Cela fait à peine un mois que la Super 95 a été remplacée, dans toutes les pompes à essence de Belgique, par de la Super 95 E10, composée à 10% (au maximum) de bioéthanol, un 'agrocarburant'. Tous les acteurs du secteur automobile ont promis qu'environ 90% du parc automobile belge (les voitures construites après 2000) n'avaient aucun souci à se faire. Mais deux témoignages viennent déjà semer le doute…
Depuis le 1er janvier 2017, à la pompe, l'essence 95 traditionnelle (la moins chère) est affublée du suffixe E10 en Belgique. Cela évoque un changement important dans la composition de ce carburant. L’appellation E10 vient en effet de E pour éthanol et 10 pour 10 % (quantité maximum de bioéthanol présent dans l'essence 95).
L'idée de base est donc de faire rouler les Belges avec davantage de carburant issu de l'énergie renouvelable (le bioéthanol provient de la fermentation et de la distillation de betteraves et de céréales), réduisant légèrement les émissions de gaz à effet de serre. On appelle cela un 'agrocarburant'.
Quelles conséquences (théoriques) ?
Ce changement de composition du carburant de type essence le plus largement utilisé en Belgique n'est pas sans conséquence.
Tous les acteurs du secteur, du Service Public Fédéral (SPF) Economie à la Febiac (Fédération Belge de l'Automobile et du Cycle), s'accordent à dire que certains modèles de voiture (plus anciennes ou plus fragiles) ne sont pas compatibles, que le prix de ce carburant est un peu plus élevé que la 95 traditionnelle, et qu'il génère moins d'énergie (entraînant une hausse de la consommation de l'ordre de 1 à 2%).
"Je suis passé de 5 à 6 litres aux 100 kms"
Mais les paroles plus ou moins rassurantes des autorités, pour faire passer la pilule de l'E10 (qui coutera donc plus cher tout en étant moins efficace), sont-elles l'arbre qui cache la forêt ? Et si les conséquences étaient plus importantes qu'annoncé ?
C'est en tout cas ce que craignent Michel et Antoine. Le premier, un habitant de la région d'Incourt, affirme avoir vu sa consommation augmenter dans des proportions importantes au moment précis où il a changé de carburant.
"J'ai une Toyota Yaris Hybrid", nous a-t-il expliqué après avoir contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous. Donc une citadine à moteur essence, aidé d'un petit moteur électrique et d'une batterie qui prennent le relais à très bas régime. "Je fais environ 50 km par jour pour aller travailler, toujours le même trajet. Je suis de très près la consommation de ma voiture, et j'ai toujours été entre 4,8 litres aux 100 km en été, et 5,2 en hiver".
L'ordinateur de bord est formel: les trajets 4 et 5, avec de l'E10, ont provoqué une hausse de la consommation
Depuis qu'il doit utiliser de l'essence 95 E10, il a vu sa consommation grimper en flèche. "J'ai fait deux pleins à la suite, et je suis passé à 6 litres aux 100 km", déplore-t-il, surpris mais surtout en colère, d'autant qu'il a ressenti "une réelle baisse de puissance".
L'ordinateur de bord de Michel lui permet de conserver un historique de sa consommation. Il a fait des remises à zéro lors des derniers pleins. Et le graphique généré sur l'écran de la voiture, que Michel nous a envoyé, est clair: on voit une hausse de la consommation qui passe de 5 à 6 litres. C'est une hausse de 20%, soit 10 fois plus importante que les pires prévisions des spécialistes (de 1 à 2%).
Avec son dernier plein, Michel constate actuellement une grosse baisse de sa consommation. "C'est normal, je suis passé à l'essence 98, et ça fait toute la différence. C'est plus cher, mais je consomme moins, et j'ai plus de puissance".
"Après trois pleins, un témoin moteur qui s'allume"
Le témoignage d'Antoine, qui habite en région liégeoise, évoque des conséquences nettement plus fâcheuses. "Je possède une Peugeot 208 construite en 2013, avec une motorisation 1200 essence. Roulant à l'essence 95, j'ai donc été concerné par le changement de carburant et je suis passé au E10. Voilà déjà trois pleins réalisés depuis et à ma grande surprise, j'ai eu un témoin moteur hier (dimanche 15 janvier, NDLR) lorsque je roulais".
