A en croire les chiffres de la Commission, chaque année, 500.000 hectares supplémentaires sont consacrés à l'agriculture biologique en Europe. Impossible pour les géants de l'agro-alimentaire de rester indifférents à cette importante progression. Du coup, les grands groupes rachètent des marques bios rentables. Ces rachats menacent-ils l'éthique de ce commerce durable? La rédaction de RTLinfo.be a mené l'enquête.
Le bio est-il 100% éthique? Sur internet, certains reprochent aux marques de produits biologiques parmi les plus célèbres d'avoir accepté leur rachat par de grands groupes américains de l'agro-alimentaire. Un non-sens selon ces consommateurs mécontents. "Lima et Danival ont été rachetés par Hain Celestial, aux USA, derrière lequel se cache l'argent de Monsanto, Walmart, Philipp Moris, City Group et Martin Lockeed (sic)", accuse Dominique Guillet, fondateur de Kokopelli, une association française très active dans la préservation de la biodiversité semencière et potagère. Son opinion, publiée sur son site internet, nous est parvenue via notre page Alertez-Nous.
Le géant Monsanto se cache-t-il vraiment derrière le bio?
Les marques citées (Lima et Danival) ont-elles un lien direct ou indirect avec le géant américain tant controversé Monsanto? Pour rappel, selon la journaliste Marie-Monique Robin, auteure du fameux documentaire "Le monde selon Monsanto", cette multinationale commercialise 90% des OGM dans le monde (organismes génétiquement modifiés, dont les risques potentiels pour la santé font toujours l'objet de divergences au sein de la communauté scientifique, ndlr). Lorsqu'un consommateur achète un produit bio en Belgique, existe-t-il un risque qu'il participe, par la même occasion, à la prospérité d'un grand groupe à la philosophie opposée? Y a-t-il un risque éventuel pour sa santé? Nous avons d'abord posé la question aux marques incriminées.
"Aucun lien", affirme le directeur
A l'origine, Lima est une société belge active dans le bio depuis plus de 50 ans. Avec ses 200 produits (céréales, condiments, soupes, galettes, etc.), l'entreprise s'est forgé une solide réputation. Danival est une autre marque connue et distribuée dans de petits magasins spécialisés (Lima l'étant également en grande surface). La marque se définit comme une "petite entreprise indépendante", née il y a 25 ans, qui se bat pour préserver "ses 100 emplois dans le Lot-et-Garonne (dans le sud-ouest de la France, ndlr) une terre fragile pour l’emploi dans le secteur de l’agro-alimentaire actuellement". L'entreprise emploie également une série de personnes handicapées et défend coûte que coûte les produits du terroir. Leur philosophie respective est donc claire et transparente.
Lima et Danival ont été rachetées il y a quelques années par Hain Celestial, un grand groupe américain de vente de produits dits "sains". Bart Dobbelaere est directeur général de Hain Celestial Europe. Il gère toutes les marques européennes rachetées par le groupe américain et vendues en Europe occidentale, comme Lima et Danival. Il est formel: il n'y a "aucun lien" entre son entreprise et Monsanto, le fabricant de cigarettes Philip Morris, le fabricant de matériel miliaire Martin Lockheed ou toute autre entreprise controversée. "Nous sommes un groupe totalement indépendant, assure le directeur. La stratégie de Lima est déterminée ici, en Belgique. Nos produits sont 100% bio, sans OGM et sont tous contrôlés".
Mais alors, d'où viennent ces accusations?
Il n'y a pas de fumée sans feu, diront certains. Si aucun lien n'existe, pourquoi ces accusations reviennent-elles fréquemment, sur des forums ou sur Facebook notamment? Selon le directeur, "les achats en bourse peuvent éventuellement expliquer les liens supposés entre nos produits bios et le géant Monsanto". Car une fois placée en bourse, une entreprise n'a pas la possibilité de contrôler qui achète ses actions. "A notre échelle, nous n’avons aucun moyen d’empêcher une personne, une société ou un fonds d’investissement d’investir dans notre groupe (ce serait illégal)", précise Amandine Rachenne, chargée de communication pour Danival. Et Bart Dobbelaere l'admet, il peut y avoir des groupes aux philosophies opposées dans le lot des actionnaires de Hain Celestial. "Nous sommes cotés en bourse, cela veut dire que chacun peut acheter des actions de Hain Celestial, rappelle-t-il. J'ignore si Monsanto a acheté des actions ou s'il compte le faire, mais il ne fait absolument pas partie de nos dix actionnaires principaux, dont nous connaissons les noms. Et de toutes façons, je le répète, nous sommes totalement indépendants. Les actionnaires n'ont aucune influence sur notre stratégie". Ainsi, parmi les investisseurs de Hain Celestial, on trouve The Vanguard Group, une société américaine de fonds d'investissements qui détient des parts dans… Monsanto. Il y a donc, aux yeux de certains, un "lien" indirect. Voyons s'il pourrait avoir une quelconque incidence.
