Alain est en incapacité de travail depuis 2015. Il a été déclaré comme invalide, à la suite de plusieurs soucis de santé, dont deux thromboses. Il reçoit un revenu d’invalidité de la part de sa mutuelle, mais ce dernier n’est pas suffisant selon lui, car son loyer, ses factures et ses frais médicaux lui coûtent beaucoup d’argent. Il doit cette année rembourser plus de 1.300 euros aux impôts, ce qu’il n’avait jamais dû faire jusqu’à présent, et il n’en comprend pas la raison. Alain a tenté d’obtenir un logement social, en vain. Les démarches sont strictes et fonctionnent avec un système de points.
C’est un peu une descente aux enfers que connait Alain, depuis plus de 4 ans à présent. "Je suis au bord du gouffre, je n’en peux plus", commence-t-il après nous avoir contactés via le bouton orange Alertez-nous. Cet habitant d’Yvoir de 59 ans a été reconnu comme invalide en 2015, suite à plusieurs problèmes de santé. Depuis lors, boucler décemment chaque fin de mois s’avère, selon lui, être une mission quasi impossible.
J'ai un peu connu, entre guillemets, la gloire… J’avais deux maisons, deux voitures, j’allais en vacances
Alain a travaillé toute sa vie dans le bâtiment. "J’ai commencé en 1989. J’ai longtemps été indépendant, j’ai toujours travaillé très dur", assure-t-il. "Je me suis fait escroquer par un gars que j’avais engagé. J’ai revendu mes bâtiments, je suis parti à l’étranger. Je suis ensuite revenu en Belgique, en 2000, lorsque ça n’a plus été avec mon ex-femme." A cette époque, la chance lui sourit un peu plus. "J'ai un peu connu, entre guillemets, la gloire… J’avais deux maisons, deux voitures, j’allais en vacances. Je ne devais pas regarder quand je devais faire les courses, et j’allais au restaurant."
Mais l’horizon a commencé à s’assombrir, lorsque les problèmes de santé d'Alain ont débuté. "J’ai eu une thrombose en 2009. J’ai été quelques mois sur la mutuelle, j’ai un peu retravaillé. Et puis plus tard, un client ne m’a pas payé. De ça j’ai refait une deuxième thrombose". Nous sommes alors en 2015. Alain est déclaré invalide.
"Rien que pour mettre mes chaussettes, je souffre le martyre"
Les soucis ne s’arrêtent pas là. Alain est atteint de fibromyalgie, un mot donné pour un ensemble de symptômes liés aux muscles et aux nerfs. "Tout cela m’empêche de bouger comme je veux. Par exemple, ma compagne adore marcher, mais moi je ne peux plus le faire avec elle. En plus, j’ai pris beaucoup de poids. Je suis passé de 100 à 140 kilos, à cause de problèmes de thyroïde." Et à cause de cela, il a un goitre, une tumeur à la thyroïde qui provoque une déformation de la partie antérieure du cou, ainsi que des nodules. "Rien que pour mettre mes chaussettes, je souffre le martyre. Quand ma compagne est là, je lui demande de me donner un coup de main."
Comme toutes les personnes dans sa situation, Alain a dû faire des démarches auprès de sa mutuelle, pour faire reconnaître son invalidité. "Quelle que soit la mutualité, il faut tout simplement apporter le certificat d’incapacité fourni par le médecin traitant", explique Simon Vandamme, chargé de communication chez Solidaris. "Et durant la première année, il faut à chaque fois apporter les prolongations de ce certificat."
À la fin de cette première année, le médecin conseil va proposer une déclaration d’invalidité. "Il la transmettra à l’Inami, qui fixera la période d’invalidité en fonction de la situation de la personne." Comme souvent, tout cela se fait au cas par cas.
Un revenu d'invalidité
De ce constat, la mutuelle versera alors un revenu d’invalidité. "Il est calculé en fonction de la situation de la personne. On prend 65% de sa rémunération brute s’il s’agit du chef de ménage, 55% s’il s’agit d’un individu isolé, 40% s’il s’agit d’un cohabitant, peu importe la mutuelle." Les calculs diffèrent en fonction du statut, ouvrier ou employé, ou encore du nombre de jours travaillés le mois précédent. Ils déterminent aussi un seuil minimal de rémunération, en-dessous duquel on ne peut pas descendre.
