En septembre 2018, Evlyn a été victime d'un viol de la part d'un inconnu. La jeune fille, handicapée mentale, n'a pas été en mesure de décrire son agresseur et son dossier a été classé sans suite par manque d'élément. Sa maman appelle à l'aide alors que le dossier de sa fille semble définitivement clos.
Il y a encore quatre ans de cela, Evlyn avait "une vie normale". Cette jeune femme de 23 ans a un retard mental depuis son plus jeune âge "estimé à 80% quand elle était petite", raconte sa maman. Jusqu’à ses 19 ans, Evlyn allait tous les jours dans une école spécialisée avec d’autres personnes porteuses de handicap.
Elle et sa maman habitaient à deux à Liège. Malgré le handicap de sa fille, Mauricette, la maman, a toujours tenté de la rendre la plus autonome possible. "Elle avait sa carte de banque, elle allait au carrefour pour s’acheter sa bouteille d’eau. Tout le monde la connaissait dans le quartier", raconte Mauricette, qui donnait la permission à sa fille d’aller faire des promenades dans le quartier quand elle le demandait. "Elle allait dire bonjour à la boulangerie puis chez le coiffeur".
Evlyn faisait toujours le même tour dans son quartier, car "elle n’a pas le sens de l’orientation". Si elle avait essayé de faire un autre tour, elle se serait vite perdue.
Evlyn avant son agression
Le drame
Cette petite vie bascule le samedi 22 septembre 2018. Alors qu’elle part à 15h de la maison pour faire sa promenade - après avoir demandé la permission à sa maman comme toujours - Evlyn n’est toujours pas rentrée une heure plus tard. Ce n’était encore jamais arrivé.
"Je l’ai appelée samedi à 16h", se souvient Mauricette avec émotion. "Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas parler, qu’elle était avec quelqu’un. Puis je n’ai plus eu de nouvelles".
Paniquée, la maman a "tourné en rond comme une folle" partout dans son quartier pour tenter de retrouver sa fille. En vain.
Ce n’est que le lendemain, après une nuit d’angoisse, que le téléphone sonne. La police a retrouvé Evlyn, assise seule sous la pluie au milieu de la place Saint-Lambert, à Liège.
En état de choc, la jeune fille, âgée de 19 ans à l’époque, peine encore plus que d’habitude à s’exprimer pour raconter à sa mère ce qui lui est arrivé.
La place Saint-Lambert où Evlyn a été retrouvée par la police
Difficulté à se souvenir
D’après ce qu’Evlyn a rapporté, un inconnu l’a violée et l’a - entre autres - forcée à lui faire des fellations. Comme de très nombreuses victimes d’un viol, la jeune fille ne se souvient de presque rien. Seulement de flashs qui lui reviennent par moment. "Une personne ‘normale’ ne sait déjà pas gérer son viol, mais alors une personne handicapée…", se désole sa maman.
Cette difficulté à "gérer son viol" (pour n'importe quelle personne) peut être dûe à deux phénomènes qui se déroulent pendant l’agression. La sexologue Virginie Piront les définit comme tels : "Pendant [le viol] il y a l’état de sidération durant lequel les victimes sont sidérées, donc elles ne savent plus bouger ni être en pleine possession de leurs moyens : au niveau des mouvements, de la respiration, du fait d’appeler à l’aide et de dire non, de se défendre...".
L’autre état dans lequel les victimes de viol peuvent se mettre est "l’état de dissociation". "Il y a quelque chose de l’ordre d’un ‘black-out’ au niveau de la conscience. Ça peut aller, dans des cas les plus graves, à des personnes qui disent ‘sortir de leur corps’", explique encore la spécialiste. Elle décrit cela comme "ne plus être présente, ne plus être dans la conscience de ce qui est en train de se passer pour se mettre psychologiquement de côté. La conscience de la personne se dissocie de son corps pendant l’événement pour se protéger psychologiquement, tellement l’agression est violente."
