La réforme des critères d'obtention d'une bourse d'étude a pour but d'apporter "plus d'équité et de justice sociale", selon le Ministre de l'Enseignement supérieur. Mais dans certains cas bien particuliers, ces modifications peuvent bouleverser l'année académique d'un étudiant, voire les finances d'une famille. Nous avons discuté avec une mère célibataire de 6 enfants à Bruxelles, et un étudiant namurois, qui sont dans la même galère, à cause du même critère…
Dans quelques jours, Jonathan et Taoufik (prénoms d'emprunt, car ils ne souhaitent pas avoir d'ennuis avec leur école), étudiants dans le supérieur, passeront leurs examens.
Une période stressante pour les enfants comme les parents. Mais qui devient carrément angoissante si la situation administrative de l'étudiant n'est pas encore clarifiée. C'est tout le problème des modifications des critères d'obtention des bourses d'études.
2016-2017 est la première année académique appliquant ces nouveaux critères, et des retards colossaux ont été accumulés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui évoquait comme raison principale dans notre dernier article, "un passage au numérique qui provoque des bouleversements dans les pratiques".
Le porte-parole de Jean-Claude Marcourt, le Ministre de l'enseignement supérieur, nous avait alors précisé (avril 2017) que "la régularisation du traitement des demandes était en cours, le Ministre ayant renforcé le personnel administratif à hauteur de 7 temps plein en février afin de résorber les retards". Et récemment, le cabinet de Marcourt signalait que sur les 53.000 dossiers introduits dans le supérieur, seuls 4.000 se trouvaient encore en suspens.
Jonathan (24 ans) et Taoufik (21 ans) font donc sans doute partie de ces 10% qui n'ont pas encore obtenu de réponse quant à l'octroi d'une bourse. À la mi-mai, ils nous ont contactés via le bouton orange Alertez-nous pour nous parler de leur dossier qui reste sans réponse. Coïncidence – ou pas – leur problème est identique.
Faut-il prendre en compte les revenus des frères et sœurs de l'étudiant ?
"Mon fils aîné (le grand frère de Taoufik) a déjà des revenus: après avoir travaillé un an, il est au chômage, il touche 750€ par mois", nous a expliqué cette mère de famille célibataire désemparée, handicapée à 66% et qui gère un ménage de 6 enfants. Selon les explications qu'elle a obtenues via le numéro de téléphone dédié, "le Ministre traite en dernier lieu les dossiers compliqués" car "ils ne savent pas encore s'ils doivent englober les revenus de mon fils ainé dans ceux du ménage".
C'était en effet le changement principal des critères d'obtention d'une bourse. Au lieu de se baser sur les revenus annuels de l'adulte ayant l'étudiant à sa charge, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a décidé de se baser, de manière assez logique, sur l'ensemble des revenus du ménage. Ce qui fait débat lorsqu'il s'agit d'une famille recomposée avec, par exemple, un beau-père dont les revenus doivent être pris en compte même s'il ne subvient pas au besoin de l'étudiant. Ou lorsque l'un des frères et sœur de l'étudiant, qui habite sous le même toit, perçoit également des revenus (mais ne les partage pas forcément avec le ou les parents du ménage…)
Ce dernier exemple touche autant la famille de Taoufik, qui recommence une première année d'ingénieur commercial à la Haute Ecole Francisco Ferrer de Bruxelles, que celle de Jonathan, qui est lui en kot à Namur, où il termine une deuxième année en infographie à la Haute Ecole Albert Jacquard.
"J'ai du faire des petits boulots pour m'acheter un ordinateur en seconde main"
"Ma sœur habite encore chez mes parents, or elle travaille", nous a expliqué Jonathan. La FWB va-t-elle prendre en compte les revenus de la sœur d'un étudiant qui est toujours domiciliée dans la maison familiale ? D'après les employés du service d'allocation de bourse, "les choses ne sont pas claires", a appris Jonathan.
Pour sa première année d'étude, Jonathan avait touché, "assez rapidement", 1.250€ de bourse. Il comptait évidemment dessus pour sa deuxième année. Mais il n'a toujours aucune nouvelle de la FWB. "Je téléphone régulièrement, mais on me dit toujours la même chose, c'est un message automatique, qui dit que ma demande est en cours de traitement".
