Les personnes les plus vulnérables sont des cibles privilégiées pour les arnaqueurs et autres vendeurs à la déontologie douteuse. Bénédicte essaye tant bien que mal de les éloigner de sa mère Louise, atteinte de la malade d'Alzheimer. Mais cette dernière s'est tout de même laissée avoir par une démarcheuse téléphonique aussi aimable que malveillante.
Louise*, 75 ans, souffre de la maladie d’Alzheimer, ce qui fait d’elle une personne particulièrement vulnérable, et une cible pour les personnes mal intentionnées. Nombreux sont ceux qui tentent de lui soutirer de l’argent. "Ces derniers mois, c’est vraiment devenu infernal…", désespère sa fille Stéphanie* via le bouton orange Alertez-nous. Récemment, Louise a été victime d’une arnaque via des appels surtaxés. Avec à la clef, une facture Proximus de 526 euros…
Divers démarcheurs tentent leur chance auprès de Louise
Il y a un an et demi, Stéphanie, 53 ans, a commencé à s’inquiéter pour sa mère quand elle a remarqué qu’"elle posait souvent les mêmes questions, racontait souvent les mêmes choses". Rendez-vous a été pris chez un neurologue, qui a diagnostiqué à Louise la maladie d’Alzheimer.
Mais comme celle-ci est toujours "relativement autonome", précise sa fille, elle peut toujours vivre seule dans son logement à Waremme. Une situation qui l’expose aux tentatives d’arnaque. Et en effet, Louise est sollicitée par des démarcheurs en tout genre : "Électricité, vendeurs de vins, vendeurs de collection de pièces, timbres Edel Collecties et autres brigands !", égrène sa fille. "Une fois par mois, je devais annuler des contrats d’énergie, électricité, gaz, qu'elle avait pris par téléphone", raconte-t-elle.
Stéphanie, qui passe quotidiennement rendre visite à sa mère, tombe parfois sur ces démarcheurs lorsqu’elle décroche le téléphone. Par exemple, des vendeurs de vins très insistants : "‘Votre livreur passera à telle date’", lui lance-t-on. "Je leur dis 'non vous ne passerez absolument pas’", raconte-t-elle.
Quant aux timbres Edel Collecties, Stéphanie n’est pas la seule à s’indigner de leur méthode de vente. Le site de Test-achats compte des dizaines de plaintes publiques concernant ces produits : des clients ayant reçu des pièces non commandées. "Elle recevait des courriers, il fallait que Louise paye. C'était presque du harcèlement, dénonce également Stéphanie. J'ai téléphoné pour leur dire 'c'est terminé, vous arrêtez avec ça'".
Comment ces démarcheurs parviennent à abuser les personnes vulnérables, telles que les malades d’Alzheimer ? Ils utilisent des méthodes d’écoute en principe utilisées par les soignants, explique Sabine Henry, présidente de la Ligue Alzheimer. Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont "extrêmement sensibles à une communication qui reflète ce qu’ils disent eux-mêmes". Pour ce qui est des contrats, l’argument de "faire des économies" résonne le mieux auprès des personnes âgées, qui ont parfois connu des temps moins prospères, explique encore Sabine Henry.
Stéphanie a inscrit Louise sur la liste "Ne m'appelez plus", mise en place par le SPF Economie, et censée empêcher les appels téléphoniques publicitaires. "Ça s'est un peu calmé mais ça continue quand même", constate-t-elle.
Une facture de 526 euros finalement annulée par Proximus
Le 9 mars au matin, un inconnu a téléphoné à Louise sur sa ligne fixe. "On baratine ma maman, je ne sais pas comment. Mais on lui demande de rappeler à un numéro", raconte Stéphanie. Entre 9h45 et 15h30, Louise a passé 30 appels vers le 090755412. Un numéro... à 2 euros la minute.
Deux jours plus tard, Stéphanie a reçu la facture : 526 euros pour les 30 appels. Elle a directement porté plainte auprès de Proximus pour abus sur personne âgée. Deux semaines après, Proximus a annulé la facture.
Nous avons regardé sur le moteur de recherche CRDC, géré par une asbl désignée par l'IBPT, (l'Institut Belge des services Postaux et des Télécommunications). Le numéro en question a été loué auprès de Proximus par l’entreprise "Call Slice", située en Tunisie, et qui se présente sur Facebook comme un "Service de télémarketing".