Evlyn après son agression
De nouveaux problèmes font surface
Après avoir été retrouvée par les policiers, Evlyn a commencé à développer des problèmes psychiatriques "qu’elle n’avait pas avant". Pour y faire face, elle a dû rester 14 mois à l’hôpital pour y avoir un suivi et une aide psychiatrique.
Une situation doublement problématique pour Evlyn et sa maman. Le handicap de la jeune fille, combiné à ses récents problèmes psychiatriques, exige d’être traité par un spécialiste. Or, "il n’y en a que deux dans toute la Belgique", regrette la maman.
Un traitement lourd
Heureusement pour elles, Evlyn a pu avoir une place à l’hôpital de Manage, où travaille un des deux spécialistes. Mais le traitement est lourd : "elle doit prendre 21 cachets par jour, dont des narcoleptiques". Une des conséquences de cette prise massive de médicaments est une prise de poids très importante pour la jeune fille. "Elle a passé les 100 kilos à 23 ans", indique sa maman.
Outre la prise de médicaments, la prise de poids après avoir subi une agression sexuelle peut être "une stratégie [de défense] inconsciente", détaille encore la sexologue Virginie Piront. Elle explique que le corps agit ainsi "pour ne plus être attirant". "C’est une forme de culpabilité qu’on retourne contre soi pour ne plus provoquer ce qui est arrivé, pour s’assurer de ne plus être désirable", ajoute la spécialiste. Elle précise qu'elle "ne dit pas que c’est [le cas d'Evlyn], mais que ça arrive fréquemment."
Il y a un déni humain qui est insupportable à vivre
Malgré cela, Evlyn a "toujours des crises". "Ça reste compliqué", s’inquiète Mauricette. Notre témoin explique que sa fille "s’est renfermée dans un monde imaginaire, elle parle à des personnages de dessins animés. Elle n’avait pas ça avant l’agression."
Là encore, c’est une conséquence connue pour les victimes d’agression sexuelle, comme le détaille Virginie Piront. "Le viol peut être un acte tellement violent que ça crée un traumatisme, donc la victime se retrouve avec des symptômes post-traumatiques. Ces symptômes ne sont pas forcément liés au viol en tant que tel, mais plus de l’ordre de l’agression. Il y a un déni humain qui est insupportable à vivre."
Evlyn après son agression
Une épreuve terrible à assumer
Après l’agression de sa fille, Mauricette confie être allée voir un psychologue, pour elle. "Je culpabilisais de ce qui était arrivé, je me disais que je n’aurais pas dû la laisser sortir, que j’étais responsable". Très émue au moment de nous contacter via le bouton orange Alertez-nous, la maman n’avait pas encore tout à fait accepté qu’elle n’est pas responsable de ce qui est arrivé à sa fille, "la seule famille qu’il me reste".
Justice ne sera pas rendue
"Très en colère", Mauricette a lancé une action en justice. Mais faute de matière à ajouter au dossier, il a été fermé. "Je trouve ça aberrant. Comme maman, je trouve ça triste que la justice ne la défende pas."
Contacté par la rédaction de RTL info, le parquet de Liège explique que "le dossier a été classé dans la mesure où nous n'avions aucun élément nous permettant d'identifier le ou les auteurs" malgré que "tous les devoirs qui devaient être effectués l'ont été". Ce sont les seules précisions que le parquet pourra nous donner.
Dans un échange de mails que Mauricette a eu avec un avocat qui a pu consulter le dossier, un an après l'agression, celui-ci explique que "le principe même de cette agression n'est pas évident à démontrer dans la mesure où les analyses effectuées physiquement à l'hôpital et psychologiquement par l'expert ne permettent pas d'établir sans aucun doute l'existence d'un contact de votre fille avec une tierce personne."