"Il n'y a aucun risque", assure Certysis
Le fait que certaines compagnies à la philosophie très éloignée du bio détiennent des actions boursières dans des entreprises bios représente-t-il un risque pour le consommateur? "Aucun", tranche Coline Hommelen, responsable chez Certisys, un organisme belge de contrôle et de certification bio, présent dans le secteur depuis 30 ans. Selon la responsable, les contrôles sont tels qu'ils garantissent la qualité des produits bio, et ce, indépendamment de l'identité des actionnaires. "Chaque acteur du bio est contrôlé une fois par an, détaille la responsable. Ils sont tous logés à la même enseigne. Puis, ils subissent des contrôles inopinés. Cela fait en moyenne trois contrôles par an par opérateur".
Par ailleurs, toute la chaine du bio est contrôlée. "On ne peut jamais perdre le moindre produit bio de vue, poursuit Coline Hommelen. Le producteur, le préparateur, le distributeur, le magasin,… tous sont contrôlés. Dès que le produit bio change de propriétaire, il y a obligatoirement un contrôle et une certification bio à la clé si tout a été respecté".
Les contrôles commencent sous la terre et se terminent dans le magasin bio
Pour que le consommateur ait l'assurance que l'aliment qu'il mange répond aux normes bios, les vérifications commencent sous la terre. En effet, il faut vérifier que le producteur n'a pas utilisé de semences traitées (avec des pesticides synthétiques interdits par la réglementation, ndlr) ni d'OGM. "Les semences sont examinées sur le terrain, poursuit Coline Hommelen. Le contrôleur vérifie toutes les factures d'achats des semences et il en déplante certaines pour les analyser. Il vérifie aussi tous les stocks du producteur". Ainsi, les factures entrantes et sortantes sont passées à la loupe. Et ce n'est pas fini. "Le contrôleur examine tous les certificats bio des fournisseurs, les bons de livraisons, toute la communication faite dans le magasin. Il a toujours accès à tous les locaux et à tous les documents". Bref, difficile de tricher…
Le "bio industriel"? "C'est une accusation récurrente"
Qu'en est-il alors des quantités produites? Certains consommateurs s'inquiètent et parlent de "bio industriel". C'est-à-dire de production bio à grande échelle, qui s'éloigne de la philosophie et de l'éthique liées de la production locale. "C'est une accusation récurrente, reconnait la responsable chez Certisys. Mais si on applique le règlement strict lié à la production de produits bios, il est impossible d'en produire d'énormes quantités, comparables à la production industrielle". La responsable donne quelques exemples, notamment en ce qui concerne l'élevage. "L'éleveur doit faire en sorte que ses animaux puissent jouir d'un accès extérieur. Il faut donc des surfaces suffisamment grandes. Sans compter les nombreuses règles pour assurer le bien-être animal et l'interdiction de prescription de médicaments à titre préventif". De plus, une partie de la nourriture (elle-même bio) donnée aux bêtes doit obligatoirement être produite sur la ferme. "Il faut donc une superficie suffisante pour nourrir soi-même ses animaux. Dans ces conditions, l'aspect local est à respecter. Il est impossible d'adapter la production à des niveaux industriels".
Tout cela est-il éthique?
Les marques bios réaffirment leur indépendance envers leurs actionnaires, les contrôleurs bios garantissent le gage de qualité des produits. Reste à trancher la question "éthique", soulevée par Dominique Guillet, le fondateur de Kokopelli. Que répondre aux consommateurs qui estiment que le rachat des marques bios par de grands groupes américains trahit, en quelque sorte, les idéaux prônés par la philosophie bio? "Le consommateur ne doit pas oublier que, derrière Danival, il y a avant tout nos agriculteurs français et leurs produits du terroir, estime Amandine Rachenne, chargée de communication pour Danival. Il ne doit pas oublier qu'en achetant nos produits sains, il soutient une petite entreprise avant tout. Il doit se rappeler que dans ce contexte économique difficile, il soutient les emplois dans le sud-ouest de la France".
"C'est au consommateur de choisir, estime Coline Hommelen, de Certisys. Va-t-il acheter ses produits bios dans son petit magasin de quartier? Dans une grande surface? Consomme-t-il local, EU ou hors EU?" Le mieux, si l'on préfère se situer en dehors des circuits commerciaux ? Eviter les intermédiaires. "Le Marché des Tanneurs, au centre-ville de Bruxelles est un excellent exemple: les aliments proviennent directement du producteur et sont vendus au consommateur, sur place, poursuit la responsable. Les prix sont compétitifs, l'ambiance est très chouette, le projet, initialement familial, est une belle réussite".
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