Une simple vidéo amateur postée sur Youtube a secoué l'opinion publique bulgare au début du mois. Voici l'avis de Xavier Lumen sur ce fait divers. Ce quadragénaire originaire de la région bruxelloise est installé depuis 7 ans dans ce pays d'Europe de l'Est. Il nous raconte sa vie en Bulgarie, un pays de contraste entre mer et montagne, un peuple entier où la générosité côtoie l'indiscipline, et un présent tiraillé entre un passé plombant et les espoirs d'une jeunesse qui s'exile.
RENCONTRE avec Xavier Lumen, un Belge originaire de Woluwé parti vivre entre mer et montagne à l’autre bout de l’Europe
Quelle a été la répercussion de cette vidéo dans les médias bulgares ? Sur les réseaux sociaux, les réactions étaient plutôt scandalisées ou résignées ?
La vidéo est apparue dans les medias locaux de Plovdiv le 3 août et bien entendu, c'est parti en vrille sur Facebook. La nouvelle génération commence à se révolter et à manifester contre les injustices, la corruption et l’inaction des politiques, du pouvoir judiciaire et des forces de l'ordre. Les personnes plus âgées, 35/40 ans et au-delà, sont plutôt résignées en général. Les Bulgares font plus confiance aux institutions européennes qu’à leurs propres représentants politiques et espèrent plus d'ingérence de l'EU dans leur quotidien.
La femme sur la vidéo est littéralement morte saoule. L’alcoolisme est-il un problème important en Bulgarie ?
L'alcool est effectivement un problème, les jeunes se mettant rapidement à l'alcool fort et tous les bars à ma connaissance ayant un choix incroyable de ces alcools. D'ailleurs, la station balnéaire Sunny Beach, pour ne pas la citer, est connue par les touristes étrangers pour l'alcool, la drogue et la prostitution. De plus, les Bulgares ont le droit de faire leur fameuse Rakia, alcool à base de raisins ou de prunes en général, et qui peut être très fort s’il est distillé plusieurs fois. J'ai déjà vu des spécimens qui devaient en avoir ingurgité une certaine quantité car ils avaient perdu complètement la tête. J'ai d'ailleurs personnellement dû aider des ambulanciers à embarquer une personne complètement intoxiquée, apparemment par la Rakia, un soir de nouvel an et ce n'était pas beau à voir. Le médecin qui l’accompagnait n'était pas très optimiste sur l'avenir à court terme de cette personne.
Vous dites voir des choses étonnantes tous les jours: comme quoi ?
Des voitures (de loin le plus grand danger en Bulgarie) qui passent au rouge, des piétons qui passent au rouge sur un boulevard fréquenté, des cyclistes qui roulent à gauche ou prennent un rond-point à sens inverse pour éviter un détour, ce sont des choses habituelles, quotidiennes. Un bus roulant porte ouverte car il y a un problème technique... Une anecdote qui a un rapport avec la vidéo : il y a quelques mois, j'attendais le train sur un quai. Pour passer entre les quais, il y a un passage souterrain. Bien entendu, comme tout bon Bulgare qui se respecte, les lois et les règles, c'est pour les autres. Donc toute une série de personnes décident de couper les voies en surface puisque cela évite les escaliers. Je tiens à préciser que sur le quai, il y avait le chef de gare et un policier. Au loin, je vois une personne d'un certain âge qui se déplace lentement et le train qui bien entendu arrive. Pour éviter un gros "splash", le chef de gare interdit finalement à la personne de continuer. Mais autant demander à une vache de parler espagnol, il n'en a fait qu'à sa tête et a continué son trajet. Donc arrêt d'urgence du train et tout ça sous l’œil amusé du policier. Entre le quai et les voies, il y a je suppose +/- 50 cm de différence, donc il faut tirer la personne des voies. Je commence à m'énerver de l'inaction du policier et c'est seulement après avoir crié, non, "gueulé" en français, anglais et le peu de bulgare que je connais, et en précisant que j'allais faire des photos et vidéos et que ça allait circuler sur la toile, que finalement le policier est allé aider la personne à sortir des voies. Je reste persuadé que sans les menaces de photos, il n'aurait pas bougé.
Sentez-vous le poids de l’ère communiste dans l’organisation du pays et chez ses habitants ?
Certaines personnes ont cette mentalité communiste où il faut tout cacher, ne rien divulguer et ne pas partager ses connaissances. Des gens comme ça, il y en a malheureusement encore. Le poids du communisme mais aussi le passé sous je joug des Ottomans sont, je pense, un frein à leur évolution. Ils se tournent beaucoup trop vers le passé et s'en servent comme excuse pour ne pas réussir ou évoluer. Ils doivent se tourner vers l'avenir et j'espère que la nouvelle génération fera changer les choses, même si le pays se meurt. Les jeunes quittent de plus en plus la Bulgarie et pendant la saison touristique, les hôtels, cafés et restaurants commencent à avoir difficile de trouver non seulement du personnel compétent, mais même du personnel tout court. Les années prochaines, je crois, vont être décisives pour le pays.
Pourquoi êtes-vous parti vivre là-bas ?