Il ne reste qu’un peu de pain et des soupes en sachet
Le revenu d’Alain varie légèrement en fonction des mois. Mais selon lui, il lui permet à peine de vivre. "J’ai fait un calcul complet. En moyenne, je reçois 1.518 euros par mois… Et sans faire d’excès, j’en dépense plus de 1.480", déplore-t-il. Il dénonce ce qu’il appelle un cercle vicieux. "Vous retirez 700 euros de loyer, l’électricité, la télé, internet, le téléphone. Tout cela, est indispensable à l’heure actuelle, c’est loin d’être superflu." À cela s’ajoutent les dépenses liées à la vie quotidienne, comme la nourriture. "Souvent, pour terminer le mois, mon frigo est vide. Il ne reste qu’un peu de pain et des soupes en sachet."
Et il faut encore ajouter les frais médicaux. "Je suis obligé de faire des prises de sang régulièrement, qui me coûtent 27 euros, pour pouvoir bénéficier de la réduction de certains médicaments. Par exemple, il y en a un que je ne paye que 16 euros, alors que normalement il coûte presque 100 euros."
"C’est impossible de mettre 10 euros de côté chaque mois."
Ces soucis financiers l’ont amené à ce constat: "C’est impossible de mettre 10 euros de côté chaque mois." Il ne peut même pas réparer sa voiture. "Elle est tombée en panne il y a 4 mois. Elle va avoir 17 ans, et elle va pourrir devant chez moi. Je ne sais pas la réparer, je suis bloqué chez moi. J’ai toujours été un homme vaillant. Quand je voulais quelque chose, je l’ai toujours eu, que ce soit pour une voiture, une maison, etc. Quand on se retrouve sans rien, c’est très dur."
Face à tout cela, Alain n’a pas d’autre choix que de trouver, comme il les appelle, des petites astuces pour tenter de gagner un peu d’argent. "Je viens de changer de fournisseur d’électricité, j’ai pu récupérer 20 euros. Comme j’ai un vieux frigo, il consomme beaucoup, alors je le diminue pour qu’il refroidisse juste ce qu’il faut." Il a aussi dû se résoudre à rogner dans son traitement médical. "Comme je n’ai pas les moyens de prendre tous mes médicaments, il y en a que j’ai supprimés. Je ne prends que ce qui est vraiment obligatoire. A l’heure actuelle je prends 5 médicaments, mais normalement je devrais en prendre beaucoup plus."
Des impôts à payer
Quelle ne fut pas sa surprise également, lorsqu’il a ouvert une enveloppe du SPF (Service Public Fédéral) Finances. "J’ai reçu mes contributions, elles étaient de 1.300 euros. Imaginez-vous avec le loyer que je paye. Dites-moi comment les gens peuvent vivre avec ça? C’est impossible!" Il ne comprend pas pourquoi il doit tout d’un coup rembourser autant. Il n’avait jamais dû le faire, sauf lors de l’exercice précédent, où ses impôts s’élevaient à 600 euros. "Je pense aussi que c’est parce que mon revenu annuel total est cette fois-ci passé, pour la première fois, à 19.400 euros."
C’est en effet une bonne analyse. "Les revenus d’invalidité sont indexés en fonction du coût de la vie, et du bien-être de la personne", détaille Simon Vandamme, de Solidaris. "Tous les deux ans, un groupe d’experts se réunit. Il donne ensuite une note au gouvernement, qui la valide, et qui mène à l’indexation de ces revenus." Et bien évidemment, ceux-ci sont soumis à l’impôt, bien qu’il existe certaines réductions, comme une cotisation spéciale sécurité sociale. "Mais ce montant n’a jamais été indexé depuis plus de 20 ans, c’est un vrai problème."
Je vais devoir payer 80 euros par mois, sinon je suis fiché à la banque nationale
Mais alors, pourquoi Alain doit-il si soudainement payer une telle somme? D’abord, donc, parce que son revenu a été indexé, et surtout parce que tout porte à croire qu’il a dépassé un plafond. "Il n’y a pas d’impôt si on a un revenu d’invalidité annuel inférieur à environ 18.000 euros." Etant donné que le revenu d’Alain a dépassé ce seuil à présent, il est devenu imposable. C’est pour cela qu’il n’a pas voulu en rester là. "J’ai été rouspéter aux contributions. Ils m’ont demandé de remplir un dossier avec mes dépenses. J’ai dû mettre un mot pour expliquer pourquoi je demande un plan d’apurement. Je vais devoir payer 80 euros par mois, sinon je suis fiché à la banque nationale."
