertes subies.
Selon une étude du Programme de l'ONU pour le développement (PNUD), le conflit entraînera des pertes économiques de 88,8 milliards de dollars s'il prend fin cette année.
Ce chiffre pourrait augmenter de façon exponentielle si la guerre se prolonge. "Même si la paix revient demain, il faudra des décennies au Yémen pour retrouver son niveau de développement d'avant le conflit", a déclaré Auke Lootsma, responsable du PNUD.
- "Occupation saoudienne" -
Beaucoup s'interrogent également sur la viabilité des projets saoudiens en plein conflit.
Le blocus de nombreux ports du Yémen -officiellement pour empêcher la livraison d'armes iraniennes aux rebelles- entrave l'aide humanitaire, selon des ONG.
"Les Yéménites avec lesquels je suis en contact considèrent l'intervention saoudienne comme disproportionnellement agressive, égoïste et politiquement naïve", a déclaré à l'AFP Sarah Phillips, spécialiste du Yémen à l'Université de Sydney.
"L'idée que les Saoudiens et les Emiratis gagneront les coeurs et les esprits en fournissant des aides à la reconstruction ou pour résoudre une crise humanitaire qu'ils exacerbent, est largement traitée avec dérision", a-t-elle ajouté.
Les autorités saoudiennes rejettent ces critiques qui, selon elles, ne tiennent pas compte des "crimes" rebelles.
Dans certaines régions, les Yéménites se demandent si les Saoudiens n'utilisent pas ces aides pour s'implanter militairement.
Tout en finançant écoles et cliniques dans la province d'Al-Mahra (est), les Saoudiens ont installé du personnel et d'importants équipements militaires, alimentant les soupçons sur leurs intentions, estime Elisabeth Kendall, chercheuse à l'Université d'Oxford.
"Il y a des aspects positifs associés à la nouvelle présence saoudienne", dit-elle à l'AFP. "L'investissement dans cette région longtemps marginalisée est indispensable. Mais beaucoup de gens parlent maintenant d'une +occupation saoudienne+".
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