J'ai quitté la Belgique en septembre 2008. J'avais 40 ans à l’époque. La décision de quitter la Belgique fait suite peut-être tout simplement à mon esprit aventurier, c'est quelque chose que j'ai toujours voulu faire. J’ai opté pour la Bulgarie car ma compagne, que j'ai rencontrée à Londres à l'époque, est bulgare et propriétaire d'un logement à Plovdiv, donc logiquement mon choix s'est porté sur ce pays après l'avoir visité plusieurs fois. J'ai investi, à très petite échelle, dans l’immobilier. Cela me permet de vivre confortablement en Bulgarie et de ce fait d'avoir le temps de vivre. Mais concernant la langue, c'est une catastrophe. Je ne la maitrise pas du tout même après 7 ans, honte à moi. Mais cela ne me pose pas trop de problèmes dans mon quotidien. L'anglais et même de temps en temps le français sont souvent parlés à Plovdiv. Mais pour tout ce qui est admiratif et bancaire, je dois absolument faire appel à ma compagne.
Qu’est-ce qui vous plait en Bulgarie ?
Le pays est fantastique, superbe, et offre toute une panoplie d’activités. La faune et la flore sont à couper le souffle, les montagnes sont superbes, malheureusement comme dans beaucoup de pays, la côte a déjà été surconstruite, mais elle reste toujours attrayante. Il y en a pour tous les gouts, de l'hôtel spa 5 étoiles au refuge de montagne pour les aventuriers. Bronzette sur la plage ou plongée en mer noire, ski en hiver à chaque saison, j'y trouve mon compte et bien entendu, à des prix plus que compétitifs. Je fais du sport le matin, 4 à 5 fois par semaine je fais de la marche ou du trekking en montagne, entre 60 et 80 kilomètres par semaine pendant la belle saison qui peut durer jusqu'à 10 mois certaines années. Les autres mois je pratique du sport en salle. Le reste de la journée est consacré aux achats, à la cuisine, et aux restaurants ou au cinéma, entre autres. Et bien entendu l'apéro avec les amis bulgares. Le pays offrant énormément de possibilités, le week-end se passe entre les montagnes pour rechercher l'air frais ou la mer Noire quand on a plus de temps libre devant nous.
Quelle est la différence majeure entre les Belges et les Bulgares ?
Le Bulgare comparé au Belge est tout noir ou tout blanc, ça passe ou ça casse. Des inconnus peuvent vous accueillir chez eux pour l'apéro comme des personnes que vous croyez connaitre essayent de vous rouler et de s'accaparer vos biens (je parle en connaissance de cause). Par exemple, ma famille me rend visite, on se rend dans un petit village autour de Plovdiv et on commence à prendre des photos des maisons et jardins. Sur ce, un habitant sort de sa maison et commence à nous parler. Je croyais que c'était pour nous demander d'effacer ou d'arrêter de prendre des photos de son habitation. Et bien non. Cette personne était tellement contente de nous voir et qu'on s'intéressait à sa demeure qu'elle nous a invités à l'intérieur prendre l'apéro dans son jardin. Je me souviens que ma mère a été très émue ce jour-là de ce qui venait de se passer. Et cette année, au ski, je suis tombé sur un moniteur qui était tellement étonné qu'un Belge vienne skier à Pamporovo que celui-ci est allé chercher mon abonnement pour les remontées mécaniques et m'a offert sa ristourne ! Par contre, sans aller dans les détails car l'affaire est toujours en justice, dans la famille de ma compagne, certaine personne se sont fait passer pour elle devant un notaire pour falsifier des documents. Apparemment, en Bulgarie, cela est encore monnaie courante.
Parlez-nous de votre ville, Plovdiv. Une ville chargée d’histoire…
Le premier jour où j'ai visité Plovdiv, je suis réellement tombé amoureux de cette ville. Plovdiv, seconde plus grande ville bulgare, dégage un parfum de sérénité et de calme. Je m'y sens vraiment bien. Plovdiv est pour moi un grand village avec les avantages de la ville. Beaucoup de touristes avec qui je rentre en contact me disent que j'ai vraiment de la chance d'y habiter. Plovdiv est même repris par le site Bohemian Travel comme une de meilleurs villes où vivre (3ème derrière Amsterdam et Gand, ndlr). Concernant son histoire, il y a beaucoup à dire. Elle est l’une des plus vieilles villes du monde, une ville construite, si je ne me trompe pas, par le père d'Alexandre le Grand (en réalité, Philippe II de Macédoine l'a conquise en -342, mais la ville existait déjà depuis -1000 et la civilisation encore 1000 ans plus tôt, ndlr). Pour la petite histoire, Spartacus, que tout le monde croit grec, est en fait Bulgare. Plovdiv, capitale du monde Thrace (une région qui s’étend sur la Bulgarie, la Grèce et la Turquie occidentale et qui était le "pays" (territoire) d'un peuple dans l’antiquité, les Thraces, ndlr), mérite le détour comme une grande partie du pays d'ailleurs. Il faut juste faire abstraction des bâtiments communistes qui se détériorent.
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