Cette mère de famille héberge depuis le début de la guerre en Ukraine un couple et leur fils de 15 ans qui ont fui Kharkiv. Elle a déjà dû débourser pas mal d’argent pour subvenir aux besoins de cette grande famille, passée de 4 à 7 personnes. Elle confie même avoir dû puiser dans ses économies pour terminer son mois de mai. Elle reproche aujourd’hui aux différents gouvernements qu’aucune aide financière n’a été mise en place.
"J'héberge, depuis plus de 2 mois, un couple et un ado de 15 ans. N’ayant pas 1 euro en poche, je paye tout depuis leur arrivée, jusqu’aux cartes de séjour établies par la commune et les photos d’identité. Ne parlons pas des consommations en eau, électricité et mazout pour le chauffage… Les familles d'accueil sont abandonnées par le gouvernement. Ce dernier accueille les bras ouverts, mais toute la charge financière et administrative repose sur les familles d'accueil et je trouve cela honteux", nous écrit Caroline via le bouton orange Alertez-nous.
Cette mère de famille accueille depuis la mi-mars Artur, Natalie et leur fils Arsen. Cette famille d’Ukrainiens, originaire de Kharkiv, est arrivée en Belgique peu de temps après que la guerre a éclaté dans leur pays. "J’habite Manhay, dans les Ardennes, et on avait reçu une information de la commune nous disant qu’elle recherchait des familles d’accueil pour accueillir des Ukrainiens", se souvient Caroline.
C’est moi qui ai dû m’organiser, me débrouiller… Ils ne parlent ni français, ni anglais
Tout s’est très rapidement mis en place. "On s’est dit 'pourquoi pas' avec mon mari car nous avons une chambre de libre. On ne s’est pas trop posé de questions… Et un lundi matin, la commune nous a contactés pour nous dire que les Ukrainiens arrivaient dans l’après-midi", poursuit-elle. Caroline et son mari s’étaient dit prêts à accueillir un couple et un enfant en bas âge, mais c’est finalement un adolescent de 15 ans et ses deux parents qui sont arrivés chez eux. "On ne choisit pas mais d’un côté ça nous arrangeait bien car on a un fils de 14 ans et une fille de 16 ans", dit-elle. Il a cependant fallu trouver une solution de secours car la chambre d’amis ne comptait de la place que pour deux adultes : "On n’allait pas faire dormir le gamin par terre donc mon fils a proposé de partager sa chambre avec lui, comme il a deux lits dans sa chambre."
Une aide sociale équivalente au revenu d’intégration
Lorsqu’Artur, Natalie et Arsen ont débarqué à Manhay, dans le Luxembourg, ils n’étaient pas encore passés par le Heysel pour s’inscrire et faire une demande de protection temporaire. "Apparemment, une nouvelle procédure venait d’être mise en place par l’Office des étrangers, donc ça a pris du temps avant qu’ils ne soient appelés. Ils ont dû attendre plus de 3 semaines", nous explique Caroline. "Mais c’est moi qui ai dû m’organiser, me débrouiller… Ils ne parlent ni français, ni anglais alors on a dû se débrouiller avec des traducteurs en ligne. J’ai dû inscrire le gamin à l’école, il fallait aussi leur ouvrir un compte bancaire. Et une autre chose sur laquelle je ne suis pas contente : on a dû aller leur faire des documents d’identité à la commune. Eh bien, la commune nous a réclamé le coût des cartes, soit 17 euros par personne", déplore notre interlocutrice.
Ce n’est qu’à partir de la mi-avril, après l’inscription au Centre d’enregistrement, que la famille ukrainienne a enfin pu toucher l’aide sociale du CPAS. Problème : ils n’ont pas spontanément pensé à verser une partie de l’argent à leur famille d’accueil afin de participer aux différents frais dépensés depuis leur arrivée. "La situation devient compliquée, ça ne va plus parce que j’ai l’impression de priver mes propres enfants car on doit faire super attention, se serrer la ceinture. On se fait moins plaisir, on rogne sur les extras pour boucler les fins de mois. En mai, pour terminer mon mois, j’ai dû puiser sur mon compte épargne", glisse-t-elle.
D’une famille de 4 personnes à une famille de 7
Caroline a finalement décidé de faire appel à une amie qui parle le russe. "Je lui ai demandé qu’elle leur explique la situation, leur dire que financièrement ce n’était pas facile, et que comme ils touchent un revenu d’intégration, ça serait chouette qu’ils contribuent. Je trouve cela normal, mais je n’avais pas envie d’avoir l’air de leur prendre leur agent. Je crois qu’ils n’ont pas conscience du coût de la vie en Belgique." Ils ont finalement accepté de donner 200 euros pour le mois de mai, et 250 euros pour le mois de juin, "même si on est bien au-dessus de ça pour les nourrir. On passe d’une famille de 4 personnes à une famille de 7… Et il faut savoir qu’ils n’ont pas les mêmes habitudes alimentaires que nous. Nous, on va manger des tartines ou de la baguette à midi, eux, ils veulent manger des repas chauds deux fois par jour. Mais c’est délicat, je ne vais pas leur demander plus, ils sont plus malheureux que moi et leur situation est moins facile…"
Artur, Natalie, Caroline et son mari. © RTL INFO
Caroline ne se plaint pas du tout de ses invités, elle les trouve même très gentils et respectueux. "La maman m’aide dans la maison. J’ai une vie très active, les enfants font du sport, je ne suis pas souvent chez moi mais quand je rentre le soir, la maison est propre et le souper est fait, c’est agréable", reconnaît-elle. Mais ce qui la dérange, c’est qu’elle a l’impression que les autorités ne font rien pour les familles d’hébergeurs. "On ne reçoit aucune aide du gouvernement. On accueille gentiment mais au niveau financier, ça coince. Du côté de la Région wallonne, rien non plus", dit-elle, avouant que si l’expérience était à refaire, elle ne la referait certainement pas. "La Région aurait dû mieux encadrer l’accueil des réfugiés. Et prévoir des indemnités. En fait, il aurait été plus facile que le CPAS verse directement une partie à la famille d’accueil, sur base du revenu", ajoute-t-elle.