Antoine s'est rendu rapidement chez son petit garagiste indépendant, "en qui il a toute confiance", qui lui a diagnostiqué "un problème à l'échappement lié à la compatibilité du nouveau carburant", nous a-t-il expliqué. "Le message d'erreur parlait du 'système antipollution défaillant' ; c'est la première fois que j'ai un souci avec cette voiture".
Après trois pleins d'E10, ce témoin moteur s'est allumé
Conseil du garagiste: "Rouler à 120 km/h en 4e afin de décrasser le tout, et rouler au 98". Heureusement, Antoine n'a pas dû payer pour ce témoin moteur allumé.
"J'ai également contacté Peugeot, ils m'ont dit qu'ils n'avaient pas encore eu de retour" par rapport à un quelconque problème avec le carburant E10. Comme son garagiste, le service clientèle de Peugeot lui a "conseillé de rouler un mois avec de la Super 98", puis "de repasser à la 95 E10".
Visiblement intriguée, la centrale de Peugeot en Belgique lui a dit "d'aller directement chez eux s'il y avait un problème à ce moment-là", sans lui garantir qu'il ne devrait pas payer les éventuelles réparations…
Que disent Traxio et la Febiac ?
Nous avons soumis ces deux témoignages aux deux fédérations belges actives dans le monde automobile. Traxio (ex-Federauto) est l'association des commerçants et des réparateurs actifs dans la mobilité en Belgique. La Febiac est l'association de constructeurs. Les deux fédérations, même si elles avouent qu'il est un peu tôt pour juger, n'ont pas constaté d'augmentation de pannes ou de problèmes particuliers liés à l'usage de l'E10.
Serge Istas, le secrétaire général de Traxio, est très étonné par les deux incidents dont nous lui avons parlés. Concernant la panne d'Antoine, "c'est une voiture de 2013, elle a été conçue pour pouvoir utiliser du carburant E10". Donc le lien entre la présence de maximum 10% de bioéthanol (au lieu 5% auparavant) et l'allumage du témoin moteur n'a rien d'évident. "En plus, c'est une voiture française, or dans ce pays, le carburant E10 est disponible depuis quelques années".
Quant aux explications du garagiste, liant le carburant E10 à un problème d'échappement, "ça n'a rien à voir", selon Traxio, qui nous précise les effets indésirables de la présence de bioéthanol dans l'essence. "Les caoutchoucs présents dans le système d'admission peuvent être endommagés par l'éthanol, qui est un solvant". Les voitures non compatibles utilisant ce genre de caoutchouc, "ont alors des problèmes aux injecteurs, mais pas à l'échappement", si elles utilisent malgré tout de l'E10. "Il n'y a que le diesel qui peut causer des problèmes à l'échappement", ajoute-t-il.
Concernant le problème de consommation de Michel, la Febiac est tout aussi surprise. "C'est très bizarre", nous a expliqué Joost Kaesemans, le porte-parole. "La valeur énergétique d'un litre d'éthanol est en effet légèrement inférieure à celle d'un litre d'essence sans plomb 95". Mais vu la part (10%) de bioéthanol dans l'E10, "on parle normalement d'une différence de 1 à 2 %... généralement, ça ne se remarque même pas". Donc l'augmentation de consommation (près de 20%) constatée par Michel, "techniquement", "c'est impossible de la lier à l'utilisation de l'E10", estime-t-on du côté de la Febiac.
Nos témoins se sentent "piégés" par le nouveau carburant
Malgré les paroles rassurantes des deux fédérations liées au secteur automobile, les témoignages de Michel et Antoine ont de quoi soulever quelques doutes sur l'obligation d'utiliser du bioéthanol à hauteur de 10% (au lieu de 5 auparavant) dans la Super 95.
"On est perdant", selon Michel. "C'est plus cher, on consomme plus, et on perd de la puissance", a-t-il remarqué avec sa Toyota Yaris.
"Il y a une réelle crainte", selon Antoine. "Les gens se disent: 'oui, on peut mettre de la 95 E10, mais s'il y a un problème, qu'est-ce qu'on fait ?' Du coup, les gens prennent de la Super 98, et payent plus cher pour ne pas prendre de risque. On est piégé". Un tel comportement a été remarqué en Allemagne en 2011, quand la 95 est devenue E10 également.
