Toujours en télétravail, la clientèle ne reprend pas ses habitudes "chez Martine". En 39 ans de métier, la tenancière n'avait jamais connu de telles difficultés.
L'Horeca (hôtel, restaurant et cafétéria) compte parmi les secteurs qui souffrent le plus de la pandémie. La rédaction de RTL INFO a consacré de multiple reportages à ce sujet et c'est en regardant l'un d'eux que Dany a voulu porter à notre attention le cas de sa soeur Martine : "Elle essaie de tenir à flot son restaurant mais malgré tous ses efforts, les clients sont rares", écrit-il via le bouton orange Alertez-nous. Nous sommes allés à la rencontre de Martine dans son établissement du centre de Bruxelles, le Sorrento.
Un restaurant à l'ambiance "familiale", une clientèle en provenance des bureaux du quartier
Le Sorrento est un petit établissement d'une dizaine de tables, proche de la place de Brouckère, ouvert seulement le midi. On y mange une cuisine de brasserie "simple et traditionnelle", dit Martine, pour un prix démocratique. Un steak frite avec salade et boisson coûtent par exemple 16 euros.
Depuis qu'elle a commencé à y travailler à l'âge de 16 ans, Martine, aujourd'hui âgée de 55 ans, y reçoit une clientèle d'habitués, qui sont pour la plupart employés dans les entreprises avoisinantes. "On a vraiment un contact très familial avec les gens", se réjouit-elle.
À ses débuts, Martine n'était pas la tenancière de l'établissement mais était considérée comme "la fille de la maison". Alors, quand le précédent gérant est parti à la retraite, elle a décidé de reprendre l'affaire. Le contact avec la clientèle lui a donné envie de poursuivre dans cette voie, explique-t-elle. Le Sorrento a gardé son nom, ses clients, et petit à petit, ces derniers ont commencé à appeler le restaurant "Chez Martine". Car c'est elle qui s'occupe de tout : la cuisine, le service, la caisse...
Martine "prise de court" par l'annonce de la fermeture de l'Horeca
Ces trente dernières année, son activité a toujours été très liée aux bureaux du quartier. Quand une entreprise décidait de déménager, c'était un coup dur pour le restaurant. Mais jamais elle n'aurait imaginé la débâcle de ces derniers mois.
L'annonce, le jeudi 12 mars, par la Première ministre Sophie Wilmès de la fermeture des restaurants l'a "totalement prise de court", raconte-t-elle : "Il y avait des réservations pour la semaine d'après. Jamais, on n'avait pensé qu'ils allaient nous dire de fermer nos établissements en 24 heures".
Martine n'avait pas imaginé non plus que cette crise était appelée à s'inscrire dans la durée. Quand son comptable a évoqué la possibilité d'une fermeture de plusieurs mois, elle se souvient lui avoir répondu : "T'es malade ! On va fermer quelques semaines mais c'est tout". Avec le recul, Martine reconnait avoir été "un peu naïve là-dessus".
Bruxelles déserté, ses plats à emporter n'ont pas trouvé preneurs
La première semaine du confinement, Martine s'est lancée dans la préparation de plats à emporter. Mais la demande n'a pas suivi. "Du jour au lendemain, les gens sont partis. Ils ont fermé les bureaux, les gens ne pouvaient plus venir, ne sont plus sortis", raconte-t-elle. En effet, à partir du 18 mars, les citoyens étaient tenus de rester chez eux, sauf pour des déplacements indispensables. Et les entreprises devaient organiser le télétravail. Alors faute de clients, Martine s'est résolue à fermer.
Des aides de l'état bienvenues, mais insuffisantes pour payer ses loyers
Sur les conseils de son comptable, Martine a introduit sa demande afin d'obtenir la prime mise en place par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, le 23 mars, pour les indépendants. Unique et forfaitaire, cette prime de 4000 euros a été décidée pour les aider à surmonter la crise du coronavirus. Martine a également fait appel au droit passerelle pour interruption d'activité forcée. Mis en place par le gouvernement fédéral, il s'agit d'un revenu de remplacement destiné aux indépendants durement frappés par la crise sanitaire et le confinement. Martine a touché 1.291 euros par mois. Pas de quoi payer ces deux loyers (celui du restaurant et celui de son appartement à Namur, où elle habite), remarque-t-elle.
