Nicolas nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour témoigner anonymement de la situation dans les zones de secours. Le secteur est sur les genoux après 3 années compliquées, et le nombre d’interventions augmente de plus en plus. Aujourd’hui, ce pompier-ambulancier a l’impression de "jouer au taxi jaune" avec une population qui réclame une ambulance à la moindre occasion. Des mouvements de grève sont prévus dans les prochaines semaines.
"Je vous écris ce message de détresse concernant les services de secours", indique d’emblée Nicolas (nom d’emprunt) via notre bouton orange Alertez-nous. "En plus d’être en sous-effectif, le personnel des services de secours est soumis à une pression croissante : les ambulances non-urgentes. La population appelle pour tout et n’importe quoi", explique celui qui préfère garder l’anonymat.
Pompier-ambulancier depuis 6 ans, Nicolas nous dit aimer son métier plus que tout. Mais selon lui, les équipes arrivent de plus en plus à saturation. "Nous tirons la sonnette d’alarme, nombre de mes collègues sont en burn-out malgré l’amour de leur métier", nous écrit-il encore. Le problème ? "Les gens qui appellent pour un taxi. Nous partons sur de fausses missions."
La dame nous attendait debout avec ses valises
Nicolas nous explique que, depuis le Covid, les pompiers-ambulanciers ont l’impression que la population compose systématiquement le numéro 112 sans réelle urgence. "Encore hier, j’arrive sur une intervention pour une dyspnée – c’est-à-dire des difficultés à respirer – et la dame nous attendait debout avec ses valises. On prend ses paramètres, ils sont bons. On lui demande ce qu’elle veut faire et elle nous dit qu’elle veut être emmenée à l’hôpital donc on le fait. Quand on arrive aux urgences, on se rend compte que sa fille nous suivait en voiture pour, en fin de compte, l’accompagner aux urgences. Donc, où est la nécessité d’un transport en ambulance ?", se demande-t-il.
Et des exemples comme celui-ci, Nicolas peut nous en donner des dizaines. "J’ai des collègues qui sont allés sur une intervention à 3h du matin pour une dame qui a fait un cauchemar. Pour finir, elle a refusé le transport en ambulance. Mais en attendant, c’est un vecteur qui se déplace pour rien et qui est neutralisé. Alors que quelque chose de plus grave pourrait se passer ailleurs et on devrait peut-être faire appel à une autre zone ou à un autre poste, ce qui prendrait plus de temps."
Trop de départs inutiles
La solution, selon ce pompier-ambulancier, serait de faire "un meilleur dispatching au 112", estime-t-il. "J’ai l’impression que lorsque la personne appelle le 112, la centrale 112 envoie systématiquement une ambulance. Il faut revoir le système de tri. Peut-être en posant d’autres questions, ou faire en fonction des antécédents des patients… En tout cas, trop de gens appellent et pour finir, on sature."
Cette impression, elle est aussi partagée par Eric Labourdette, président du Syndicat Libre de la Fonction Publique (SLFP) dans les zones de secours. "Souvent, c’est par facilité et pas par nécessité. Les gens appellent une ambulance parce que c’est très rapide. Les soins sont aussi donnés en priorité car quand vous arrivez en ambulance aux urgences dans les hôpitaux, vous passez d’office avant les gens qui attendent dans la salle d’attente. Et puis, ce n’est pas cher et même gratuit pour les personnes qui dépendent de l’aide sociale", développe le président du SLFP zone de secours.
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Pour lui, l’envoi systématique d’ambulances est un réel problème mais "on n’ose plus refuser le transport d’un malade… même imaginaire parce qu’on risque de se retrouver au tribunal pour non-assistance à personne en danger", glisse Eric Labourdette. "On arrive à un système à l’américaine où on a peur de tout."
Comment fonctionne la centrale 112 ?
Pour comprendre comment fonctionne une centrale d’urgence, nous nous sommes rendus à celle de Namur. Environ 500 appels y sont traités chaque jour. Et on nous confirme que les demandes sont parfois surprenantes… Lors de notre tournage, Houda Ouardani, opératrice 112, est confrontée à une personne qui réclame une ambulance pour un mal de tête. "Nous, on n’a pas l’image, on a juste un son. On a une personne qui est en panique, parfois en détresse, et on ne prend pas le risque de laisser cette personne ainsi si elle a vraiment besoin d'être prise en charge aux urgences", dit-elle.
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Ces opérateurs se basent le manuel belge de la régulation médicale pour établir la gravité de chaque appel. Celui-ci a été validé par un groupe d’experts. A l’intérieur, on retrouve des dizaines de protocoles. Le centraliste doit ainsi procéder par questionnement pour définir le type d’urgence. Les niveaux 1 et 2 étant les plus graves et nécessitant l’intervention du SMUR. "C’est un manuel qu’ils connaissent par cœur, ils sont formés à ça", nous explique Johann Falque, chef de service centrale d’urgence 112 de Namur.
D’autres pistes, comme l’utilisation de la vidéo, sont étudiées pour améliorer la qualité du service. "Ce qui pourrait être intéressant par rapport à la vidéo, c’est lors d’un accident pour avoir la vision d’ensemble, où d’un bâtiment en feu pour voir le dégagement de fumée… ", note le chef de service de la centrale d’urgence 112 de Namur.
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En 10 ans, le nombre d’intervention des services de secours a augmenté de près de 50%. Pour nos interlocuteurs, sensibiliser la population à ne pas composer systématiquement le 112 et à se prendre en charge eux-mêmes serait primordial. Et pour se faire entendre, le secteur compte participer à une grève nationale le 9 novembre prochain.
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