Nous n’avons pas à verser de l’argent aux personnes qui accueillent
Mais c’est malheureusement quelque chose que les CPAS ne peuvent pas faire. "L’aide sociale est due aux personnes dans le besoin, nous confirme Luc Vandormael, président de la Fédération des CPAS. Si on prend l’exemple d’un allocataire belge : il loue un appartement, ce n’est pas le CPAS qui va payer son loyer au propriétaire. Nous n’avons donc pas à verser de l’argent aux personnes qui accueillent." Il indique toutefois que si un hébergeur se trouve à un moment donné dans le besoin, il peut introduire un dossier auprès du CPAS de sa commune. Son dossier sera ensuite analysé comme tous les autres dossiers.
Il existe cependant une convention entre hébergeurs et hébergés, traduite en ukrainien. Elle a été mise en place par le ministre wallon du Logement, Christophe Collignon. Dans le cadre de cette convention, il est indiqué que "jusqu’à la perception d’un revenu, l’occupant occupe les lieux à titre gratuit", mais qu’"à partir de la perception des revenus par l’occupant, ce dernier s’engage à payer, en contrepartie de cette occupation, une indemnité mensuelle équivalente à 20% des revenus perçus."
Les revenus de l’aide sociale varient selon la situation de chaque personne. Ce montant a par ailleurs été indexé au 1er mai, nous informe le président de la Fédération des CPAS. Une personne cohabitante percevra désormais environ 743 euros. Une personne isolée touchera, quant à elle, approximativement 1.115 euros et une famille à charge 1.507 euros à peu près. À cela s’ajoutent aussi les allocations familiales pour les enfants.
Une convention pas obligatoire mais recommandée
Cette convention entre hébergeurs et hébergés n’est par contre pas obligatoire, mais vivement recommandée. "On préconise aux communes ou aux référents Ukraine de proposer cette charte aux familles, insiste Olivier Rubay, porte-parole du ministre Collignon. On conseille vraiment de passer par cette convention car ça permet de mieux encadrer."
Elle n’est pourtant pas signée par toutes les familles. "Nous, on a estimé que les Ukrainiens et les hébergeurs pouvaient s’entendre pour la participation aux frais. Je pense que tout le monde comprend qu’il faut participer à partir du moment où on vit, dort et mange chez quelqu’un", poursuit le porte-parole du ministre wallon du Logement.
De son côté, Caroline avoue ne pas avoir signé ce document. Elle n’avait d’ailleurs pas été directement mise au courant par sa commune. "J’ai eu connaissance de cette convention par les réseaux sociaux. Mais je ne l’ai jamais signée car on ne me l’a jamais proposée. Je n’ai pas eu d’explications dessus non plus", affirme-t-elle. Pourtant, la commune de Manhay nous assure "être passée dans les différentes familles avec ce document." La personne que nous avons eue en ligne reconnaît toutefois qu’au départ, "rien n’était encadré. Les Ukrainiens sont arrivés chez nous sans même avoir été enregistrés à Bruxelles. Au début, il n’y avait pas de convention. Ce document est arrivé par la suite."
Maintenant, Caroline estime qu’il est un peu tard pour signer la convention. Ses invités ont en effet trouvé un logement du côté de Malines. "Ils ont des connaissances qui habitent là-bas donc ils voulaient s’y établir. Mais l’appartement qu’ils ont trouvé n’est disponible qu’à partir du 14 juillet."
Un plan d’hébergements collectifs
Dans tous les cas, le porte-parole du ministre Collignon insiste : "il faut éviter que cela devienne trop dur pour les gens, trop compliqué à assumer… L’aventure peut se terminer du jour au lendemain. Il faut s’arranger avec la commune ou la personne de référence et une solution sera trouvée pour héberger les Ukrainiens."
Un plan d’hébergements collectifs vient d’ailleurs de voir le jour pour soulager les familles pour lesquelles la situation devient difficile. "32 millions d’euros ont été dégagés pour la création de 3.500 places. Ça va se lancer dans les prochaines semaines mais ça doit être bien encadré, il faut vérifier la salubrité des sanitaires, etc.", nous indique Olivier Rubay. Il précise que la convention prévue par la ministre Collignon devra d’office être signée par les Ukrainiens. "Les hébergés participeront aux frais de l’hébergement collectif, c’est une question de bon sens", conclut-il.
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