Englué dans une situation financière inquiétante, un jeune Wallon aimerait pouvoir payer toutes ses dettes. Repartir de zéro pour assurer une meilleure vie à sa famille. Il est loin d’être le seul à éprouver des difficultés. L’épidémie de coronavirus a fait basculer davantage de ménages dans le surendettement. Et ce chiffre risque encore d’augmenter. Comment s’en sortir? Existe-t-il une aide réellement non-contraignante?
"A seulement 29 ans, je suis endetté à hauteur de 23 000 euros", confie Alexandre via notre bouton orange Alertez-nous. Ce père de famille est prêt à témoigner de sa situation financière difficile dans l’espoir de pouvoir trouver une solution. "J’ai fait des erreurs dans le passé au niveau de la gestion financière et j’aimerais pouvoir rembourser toutes mes dettes pour offrir à mes enfants une vie meilleure", confie le jeune Wallon, pris dans une spirale de l’endettement.
Dès l’âge de 15 ans, sa mère étant décédé d’un cancer, Alexandre raconte avoir été obligé de travailler dans l’horeca pour subvenir à ses besoins. Grâce à ses compétences et à sa motivation, il gravit les échelons petit à petit pour devenir gérant dans plusieurs restaurants. "Sans diplôme, j’ai réussi à gagner ma vie correctement. Professionnellement parlant, je m’en sors plutôt bien", se réjouit le papa.
"J’ai fait des emprunts que je n’ai pas pu rembourser"
Mais il éprouve des difficultés à gérer ses finances, dans un monde régi par la surconsommation. "Quand j’étais plus jeune, j’ai fait des emprunts que je n’ai pas pu rembourser. J’ai aussi contracté des crédits chez Carrefour par exemple pour l’achat d’une télévision, un GSM, etc. Quand on est jeune, on a envie des derniers appareils à la mode, alors que ce n’est pas indispensable", regrette le jeune Wallon. Des tentations qui grignotent tout son capital et creusent des trous dans son budget. A cela, des accidents de la vie comme des soins médicaux inattendus se sont ajoutés. "J’ai eu de plus en plus de dettes et je n’arrivais pas à suivre. Vers 23 ans, j’ai accumulé jusqu’à environ 30.000 euros de dettes. L’endettement, cela va très vite", prévient-il.
Pour tenter d’éviter un plongeon dans le surendettement, Alexandre règle certaines factures dès que c’est possible pour lui. "Aujourd’hui je ne fais plus ce genre de bêtises. Dès que je peux solder un dossier avec un créancier, je le fais. Tous mes congés payés y sont passés par exemple. Mais je n’arrive pas à m’en sortir. Rien que de recevoir un email d’un huissier, cela m’a coûté 24 euros", souffle Alexandre qui, victime aussi d’accidents de la vie, doit toujours de l’argent à une dizaine de créanciers.
Ma fille dort sur un matelas gonflable
Selon lui, les achats compulsifs inutiles font désormais partie du passé. "Nous ne possédons rien d’extravagants. Le home cinéma que j’ai acheté il y a quelques années et notre machine à café, ce sont les objets les plus luxueux dans la maison", assure-t-il. Mais sa situation financière reste compliquée. "Ma fille dort sur un matelas gonflable dans son lit parce que nous ne pouvons pas lui en acheter un normal. Et nous dormons sur un matelas parce que notre lit a cassé."
Aujourd’hui, Alexandre est plus motivé que jamais à éponger toutes ses dettes. "Je veux rembourser ! Pour le moment, je ne peux payer que de petits montants car pendant le confinement je n’avais pas de contrat et j’étais au chômage. Le secteur de l’horeca a été fortement touché malheureusement", rappelle-t-il. Et, selon lui, les revenus de sa compagne ne sont pas très élevés.
Combien de personnes surendettées en Wallonie ?
Ce couple n’est évidemment pas le seul confronté à une situation financière catastrophique. De nombreuses personnes ne parviennent pas à payer leurs factures. Face à cette réalité, une question se pose: combien de ménages sont-ils surendettés en Wallonie? Difficile de répondre à cette question avec précision. Certains indicateurs permettent toutefois d’estimer l’ampleur de ce surendettement. "De manière globale, on estime à 5% minimum la proportion de personnes majeures en situation d’endettement problématique en Belgique", indique Caroline Jeanmart, directrice de l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement.
Ce chiffre se base notamment sur le nombre de dossiers traités par les services de médiation de dettes. En Wallonie, près de 220 institutions agréées sont actives et traitent environ 20.000 dossiers. "Ce n’est évidemment que la partie visible de l’iceberg puisque toute personne surendettée ne consulte pas ces services", souligne la directrice.