Les plans de paiement du SPF Finances
Le Service Public Fédéral Finances prévoit en effet plusieurs facilités de paiement pour ceux qui rencontrent des difficultés financières. "Les citoyens ou entreprises qui ont une dette auprès du SPF Finances et qui, à la suite de problèmes de paiement temporaires, ne sont pas en mesure de payer le montant demandé, peuvent demander un plan de paiement", détaille Florence Angelici, la porte-parole du SPF Finances. "Nous distinguons deux situations: ils peuvent payer dans un délai de 4 mois après la date d’échéance ou pas."
Dans le premier cas, la procédure est assez simple. La personne doit introduire une demande au plus tard le jour de l’échéance de la dette. Le SPF vérifiera si elle n’a pas d’autre dette envers elle, et, dans le cas d’entreprises et d’indépendants, si ces derniers sont en règle en matière d’obligations légales (comme le paiement de la TVA, etc.). Il restera au contribuable à honorer sa dette dans les 4 mois.
A l’inverse, si le citoyen ne peut pas payer de la sorte, son plan de paiement va devoir faire l’objet d’une analyse plus poussée, comme ça a été le cas pour notre alerteur. Le SPF se penchera sur ses revenus et ses dépenses. Il détaille sur son site internet les différents critères dont il va tenir compte:
"- la capacité de paiement,
- le délai dans lequel la (les) dette(s) peut (peuvent) être apurée(s) en fonction de la capacité de paiement
- la durée maximale du plan qui ne peut jamais être supérieure à 12 mois après l’apparition de la dette la plus récente comprise dans la demande."
"Je ne reçois aucune aide pour avoir un logement social"
Pour tenter de diminuer ses dépenses mensuelles, Alain a déjà essayé de déménager… sans succès. "Je suis bloqué dans un appartement qui me coûte les yeux de la tête. Je ne parviens pas à déménager parce que je ne trouve rien à ma convenance, et je ne reçois aucune aide pour avoir un logement social. Je sais que je ne suis pas le seul. Mais je suis allé au CPAS, et on ne veut rien savoir. On m’a ri à la figure en me disant qu’il y a 10 ans d’attente."
Les logements sociaux sont gérés par plusieurs plateformes. La Société wallonne du logement, est l’organisme régional global. Elle dirige les 64 sociétés de logement de Wallonie. Celles-ci sont, en quelque sorte, des antennes locales. Ainsi, dans la région d’Yvoir, c’est la Dinantaise qui se charge de l’attribution de logements sociaux.
Il ne faut pas confondre ces organismes avec les AIS, les agences immobilières sociales, qui appartiennent au Fonds du Logement des familles nombreuses de Wallonie. "L’agence immobilière sociale, elle fait l’intermédiaire entre les locataires et les propriétaires. Elle s’occupe elle-même des visites, ou encore de remettre le logement en état, si nécessaire, après le passage d’un locataire", détaille Christine Bador, la présidente du CPAS d’Yvoir, et vice-présidente de la fédération des CPAS wallons. Les AIS rédigent ainsi elles-mêmes les baux, et assurent le suivi des obligations locatives et des paiements.
"Il faut compter deux ou trois ans"
Le délai d’attente de 10 ans avancé par notre alerteur est trop élevé par rapport à la réalité, pour Christine Bador. "Dix ans c’est exagéré. Dans cette région-là, qui est une région rurale, il faut compter deux ou trois ans." C’est d’ailleurs ce qu’a constaté le Centre d’Etudes pour un Habitat Durable, dans un rapport sur les ménages candidats à un logement public en Wallonie au 1er janvier 2017, préparé en collaboration avec la Société wallonne du logement. Les ménages ayant obtenu un logement en 2016 ont dû attendre environ 1 an, 8 mois et 8 jours.
Pour pouvoir bénéficier d’une aide sociale, celui ou celle qui la demande doit rentrer un dossier. "La personne doit formuler une demande d’aide sociale au service du CPAS. Elle fera l’objet d’une enquête sociale qui va déboucher sur un rapport social. Dès qu’il est établi, il passe au conseil, et c’est lui qui prend la décision d’attribuer une aide ou non." Elle le conçoit, une telle démarche est loin d’être agréable. "Il faut que la personne accepte cette enquête sociale. Ce n’est pas toujours facile, parce que ça va loin, on demande les extraits de compte, quels sont les revenus etc."