Pourtant, Mauricette refuse de baisser les bras et réclame justice. "Elle me dit toujours : 'Il a fait pipi dans ma bouche'", répond la mère à l'avocat en lui demandant si des prélèvements ADN ont été faits sur le pull de sa fille, sur lequel aurait pu se loger de l'urine. Elle n'aura pas de réponse de l'avocat.
Une vie détruite
Depuis son agression, Evlyn n’est plus allée à son école, "ce n’était plus possible de continuer", regrette sa maman. Elle indique même que sa fille "régresse" dans son retard mental. Dans l’enseignement spécialisé qu’elle suivait, les cours sont donnés jusqu’à 21 ans. Âgée de 19 ans au moment des faits, Evlyn aura perdu deux ans durant lesquels elle aura fait des allers-retours à l’hôpital plutôt que suivre les cours.
Désormais, Evlyn est trop âgée pour retourner sur les bancs de l’école. Sa maman est "à la recherche d’une structure pour [l’] accueillir en semaine". Malheureusement, les places sont trop peu nombreuses dans les établissements spécialisés et celles qui se libèrent sont surtout récupérées par des Français qui ont plus de subsides, selon Mauricette.
Aujourd’hui, la jeune fille suit toujours une thérapie en allant une fois par semaine chez une psychologue et continue de se rendre de temps en temps à l’hôpital.
Elle et sa maman ont quitté leur ancien quartier et tentent de retrouver une vie ‘normale’, mais le sentiment d’injustice et la colère de savoir que l’agresseur restera impuni est quasiment impossible à oublier.
Evlyn après son agression
De l’aide pour les victimes de viol
Rappelons que pour toutes les personnes victimes de viol ou violences sexuelles, le numéro gratuit et anonyme de SOS Viol 0800 98 100 est disponible. "Il n’y a pas de limite de temps après l’agression pour nous appeler", nous dit-on à l’ASBL qui apporte "un accompagnement psychologique, social et juridique" pour les personnes victimes de viol.
En composant le numéro gratuit et anonyme, vous serez écouté.e et, si vous le désirez, vous pourrez avoir un entretien sur place.
Les bons réflexes
Si vous avez été victime d’un viol très récemment (moins de 7 jours), il est recommandé de vous rendre dans un CPVS (Centre de Prise en charge des Violences Sexuelles) où vous pourrez être pris.e en charge comme il est très bien expliqué dans la vidéo ci-dessous.
Parfois, ou souvent, les victimes ont tendance à minimiser ce qui leur est arrivé. Il s’agit d’être bien clair sur ce qu’est un viol. "Dans l’imaginaire collectif, on imagine le viol comme assez brutal et violent, mais ça peut être tout à fait sournois", avertit la sexologue Virginie Piront qui veut prévenir que "les victimes, après, peuvent se dire ‘j’aurais dû mieux dire non, j’aurais dû ci ou ça’. C’est toute l’histoire du consentement qui est remise en question."
Il faut être clair avec le fait que le viol est un abus de pouvoir
"Qu’est-ce qui définit un viol ? C’est quand la personne ne veut pas et que ça a lieu quand même. Il faut être clair avec le fait que le viol est un abus de pouvoir", assène-t-elle encore.
Comme c’est le cas pour Evlyn, les victimes de viol risquent de développer des syndromes post-traumatiques "qui peuvent être nombreux et variés" en fonction des personnes. "Comme sexologue, ce que j’observe [chez mes patients] ce sont des problèmes de libido. Les personnes perdent leur libido et ont des troubles d’ordre sexuel par la suite. Au niveau émotionnel, il y a des troubles de l’humeur, d’agressivité, d’hostilité, il peut y avoir des troubles du sommeil… Ça peut déclencher énormément de symptômes : dépression, terreur nocturne, flash-back… C’est du cas par cas, chaque personne réagit différemment en fonction de ce qu’il a vécu", rapporte encore Virginie Piront.