Pourquoi ? Une première explication est la méconnaissance de leur existence. "De plus, il ne suffit pas d’en avoir connaissance pour en pousser la porte. Ce n’est pas une démarche simple d’évoquer ses problèmes face à des tiers, les sujets financiers sont souvent perçus comme privés. Honte, sentiment de culpabilité, impression que les problèmes sont passagers, représentations négatives des services sociaux, logiques culturelles… peuvent être des freins à la formalisation d’une demande d’aide", énumère Caroline Jeanmart.
Fausses inquiétudes concernant les services de médiation de dettes
Alexandre est lui-même réticent à l’idée de pousser la porte d’un service de médiation. "Je préfère ne pas faire appel à un médiateur de dettes parce que je n’ai pas envie d’être fiché à la banque nationale. Et puis j’ai des projets, j’ai donc envie de payer mes dettes moi-même parce qu’un médiateur de dettes, c’est lui qui gère votre argent", pense le père de famille.
Pourtant, il s’agit de fausses craintes basées sur des informations erronées. "C’est un bel exemple qui illustre les idées préconçues par rapport aux contraintes éventuelles et les confusions qui existent", commente Anne Defossez, directrice du centre d'appui aux services de médiation de dettes de la région de Bruxelles-Capitale.
Cette spécialiste assure que le fait de recourir à un tel service n’entraîne aucun fichage. Selon elle, il s’agit tout simplement d’un service gratuit sans aucune contrainte. "Ce sont des services sociaux qui existent dans des CPAS ou des associations. Ils permettent de donner des conseils et un suivi si la personne le désire. C’est donc sur base volontaire", insiste Anne Defossez. La confusion est sans doute liée au fait que quand une personne ne paye pas son crédit à la consommation pendant deux mois, elle est automatiquement fichée pour éviter une multiplication de crédits. "Cela permet d’éviter d’octroyer un nouveau crédit à quelqu’un qui éprouve déjà des difficultés de paiement".
La directrice dément également l’une des craintes les plus fréquentes: l’idée d’être obligé d’être mis sous tutelle, que le médiateur va prendre vos revenus. "Ce n’est pas le cas en Wallonie et à Bruxelles. Certaines personnes qui éprouvent des difficultés de gestion demandent que leurs revenus soient gérés. Mais ce n’est donc pas du tout obligatoire", assure-t-elle.
"On va définir avec vous la meilleure solution et vous la proposer"
Ces services de médiation de dettes sont composés de professionnels, des juristes et des assistants sociaux. La première aide qu’ils offrent est une série de conseils basés sur vos données personnelles. "On va vous recevoir pour voir avec vous quels sont les moyens à votre disposition pour vous en sortir, sur base de vos revenus et de vos créanciers. On va voir les stratégies à mettre en place, à qui payer en premier par exemple parce que certains créanciers sont plus agressifs que d’autres", souligne Anne Defossez. "En fonction de cela, on va définir la meilleure solution et vous la proposer. S’il y a un accord, c’est sur base volontaire sans sanctions ni contraintes. Sinon, vous repartez", ajoute-t-elle.
Si vous donnez votre accord pour recevoir cette aide, le service de médiation va notamment contacter vos créanciers pour négocier avec eux un plan de paiement.
Certains huissiers sont très compréhensifs et d’autres ne font que vous enfoncer
Alexandre a décidé de gérer lui-même cette discussion avec ses créanciers. Il leur a envoyé un email collectif pour qu’ils se rendent compte de l’ampleur de sa situation. "Ils me réclament chacun une somme mais ils ne savent pas qu’ils ne sont pas les seuls et que pour moi cela représente un montant considérable. Certains m’ont dit que de recevoir 15 euros, ce n’est pas assez. Mais moi je ne peux pas faire autrement que de payer des petits montants", regrette le jeune homme.
Selon lui, suite à ce message, deux huissiers ont heureusement réagi positivement. "Il y en a un qui m’a proposé de diminuer les intérêts et la clause pénale. Un autre a accepté que je paye des petits montants. Certains huissiers sont très compréhensifs et d’autres ne font que vous enfoncer", souffle-t-il.
Anne Defossez confirme que certains créanciers sont plus souples que d’autres. "Certains refusent des petites sommes. On vient alors en soutien avec une certaine légitimité, enfin je l’espère. On négocie à la dure, grâce à nos connaissances des procédures et des créanciers. On ne négocie pas de la même façon si c’est le fisc qui peut réaliser une saisie immédiate plutôt que Proximus par exemple", explique-t-elle.