Il y a plusieurs logements sociaux dans la commune d’Yvoir, mais aucun n’est libre pour l’instant. "Nous avons trois logements qu’on a mis en gestion à l’agence immobilière sociale, mais ils sont tous pris. Nous avons aussi un logement de transit, dans lequel on peut passer 6 mois, avec un bail renouvelable une seule fois. Et il y a aussi un logement d’insertion, avec un bail de trois ans maximum." Ce dernier correspond plutôt à une solution temporaire, en attendant que le bénéficiaire puisse se voir attribuer un autre logement. Il existe également un logement dit d’urgence, dans la commune. "Il y a plusieurs conditions pour l’obtenir. Par exemple, le domicile de la personne a été déclaré insalubre, ou celle-ci est victime de violences conjugales, etc."
Comment bénéficier d’un logement social?
Le système fonctionne via l’attribution d’un certain nombre de points, en rapport avec les difficultés vécues par la ou les personne(s). "On additionne tous ces points, on voit qui en a le plus, et qui peut ainsi recevoir un logement. Par exemple, quand on vit dans une maison inhabitable on a 4 points. Trois points en plus quand on a un enfant handicapé, ou encore quand on a des revenus bas." L’ancienneté joue aussi: plus on attend un logement social, plus on a de points. Le handicap d’Alain, dans ce cas, lui octroie ainsi 3 points.
Ainsi, sur son site internet, la Société wallonne du logement détaille les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier d’un logement social. La première, c’est de ne pas dépasser un plafond de revenus. "Vos revenus annuels imposables globalement trois ans auparavant (ou vos revenus actuels s’il y a un écart de 15% au moins entre vos revenus actuels et ceux d’il y a 3 ans), ne doivent pas dépasser:
- 42.400 euros pour une personne isolée, augmentés de 2.500 euros par enfant à charge
- 51.300 euros pour un ménage composé de plusieurs personnes, augmentés de 2.500 euros par enfant à charge."
La seconde condition est plutôt évidente: on ne peut pas être propriétaire. Il vous faudra ensuite remplir un dossier auprès de votre société de logement pour détailler le type de logement dont vous avez besoin (nombre de chambres, etc.)
Les agences immobilières sociales (AIS) ont également des critères de ce type. Ils sont là aussi liés aux revenus, et sont détaillés sur leur site internet. Pour les ménages en état de précarité, "le montant annuel imposable du revenu du ménage locataire ne peut dépasser 13.700 euros pour une personne seule, 18.700 euros pour un couple". Ces sommes sont augmentées de 2.500 euros par enfant à charge. Les AIS prennent en considération aussi les ménages à revenus modestes, là aussi avec des seuils: 27.400 euros pour une personne seule, 34.200 pour un couple, augmentés à nouveau de 2.500 euros par enfant à charge.
Des demandes sans cesse croissantes
Les demandes d’obtention d’un logement social ne font qu’augmenter. On en compte environ 40.000 en instance encore cette année. A titre d’exemple, en 2012, 37.983 candidats étaient en attente d’un logement en Wallonie. Au 1er janvier 2017, ce chiffre a grimpé à 39.464. Les ménages demandeurs sont surtout localisés dans les Provinces de Hainaut et de Liège. A elles deux, elles regroupent 73,2% des ménages candidats.
Christine Bador, la présidente du CPAS d’Yvoir, en est bien consciente, la paupérisation est en nette augmentation. Et on ne sait pas toujours y faire face, au sein des CPAS. "Il y a une règle de la Région wallonne qui voulait instaurer 10 % de logements sociaux par commune. Ce n’est pas possible dans les communes rurales. A Yvoir, ça ferait 100 logements, puisqu’on n'est que 10.000. On n’a pas les moyens pour cela." En plus, elle l’affirme, c’est encore plus compliqué dans les villes. "Il y a une énorme demande, les moyens sont insuffisants. Et du coup, de nombreuses personnes se retournent vers les petites communes, en espérant recevoir plus d’aides." Selon elle, tout est fait pour améliorer la situation dans la commune. "Dès le 1er janvier, le CPAS d’Yvoir va reprendre la gestion de 8 logements publics sociaux. Il s’agit de logements avec un loyer modéré de 500 ou 550 euros."
Quoiqu’il en soit, si Alain a été refusé lors de ses demandes précédentes, il ne doit pas perdre espoir. "Il faut que les gens renouvellent chaque année leur candidature", explique Omer Laloux, le directeur-gérant de la société de logements La Dinantaise. "Ils doivent ainsi actualiser leur dossier en fonction des changements, par exemple dans la composition de leur ménage. S’ils font cela consciencieusement, le délai pour obtenir un logement est de deux ou trois ans. Et s’ils ont plein de points de priorité, pas plus de 5 ou 6 mois." Les dossiers doivent être actualisés pour le 15 février, chaque année.
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