Les agresseurs sont connus dans 94% des cas
Un autre aspect de la problématique peut rendre l’agression encore plus dure : dans l’immense majorité des cas, l’agresseur est connu de la victime. "94% des appels que reçoit SOS Viol concernent un auteur connu de la victime", explique Catherine Haillez, psychologue à l’ASBL. "Le degré de proximité peut varier (parents, amis, petit copain, connaissances) mais l’auteur reste identifiable", ajoute-t-elle.
Dans ce cas, vouloir porter plainte peut s’avérer encore plus compliqué que si l’agresseur est inconnu. Si volonté de porter plainte il y a, elle doit venir de la victime. Catherine Haillez explique que "forcer quelqu’un à parler, si elle ne le souhaite pas, c’est très violent pour elle". La psychologue va même plus loin en estimant que "c’est porter une forme de pression sur la victime", que de trop lui demander de se livrer.
Des chiffres édifiants
Le nombre de déclarations de viol dans notre pays est inquiétant. Sans même tenir compte des attentats à la pudeur. "Selon les chiffres du dépôt de plaintes de la police, 3334 cas de viols ont été recensés en 2021", rapporte la psychologue. Un nombre déjà très important, mais qu’il faut multiplier "entre cinq et dix fois, selon les études", pour avoir une estimation du nombre réel.
Avec les 3334 cas recensés, cela fait déjà une moyenne de neuf cas quotidiens en Belgique. Si l’on applique la multiplication recommandée par les études, cela veut dire qu’il y a entre 50 et 100 viols par jour dans notre pays.
Parmi toutes les personnes qui appellent SOS Viol, "24% déposent une plainte. 36% sont en questionnement et 40% n’ont pas déposé plainte", détaille encore Catherine Haillez.
En juin dernier, une enquête réalisée par le journal Le Soir rapportait que près de 70% des Belges ont été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie, hommes et femmes confondus.
De lourdes peines pour les violeurs
Pour terminer, rappelons (si besoin en est) que le viol constitue évidemment un crime puni par la loi. Les violeurs encourent de nombreuses années de prison ainsi que des amendes pouvant être très élevées.
Caroline Poiré est avocate et spécialisée dans les dossiers de viol. Elle détaille les peines encourues par les personnes condamnées. Les années de prison exprimées sont des années fermes. "Pour un viol sur un majeur, la peine est de 5 à 10 ans. Pour un mineur de plus de 16 ans : 10 à 15 ans. Si le mineur a entre 10 et 16 ans, la peine sera de 15 à 20 ans de prison. Et si le mineur a moins de 10 ans, c’est entre 20 et 30 ans de réclusion."
Toutes ces peines seront bientôt revues à la hausse suite à "un nouveau code pénal sexuel qui entre en vigueur le 1er juin."
Si l’avocate encourage évidemment les victimes à porter plainte contre leur agresseur, elle est parfaitement consciente de la difficulté et du courage que cela demande pour le faire.
Malheureusement pour les victimes, Maitre Poiré reconnaît que "la majorité" des dossiers de viols sont classés sans suite. Evlyn n’est pas la première et - c'est horrible à dire - pas la dernière à qui cela arrive.
"Quand un dossier est classé sans suite, il faut essayer de comprendre pourquoi", précise Caroline Poiré. Elle pointe trois raisons pour lesquelles les dossiers sont classés sans suite. "Ils peuvent l’être pour ‘charges insuffisantes’, parce que l’auteur est non identifié ou parce qu’il y a prescription". Elle précise aussi que les cas de pédophilie sont "imprescriptibles", les victimes peuvent donc porter plainte de nombreuses années plus tard.
En revanche, l’avocate affirme que même si un dossier est classé sans suite, il ne disparaît pas et il reste ‘attaché’ à l’auteur. "Si d’autres personnes portent plainte, les dossiers classés sans suite peuvent apporter un poids supplémentaire contre l’agresseur."
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