Comme de nombreux autres restaurateurs, Martine a profité de cette période de fermeture forcée pour "pour nettoyer à fond, remettre un coup de peinture", raconte-t-elle. Mais elle ne pouvait pas prévoir les nouvelles conditions dans lesquelles elle devrait travailler désormais.
Branle-bas de combat pour la réouverture du Sorrento
Le 3 juin, la Première ministre a annoncé la réouverture des restaurants et des cafés pour le 8 juin. Entre temps, des mesures de prévention ont été communiquées par le Service public fédéral Économie (SPF Economie) pour assurer des contacts sécurisés entre les restaurateurs/cafetiers, leur personnel et leurs clients.
"Sur un week-end de temps, il a fallu qu'on trouve la solution pour pouvoir rouvrir le lundi", raconte Martine. Principale difficulté : soit les tables devaient garantir une distance de 1,5 m entre elles, soit il fallait installer "une barrière physique suffisamment élevée (p. ex. une paroi en plexiglas de minimum 1,80 m de haut)", décrit le guide pour un redémarrage sûr de l’horeca du SPF Economie.
Compte tenu de son petit espace, Martine a choisi la seconde option. "Les plexiglass étaient horriblement chers, entre 80 et 250 euros", indique-t-elle. Qu'à cela ne tienne, Martine a mis au point des barrières faites maison, beaucoup moins onéreuses : "J'ai fait un système avec des films transparents, coincés entre des lattes de bois et qui descendent du plafond avec des petites chaînes métalliques", explique-t-elle.
Dans un quartier de bureaux, c'est la mort
Martine s'est adaptée aux consignes mais les clients sont restés chez eux
Le lundi 8 juin, le Sorrento était prêt à accueillir ses clients. Ces derniers n'ont pas été au rendez-vous. "Il y a énormément de clients en moins puisque les employés ne travaillent toujours pas au bureau. On entend dire que ça va durer jusque fin de l'année et ça dans un quartier de bureaux, c'est la mort", déplore-t-elle.
À midi, le télétravail explique cette baisse drastique de la clientèle, corrobore l'administrateur de la Fédération Horeca Bruxelles, Fabian Hermans. "Les 500.000 navetteurs qui viennent dans Bruxelles ne sont pas aujourd'hui dans Bruxelles et ne sont pas dans nos restaurants", dit-elle. Résultat, une majorité de restaurants tournent avec moins de 30% de leur clientèle. Ceux qui s'en sortent le mieux, les mieux localisés, aux alentours de 60%, indique-t-il.
En outre, pour Fabian Hermans, cette désaffection s'explique aussi, d'une part, par la peur de la clientèle locale à venir dans les établissements Horeca en cette période d'épidémie. D'autre part par l'abscence de touristes, et notamment des touristes d'affaires, avec l'annulation des événements professionnels.
Les affaires n'ont pas repris à la rentrée, sa situation financière est "catastrophique"
En ce mois de septembre, habituellement propice aux affaires, Martine ne note aucune amélioration. "Il y a des jours où il n'y a personne. Pas un client. D'autres où il y a un seul client. C'est affolant", confie-t-elle. Le jour où nous sommes passés au Sorrento, on comptait 5 clients sur la journée. "Et la moyenne des prix chez moi, c'est entre 15 et 17 euros. Faites-le calcul...", souffle-t-elle. Son activité n'est pas rentable, mais elle tient à rester ouvert : "Ça fait 39 ans que je suis dans mon établissement. J'ai des gens que je connais depuis le début, je ne veux pas les laisser tomber", explique-t-elle. Aujourd'hui, Martine qualifie sa situation financière de "catastrophique".
Des prévisions alarmantes pour le secteur de l'Horeca
Les entrepreneurs de l'Horeca qui enregistrent une baisse de son chiffre d'affaire de plus de 10% peuvent toujours bénéficier du droit passerelle, au moins jusque fin décembre 2020. Mais cette aide ne suffira vraisemblablement pas à éviter certaines faillites : la fédération de l'Horeca prévoit entre 25 et 30% de faillites entre la fin de l’année et le premier semestre 2021, indique Fabian Hermans. Foodservice Alliance, l'un des plus gros consultants de l'Horeca, est plus pessimiste : selon lui, 40% des entrepreneurs de ce secteur seront en faillite d'ici la fin 2020.
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