Un recours possible via le service de médiation pour les télécommunications
Si Proximus n’avait pas annulé la facture de sa mère, Bénédicte envisageait d’enregistrer une plainte auprès d’Ombudsman, service de médiation pour les télécommunications. "Toute personne (ou entreprise) peut demander l’intervention gratuite du service de médiation lorsqu’aucune solution satisfaisante n’a été trouvée lors de ses contacts avec son opérateur", souligne David Wiame, le porte-parole de ce service.
Les différents moyens d’introduire une plainte au service de médiation des télécoms :
- formulaire web via www.mediateurtelecom.be;
- e-mail : plaintes@mediateurtelecom.be;
- tél : 02 223 0606.
David Wiame indique que son service a enregistré 252 plaintes en 2021 concernant des pratiques frauduleuses via les canaux de communication électronique. Parmi celles-ci, 64 plaintes concernent la fraude "wangiri", la forme d’arnaque dont il s'agit ici, par laquelle les utilisateurs finaux sont incités à rappeler des numéros payants surtaxés.
"Grâce aux plaintes en médiation, divers numéros utilisés pour commettre une fraude 'wangiri' ont été effectivement bloqués pour les appels sortants. Reste à se demander si les opérateurs n’auraient pas pu instaurer ces blocages plus tôt", note le service de médiation dans son rapport annuel.
Des procédures mis en place pour protéger Louise
Stéphanie a pris plusieurs mesures préventives pour empêcher que cela ne se reproduise. D'abord, elle continue de passer tous les jours voir sa mère. Une présence qui, en soi, constitue un premier rempart contre les arnaques. Elle en profite pour consulter le répertoire des appels entrants et sortants sur son téléphone portable. Sur celui-ci, Stéphanie a collé un autocollant "ne pas décrocher un numéro inconnu". "C'est compliqué de donner des conseils à une personne d'Alzheimer parce que c'est tout de suite zappé. Il faut vraiment un écrit, et encore, il faut que l'écrit soit à la bonne place", explique Stéphanie.
Elle a dû se résoudre à couper la ligne de téléphone fixe de sa mère, mettant un terme à son contrat chez Proximus.
En outre, Louise a fait bloquer tous les appels passés vers des numéros surtaxés chez l'opérateur de son téléphone portable, Base.
Quelle prévention pour éviter ces arnaques ?
"Les personnes âgées, sensibilisées par un discours aimable, vont quand même écouter", constate Sabine Henry. La solution, explique-t-elle, c’est donc d’être en mesure d’annuler des contrats, des achats abusifs. Pour ce faire, il faut suivre une procédure de mise sous administration de la personne, via le juge de paix, recommande-t-elle. Un avocat, ou quelqu'un de la famille, est alors désigné pour assister et représenter la personne protégée. "De notre expérience, ces professionnels-là sont tout à fait bénéfiques pour les familles. La majorité fait ça très, très consciencieusement", raconte Sabine Henry.
"Beaucoup de familles évitent de mettre leur proche sous administration parce qu’il est alors déclaré ‘incapable’", explique-t-elle. Un terme juridique qui est difficile à accepter par les familles. Pourtant, c’est parfois "la seule protection officielle" pour une personne âgée atteinte de démence. Et son coût se limite à 3% des revenus de la personne protégée.
Mais pour Stéphanie, cette démarche représente trop de travail sur le plan administratif. "C'est beaucoup de paperasse, elle n'en est pas encore là", estime-t-elle.
Tout l'art de l'accompagnement, c'est l'équilibre entre la protection et le bienêtre d'une qualité de vie
En-dehors de cette procédure, la présidente de la Ligue Alzheimer conseille d'accroître autant que possible les présences bienveillantes autour de la personne vulnérable. Le voisinage, l'entourage, peuvent être alertés de ces risques de tentatives d'arnaque. Les aides familiales, aides ménagères, lorsqu'elles sont sensibilisées à ces problèmes, peuvent les repérer.
Néanmoins, Sabine Henry souligne qu'une surprotection de la personne vulnérable se traduit par une diminution de sa qualité de vie. "Par amour ou par affection, les aidants deviennent contrôleurs et limitent sa liberté d'action", explique-t-elle. Ce qui était censé être une aide rassurante est alors perçu comme une ingérence dans l'autonomie de la personne. "Tout l'art de l'accompagnement, c'est l'équilibre entre la protection et une qualité de vie, qui contient forcément une part de risques".
Sur les conseils de la Ligue Alzheimer, Louise a déjà choisi une maison de repos "tant qu'elle est capable de décider où elle veut aller", explique Stéphanie. Louise y prendra ses quartiers en ultime recours, "quand on n'aura plus le choix, indique Stéphanie. Le jour où on trouve que cela devient dangereux, inquiétant".
*noms d’emprunt afin de garantir l’anonymat
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