Cette somme qu'il n'a pas (encore?) perçue a influencé son année d'étude. "J'ai du faire des petits boulots pour pouvoir m'acheter un ordinateur portable, dont j'avais absolument besoin, par exemple. Et j'ai du en prendre un en seconde main". Le temps qu'il a consacré à ce job, c'est "au détriment de ses études".
Les parents de Jonathan, heureusement, paient "une partie du kot", mais il doit se débrouiller pour le reste.
Mon fils ne sait pas s'il pourra passer ses examens si son minerval n'est pas payé, or je ne sais pas débourser 800€ maintenant
"Je préfère ne pas manger"
La situation devient dramatique du côté de la famille de Taoufik. La mère célibataire de ce ménage composé de 6 enfants peine à joindre les deux bouts. "Pour mes enfants qui ont 15 et 13 ans, j'attends également une bourse pour le secondaire, qui est normalement de 350€ par an et par enfant", nous a-t-elle confié.
A cela devrait s'ajouter "environ 1.300€" pour Taoufik, bourse qu'elle n'est pas du tout certaine de recevoir. Au final, c'est un manque à gagner de 2.000€ pour cette mère de famille malade, qui "doit déjà payer des médicaments tous les mois" pour sa syringomyélie, une maladie de la moelle épinière.
Les temps sont durs, "mais je préfère ne pas payer mon loyer, ne pas manger" pour donner à Taoufik toutes les chances de réussir ses études. Ce qui la tracasse le plus, c'est que son fils "est déjà très stressé à cause des examens", et que cette situation administrative délicate ne fait qu'ajouter une couche.
D'autant plus que se pose la question du minerval, que la mère de Taoufik ne doit pas payer s'il est considéré comme boursier (mais si ce n'est pas le cas, elle devra s'en acquitter…) Vu que son dossier n'est pas clôturé, le minerval n'est pas encore régularisé, et l'école s'impatiente. "Mon fils ne sait pas s'il pourra passer ses examens si son minerval n'est pas payé, or je ne sais pas débourser 800€ maintenant". Tout cela donne des angoisses à Taoufik, et sa mère craint que cela ne pèse sur la réussite de ses examens, qui débutent "déjà à la fin du mois de mai".
Le porte-parole de Jean-Claude Marcourt confirme la mauvaise nouvelle, mais...
Nous avons soumis le problème au porte-parole de Jean-Claude Marcourt, qui a précisé d'emblée qu'il "ne commentait pas les cas particuliers", car les dossiers sont traités au cas par cas.
D'après les renseignements que nous avons tout de même pu obtenir, cependant, la question serait déjà réglée au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles. "Les revenus des frères et sœurs sont pris en compte" dans le calcul des revenus du ménage, critère principal de l'octroi d'une bourse. Cependant, après avoir lu notre article, le cabinet du Ministre de l'Enseignement supérieur nous a confié qu'il y avait "une volonté" et "un objectif" dans le chef de Jean-Claude Marcourt: "exonérer la prise en compte des revenus des frères et sœurs encore repris sur la compo de ménage". Mais d'après eux, "c'est le cdH qui bloque".
La question fait débat, c'est logique...
Mais les conséquences sont parfois lourdes pour les familles. Dans le cas de Taoufik, et d'après les calculs de sa mère, la prise en compte des revenus (le chômage) du grand frère devrait l'exclure des conditions d'obtention de la bourse d'étude, et donc faire perdre 2.000€ environ à une famille qui est pourtant dans le besoin. De plus, il faudrait payer le minerval de 800€ avant la fin de l'année académique. Cette famille bruxelloise devra cependant attendre la réponse de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour en avoir la confirmation. Pour Jonathan, ce serait sans doute, aussi, synonyme de perte financière sèche…
Le porte-parole du Ministre de l'Enseignement supérieur tient tout de même à préciser que "cette réforme vise plus d'équité et de justice sociale" et que globalement "elle remplit son rôle: 53 000 dossiers ont été introduits dans le supérieur, 4000 sont à ce stade en suspens. 90% des dossiers ont donc été traités".
Sachez également que Marcourt et son équipe "travaillent sur de nouveaux textes: avec des acteurs de terrain, on évalue les critères depuis mars et on en adapte certains, avec effet rétroactif".
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