Sur une partie de la route d'Eghezée, à Jemeppe-sur-Sambre, des véhicules peuvent se garer le long de la chaussée, et même empiéter sur l'accotement. Ce qui ne plait pas à Baudhuin, qui entretient toujours son trottoir, comme l'impose le règlement communal. Il a essayé de faire justice lui-même, mais c'est rarement une bonne idée.
Vous l'ignorez peut-être, mais le propriétaire d'un immeuble est responsable de l'entretien du trottoir situé devant chez lui. On en parle souvent lorsqu'il neige, car si vous ne déblayez pas votre trottoir et que quelqu'un se casse la jambe en tombant, vous êtes théoriquement responsable.
Encore faut-il pouvoir entretenir cet espace public, et c'est ce qui gêne actuellement Baudhuin, qui accuse des poids-lourds en stationnement de "détruire" l'accotement de sa rue. Il a donc décidé de placer des obstacles… en béton.
"De quel droit peut-on me supprimer mon trottoir ?", nous a-t-il écrit via le bouton orange Alertez-nous, pour justifier sa rébellion. Revenons quelques années en arrière pour mieux comprendre la situation.
Il entretient son trottoir "depuis 50 ans"
Baudhuin habite depuis très longtemps sur la Route d'Eghezée, à Jemeppe-sur-Sambre. Il s'agit de la N930, une route régionale qui sillonne le Namurois en bordure du Hainaut. De cette rue, notre témoin s'estime "riverain de trottoir", parce que "cet accotement, c'est mon trottoir, que le règlement communal de police m'oblige à entretenir, ce que je fais depuis 50 ans. Figurez-vous que c'est moi tond cette affaire-là !".
Sur les images de Google Street View, on aperçoit en effet que tant la haie que le bas-côté et que l'accotement lui-même, en petit caillou, sont entretenus et permettent de s'y déplacer facilement. Et ça, c'est grâce aux obstacles que Baudhuin avoue avoir placé intentionnellement :
Derrière la haie, la maison de Baudhuin (Google Street View)
En amont de cette route, là où il n'y a pas de morceaux de béton, l'accotement est effectivement défoncé, probablement à cause des véhicules qui s'y garent :
@RTL INFO
Une situation qui insupporte Baudhuin, vous l'avez compris. Il déplore surtout que le paysage ("la vue de la colline de Moustier avec l'observation de la faune vaut le détour") soit gâché et qu'il soit difficile de circuler à pied vers le centre-ville à cause des véhicules stationnés à moitié sur l'accotement (vu que la zone de stationnement est trop étroite, même pour une voiture).
D'après lui, de plus, "il y a des rats partout, car il y a trois trappes d'égouts cassées, dont le couvercle a été déplacé" à cause des camions. "Donc, c'est vraiment un poumon vert du coin qui est détruit par des gros camions".
Cette bataille pour préserver l'accotement de la rue, il la mène depuis longtemps. "Cette destruction des infrastructures a été dénoncée à toutes les autorités concernées depuis plus de 10 ans", poursuit-il. Et il y a eu de temps à autre une petite intervention d'ouvriers communaux (voir plus bas).
"Mais depuis six mois, l'âge venant et constatant que la situation s'aggrave, je dois faire en sorte que notre accotement devienne un lieu de promenade digne d'une commune respectant son environnement", dit Baudhuin, justifiant de la sorte auprès de la police la pose de plusieurs blocs de béton.
Que dit la commune ?
Nous avons interrogé Jean-Luc Evrard, échevin des travaux et de la propreté publique de Jemeppe-sur-Sambre. Il reconnait que Baudhuin est "un monsieur très courageux qui entretient devant chez lui, et qui entretient l'accotement où les camions vont stationner".
Même si c'est une route nationale, la commune "est déjà intervenue là-bas, pour réarranger une petite partie qui était défoncée: on avait raclé avec la grue puis on avait étendu du gravier de raclage d'asphalte".
Pour le reste, l'échevin estime que "c'est une problème de police".