Par ailleurs, les services de médiation vérifient également si la personne endettée bénéfice bien de tous ses droits sociaux. "Certains ménages qui sont souvent précaires oublient de faire certaines demandes, comme les allocations familiales majorées. On vérifie s’ils ont bien activé tous les droits sociaux auxquels ils peuvent prétendre et on les aide à remplir les démarches nécessaires si besoin".
Le règlement collectif de dettes comme "porte de sortie"
Si l’endettement est très important, une porte de sortie peut être proposée: un règlement collectif de dettes. Ce qui équivaut à une faillite. Dans ce cas-là, une requête doit être introduite auprès du tribunal du travail. Cette procédure dure maximum sept ans. "Si vous n’avez pas les capacités de rembourser vos dettes endéans cette échéance, on peut obtenir une remise de dettes, c’est-à-dire un effacement de dettes. Nous connaissons bien la procédure et nous pouvons aider une personne qui le souhaite à réaliser les démarches nécessaires. Dans ce cas, le juge du tribunal désigne un médiateur judiciaire de dettes chez qui les revenus des personnes doivent être versées. La loi le prévoit pour garantir une transparence pour les créanciers. A ce moment-là, il y a donc une perte d’autonomie", souligne Anne Defossez.
D’après les données de la Centrale des crédits aux particuliers, fin avril 2020, on comptait 80.691 dossiers de règlement collectif de dettes pour l’ensemble de la Belgique. Ce qui représente un peu moins de 1% de la population majeure.
Evidemment, ce n’est pas parce qu’une personne éprouve des difficultés à un moment donné de payer ses crédits qu’elle est surendettée. Et d’autre part, il est possible d’être surendetté sans avoir de soucis en matière de crédit. Les revenus disparaissent alors plutôt dans des frais comme le loyer, les soins de santé, l’énergie, etc.
La situation va-t-elle s’aggraver suite à l’épidémie de coronavirus ?
Malheureusement, la crise actuelle causée par l’épidémie de coronavirus risque d’aggraver la situation pour beaucoup de Belges. "D’une part, certains ménages en équilibre budgétaire précaire avant la crise ont déjà basculé ou basculeront dans des situations problématiques. D’autre part, des ménages n’ayant pas de difficultés financières avant la crise risquent d’être en difficulté en raison d’une perte temporaire ou non de revenus", souligne Caroline Jeanmart.
La directrice de l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement indique d’ailleurs que son service juridique a enregistré dès le début de la crise une augmentation des demandes de conseils juridiques et budgétaires en tous genres.
Malgré les nombreuses aides de la part de certains créanciers publics et privés, comme des mesures de report aux consommateurs, pas mal de ménages risquent donc d’être dans le rouge. Surtout les indépendants qui ont été particulièrement touchés par les mesures de confinement et qui frôlent l’asphyxie financière. "Les charges qui pouvaient être assumées en temps normal ne peuvent plus être assumées avec les revenus perçus en baisse. De plus, les consommateurs ont majoritairement signalé une augmentation du coût des courses alimentaires, ce qui grève d’autant plus un budget déjà parfois serré".
"On s’attend à un afflux massif de personnes surendettées"
Une situation anticipée également par les services de médiation de dettes, fermés pendant le confinement. "On s’attend à un afflux massif de personnes suite à la crise sanitaire", confie Anne Defossez qui conseille de ne pas hésiter à demander de l’aide. "La plupart des gens viennent tardivement car elles essaient d’abord de s’en sortir toutes seules et puis les CPAS, c’est stigmatisant. Or, il n’y a pas de honte à avoir, nous n’émettons aucun jugement. Et, plus on vient tôt, moins grand est le risque d’accumuler de dettes jusqu’à une situation catastrophique", souligne la directrice.
Certains organismes associatifs et sociaux soulignent toutefois leur inquiétude de ne pas disposer des moyens suffisants pour garantir à tous ces nouveaux demandeurs une aide adéquate.
De son côté, Alexandre se réjouit déjà d’une bonne nouvelle. Il doit bientôt signer un contrat à durée indéterminée pour travailler dans une brasserie de sa région. "On était déjà en contact avant le coronavirus. Dès la réouverture, j’ai réalisé mes premiers jours et ils sont concluants. Avec ce salaire, je pourrai rembourser 300 à 400 euros par mois. Ce qui est vraiment bien", se félicite le jeune homme qui espère voir le bout du tunnel. "On a qu’une vie et on ne veut pas tout le temps se sacrifier".
Vos commentaires