Nombre d'Indonésiens s'en souviennent comme d'un breuvage infect qu'ils ont été forcés d'ingurgiter dans leur enfance. Pourtant le jamu, élixir traditionnel à base de plantes réputé pour ses bienfaits sur la santé, a fait une entrée remarquée dans des cafés branchés de Jakarta.
Corriger les mauvais fonctionnements de l'organisme et soulager migraines et douleurs
Les fonctions principales de ce breuvage aromatique sont de guérir, corriger les mauvais fonctionnements de l'organisme et soulager migraines et douleurs. Mais dans un décor rétro, certains cafés courus d'Indonésie attirant notamment de jeunes professionnels et des étudiants mettent plus volontiers en avant les vertus aphrodisiaques supposées de cette boisson, concoctée à partir d'herbes et d'ingrédients tels que le gingembre et le curcuma - une plante herbacée vivace.
"Aphrodisiaque stimulant l'endurance"
Dans l'un de ces débits de boissons au nom pour le moins original - "Voilà longtemps qu'on n'avait pas bu de jamu" -, la carte donne le ton: "Viril!", peut-on lire en dessous d'une photo d'un homme radieux portant un élégant costume et une casquette traditionnelle à motifs, faisant la promotion d'un "aphrodisiaque stimulant l'endurance". Sur une autre photo, une femme coiffée d'un chignon suggère de consommer un breuvage baptisé la "cavité serrée", censé améliorer la vie sexuelle d'une mère de famille après la naissance d'un enfant. D'autres recettes de jamu sur la carte promettent carrément de faire en sorte que "les maris restent à la maison" et que les "épouses sourient toujours".
"Au début, le goût amer (du jamu) m'a refroidi, mais j'ai grandi avec"
Ce café qui a ouvert ses portes il y a deux ans propose également des jamu plus légers et acceptables, telles des boissons à base de roselle, une plante herbacée censée renforcer le système immunitaire, de curcuma pour améliorer l'endurance, et de gingembre pour soigner les rhumes et les toux. "Au début, le goût amer (du jamu) m'a refroidi, mais j'ai grandi avec", raconte Io Woo, une graphiste de 23 ans, qui vient en boire au café trois à quatre fois par mois. "C'est moins mauvais quand on le prend avec des amis ici, dans une ambiance intime et confortable", dit-elle.
La "dagang jamu gendong" portant sur son dos un panier de bouteilles et faisant du porte-à-porte pour vendre ses breuvages
L'idée d'exploiter d'une part l'attirance traditionnelle des Indonésiens, qui croient profondément aux bienfaits de cette boisson à base d'une vaste sélection d'herbes du pays, et d'autre part l'envie des plus jeunes de boissons à la mode fait désormais recette. Mais le jamu n'a pas attendu d'être branché pour être une boisson courante en Indonésie: la "dagang jamu gendong" (vendeuse de jamu) portant sur son dos un panier de bouteilles et faisant du porte-à-porte pour vendre ses breuvages est un personnage familier des villes et villages de l'archipel d'Asie du Sud-Est.
"Les jeunes ne consomment pas autant de jamu qu'au bon vieux temps, car ils craignent le goût amer"
Le nouvel enthousiasme pour cette boisson des ancêtres ne se limite pas aux cafés branchés. La guérisseuse traditionnelle Retno Widati apprend depuis 2011 à qui veut comment concocter de la glace jamu à partir de haricots verts, de riz et de galanga, une plante proche du gingembre. "Les jeunes ne consomment pas autant de jamu qu'au bon vieux temps, car ils craignent le goût amer", constate-t-elle. Son objectif: populariser une forme "plus douce" de ce breuvage.
Une industrie qui emploie 15 millions de personnes
Reste que le "phénomène jamu" touche déjà un vaste public, dont des personnalités en vue comme le président indonésien Joko Widodo, qui commence apparemment sa journée en buvant un verre de gingembre et de curcuma bouillis. Le gouvernement de ce pays de 250 millions d'habitants soutient d'ailleurs cette industrie, qui emploie 15 millions de personnes et revendique plus d'un millier de fabricants, dont certains sont cotés à la Bourse de Jakarta. Le ministre de l'Industrie Saleh Husin a encouragé en septembre à exporter davantage de jamu, estimant que ce secteur pourrait générer jusqu'à 1,35 milliard d'euros de recettes cette année, soit une progression de plus de 30% par rapport à 2014.
L'Asie reste un bastion des remèdes à base de plantes médicinales, dont la popularité croît à travers le monde, selon des experts. Agustinus Martanbaim, 38 ans, ne consomme pas son jamu dans les cafés branchés: comme beaucoup d'Indonésiens, il l'achète à des vendeurs de rue ou dans de petits magasins pas chers. "Pourquoi devrais-je payer cinq fois plus pour quelque chose qui est presque pareil ? Je préfère économiser mon argent, ce qui me permet d'acheter plus de jamu", dit-il.
Vos commentaires