La police s'en mêle
Effectivement, la police a décidé d'intervenir. Mais pour contraindre Baudhuin à dégager le trottoir. Le 13 mai 2019, il a ainsi reçu une mise en garde et la visite de l'inspecteur principal de la zone de police de Jemeppe-sur-Sambre.
Dans le procès-verbal de la police, on peut lire dans les constatations de l'inspecteur que "ce dispositif (les blocs de béton sur le trottoir, NDLR) est très dangereux car il n'est pas très visible dans les herbes et encore moins la nuit" :
La police, durant sa visite, a négocié avec Baudhuin. "Nous expliquons à l'intéressé qu'il ne peut en aucun cas privatiser la voie publique" et que "en cas d'accident, il serait considéré comme responsable". L'inspecteur prend la peine de citer l'article 4 du Règlement Général de Police: "est interdite, sauf autorisation écrite de l'autorité communale, toute utilisation privative du domaine public, au niveau du sol ou au-dessus ou en-dessous de celui-ci, de nature à porter atteinte à la sûreté ou à la commodité de passage".
Mais rien n'y fait. Baudhuin n'obtempère pas et envoie un courrier rassemblant ses griefs, car il est passablement énervé. "Quand j'ai vu le papier, je suis devenu fou". En cause, les explications de l'inspecteur, dans le PV: "l'intéressé nous transmet alors un courriel dans lequel il nous explique qu'il n'enlèvera pas le dispositif". Elle précise en note: "L'accotement herbeux est large devant la propriété et c'est le stationnement, tout-à-fait légal, de poids lourds, qui gêne l'intéressé. De plus, un trottoir en bon état se trouve de l'autre côté de la chaussée".
Que dit le code de la route ?
Le panneau (E9a) placé en amont sur la route d'Eghezée signale effectivement que le stationnement est autorisé:
L'article 25 de ce texte officiel du code de la route précise que "il est interdit de mettre un véhicule en stationnement sur la chaussée lorsque celle-ci est divisée en bandes de circulation, sauf aux endroits pourvus du signal E9a".
L'article 23 de ce même texte précise que "tout véhicule à l'arrêt ou en stationnement doit être rangé hors de la chaussée sur l'accotement de plain-pied ou, en dehors des agglomérations, sur tout accotement. S'il s'agit d'un accotement que les piétons doivent emprunter, une bande praticable d'au moins un mètre cinquante de largeur doit être laissée à leur disposition du côté extérieur de la voie publique".
Donc effectivement, au vu des photos (il y a de la place pour marcher, même si c'est de l'herbe) et comme l'a écrit l'inspecteur, la loi n'est pas du côté de Baudhuin.
Malgré tout, notre témoin soulève, dans le Règlement communal de police, une certaine incohérence: "l'article 45 m'oblige d'entretenir mon trottoir, mais dès que je prends un outil pour le faire ou protéger mon travail je suis considéré comme ayant pris possession de l'espace public (art 4) !"
Le Fonctionnaire Sanctionnateur lui donne un sursis, Baudhuin obtempère
Au moment de clôturer cet article, Baudhuin était finalement contraint de faire marche arrière. En effet, le PV de la police a été traité par le Fonctionnaire Sanctionnateur de la Province (une instance qui décharge la justice en adressant elle-même certaines amendes administratives).
Dans la "notification de la décision", on apprend que "le Fonctionnaire n'entend pas infliger une amende" mais "invite le contrevenant à ce qu'il soit dorénavant attentif quant au respect de la réglementation; si un nouveau procès-verbal devait être établie, une amende serait infligée":
Dès lors, "les blocs de béton ont été enlevés, à ma demande, par le service travaux de la commune", nous a expliqué Baudhuin.
Le conflit avec la police est donc de l'histoire ancienne, mais la colère de notre témoin de 83 ans demeure, car les camions sont de retour devant chez lui. "Et la partie que j'entretiens est souvent choisie pour son revêtement en graviers !", déplore-t-il.
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