Nos deux témoins craignent qu'il n'y ait pas assez de recul sur l'utilisation du carburant E10 et ses effets à long terme.
Le secrétaire général de Traxio, qui avoue "ne pas être un grand fan" de ce carburant qui est imposé par l'Europe, rappelle tout de même qu'il "ne faut pas lui prêter tous les maux de la terre", et qu'en France, "il est déjà utilisé depuis de nombreuses années".
La Febiac estime que les problèmes vont surtout venir du fait que "les gens ne sont pas assez au courant de cette transition", et invite tous les propriétaires d'une voiture à moteur essence à vérifier, sur cette page notamment, que leur modèle est compatible avec le carburant E10.
A ses débuts en Allemagne, en 2011, l'E10 était loin de faire l'unanimité...
Un geste pour la planète, vraiment ?
Quoi qu'il en soit, le citoyen a bien du mal à voir l'intérêt d'un carburant composé en partie de bioéthanol. Les experts sont cependant catégoriques: il s'agit d'un (certain) geste pour la planète.
"Le bioéthanol est un alcool produit de façon durable à partir de biomasse. Son cycle d’utilisation permet de réduire les émissions de C02 par rapport à l’essence. Le but poursuivi est avant tout de réduire les émissions de gaz à effet de serre des véhicules roulant à l’essence et de permettre à notre pays d’atteindre ses objectifs en matière d’énergies renouvelables dans le transport à l’horizon 2020", écrit le SPF Economie sur son site.
On consomme un peu moins d'énergie fossile (pétrole), certes, mais la fabrication du bioéthanol consomme de l'énergie et utilise de grandes quantités de denrées alimentaires. Sans oublier que la voiture va (en théorie) légèrement augmenter sa consommation de carburant.
C'est là que la politique entre en jeu, sans aucun doute: le bioéthanol, c'est un nouveau débouché pour l'agriculture, un secteur qui souffre de bien des manières ces dernières années. Et c'est une façon de diminuer très légèrement notre dépendance énergétique vis-à-vis des pays producteurs de pétrole. C'est d'ailleurs l'Europe qui met en place progressivement l'obligation de présence de bioéthanol dans l'essence.
Les associations écologistes, citées par un article du Monde en 2011, dénoncent l’E10 au même titre que l’ensemble des agrocarburants. Il leur est en effet reproché d’avoir une production intensive et polluante en termes d’émissions de CO2 et de contribuer à l’envolée des prix alimentaires en accaparant les terres des pays au détriment des cultures alimentaires locales.
Conclusion
Il est trop tôt, et on manque de recul pour savoir si les problèmes rencontrés par Michel et Antoine sont dus au hasard, ou si certains moteurs bien spécifiques sont finalement plus sensibles (panne, consommation) que prévu au bioéthanol.
Si même des experts automobiles ne s'entendent pas toujours pour déterminer l'origine d'une panne, il est pratiquement impossible d'imputer avec certitude l'allumage du témoin moteur de la Peugeot d'Antoine au changement de carburant. Un tas d'autres raisons peuvent provoquer la panne constatée par le garagiste au niveau de l'échappement, une pièce qui "n'a rien à voir avec la présence d'éthanol dans l'essence", selon Traxio.
Mais le cas de Michel est le plus troublant: sa voiture, une Toyota Yaris Hybrid, indique effectivement qu'il a consommé plus d'essence (20%) avec l'E10 qu'il ne le faisait avec un plein de 95 traditionnel (avant) et de 98 (après). "Il faudrait dépêcher des ingénieurs pour analyser en détail cette différence de consommation", estime Serge Istas, de Traxio. Cela pourrait s'expliquer par le manque de puissance remarqué par Michel: il aurait dès lors appuyé plus fort sur l'accélérateur sans le vouloir, entraînant une hausse de la consommation d'essence et une baisse de l'utilisation du moteur électrique à bas régime. Le froid, s'il a été plus intense au moment où Michel a fait ses deux pleins d'E10, pourrait également expliquer une consommation plus importante.
Quoi qu'il en soit, comme l'ont écrit plusieurs médias français (dont Slate.fr) à l'époque de l'introduction de l'E10 dans l'Hexagone, ce carburant "part avec bien des désavantages"…
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