On ne le dira jamais assez: les rendements miraculeux promis par des sites web ou des plateformes de trading (le fait d'acheter ou vendre des produits financiers comme des devises, des actions, etc) sont, dans la quasi-totalité des cas, de vastes arnaques. Il n'y a pas d'argent facile, même si ce sont des Wallons qui se cachent derrière un soi-disant robot de trading servant de prétexte à un système pyramidal classique. Au moins 1,6 millions d'euros auraient disparu.
Les systèmes pyramidaux, nous en parlons régulièrement sur RTL info. Dernièrement, mais peu de Belges étaient concernés, nous évoquions Nexyiu, une sombre plateforme d'origine italienne qui promettait tout et n'importe quoi en échange d'un investissement initial.
En 2020, une partie de la population, surtout des jeunes étudiants, privés de job et attirés par l'argent facile promis par les recruteurs, reste convaincue qu'il est possible d'atteindre des rendements très élevés (1% d'intérêt par jour garanti, alors que votre compte épargne ne dépasse plus 0,5% d'intérêt par an !) en confiant simplement son argent à une société prétendant effectuer des opérations boursières à leur place.
C'est l'objet de notre arnaque du jour, qui est assez originale car elle implique des Belges, alors qu'habituellement, les concepts sont imaginés à l'étranger puis importés dans nos régions via quelques ambassadeurs peu scrupuleux. Cela nous rappelle donc l'histoire de GTI-Net, en 2018.
Plusieurs victimes ont contacté la rédaction de RTL info ces derniers jours pour dénoncer l'arnaque Bit-Robot. C'est le nom d'une pseudo entreprise (plutôt un site web), qui surfait sur deux tendances actuelles: l'envol de la valeur des cryptomonnaies (dont le Bitcoin qui a battu des records dernièrement), et le développement des robots, qu'ils soient logiciels (intelligence artificielle) ou matériels (dans de nombreux domaines).
Nous ne citerons donc pas les noms des Belges soupçonnés d'être impliqués à un haut niveau dans ce qui ressemble bien à une arnaque pyramidale.
Manon, 22 ans: "Toutes mes économies"
Manon fait partie des victimes de Bit-Robot. "Pour trouver des moyens faciles pour gagner de l'argent, j'ai regardé des vidéos sur YouTube", nous a confié cette étudiante de 22 ans originaire de Genval. "J'ai trouvé une vidéo qui parlait de Bit-Robot, et j'ai des amis qui connaissaient déjà Bit-Robot, et qui avaient déjà investi de l'argent".
Elle ne s'est pas lancée toute seule. "J'ai demandé à mon papa, qui joue aussi avec les cryptomonnaies. Je lui ai demandé conseil, car il fallait transférer de l'argent en cryptomonnaie dans Bit-Robot, il fallait donc transformer des euros en cryptomonnaies. Il a regardé la plateforme Bit-Robot avec moi, et il était prêt à investir lui aussi. On s'était renseigné pour voir si la société existait, et effectivement elle était bien enregistrée à Londres. On s'était renseigné sur les créateurs, et on les a même eus au téléphone, parce que j'avais des questions à poser. A.R. a répondu à toutes nos questions, il était super sympa. Ça avait donc l'air super fiable".
Manon décide donc de "tester avec un peu d'argent". Elle injecte 170 euros sur la plateforme, "et quelques semaines plus tard, comme promis dans les vidéos, à la fin du 'contrat', j'avais doublé ma mise, j'avais 340 euros. Je pouvais suivre l'évolution sur le site" (voir ci-dessous). Pour être sûre que ce n'était pas une arnaque, notre témoin a retiré l'argent. "Et je l'ai récupéré, c'était bien réel: on retire d'abord sur la plateforme de cryptomonnaie, moi j'utilisais crypto.com. Et de là, on transfère sur notre compte en banque" :
En confiance, elle décide alors de "mettre tout l'argent gagné via des jobs d'étudiants", à savoir "environ 3.000 euros". Hélas, début janvier, c'est la douche froide. "J'ai voulu retourner sur le site bit-robot.io, comme je faisais régulièrement, et il y avait un message d'erreur, et un message de soi-disant pirates".
Comme de nombreuses autres personnes en Belgique (sans doute des centaines), Manon a été victime de ce qu'on appelle un 'exit scam' ('sortie, fin de l'arnaque'). C'est-à-dire que les personnes à l'origine du système pyramidal (voir les détails ci-dessous), après quelques mois, mettent fin à leur vaste fraude, prétextent un bug (voire un piratage ou un vol par l'un des associés dans le cas de Bit-robot) et ferment le site. Généralement, ils disparaissent dans la nature avec tout l'argent disponible sur la plateforme, et recommencent leur business sous un autre nom.
Yliana, 22 ans: "Je suis enceinte et je n'ai plus rien"
Nous avons recueilli d'autres témoignages de jeunes victimes à RTL info, dont celui d'Yliana (22 ans, région bruxelloise) qui a perdu 4.000 euros. "Je suis enceinte et cet argent devait servir pour l'arrivée de mon petit bout de chou. Je suis au chômage, je ne gagne presque rien par mois, je n'ai donc plus rien", nous a-t-elle confié. "J'avais une totale confiance dans ce robot. Un ami m'avait appelé en novembre, et m'avait montré ses gains. C'était impensable ! J'avais entendu parler du trading et des cryptomonnaies, mais je n'avais jamais fait ce genre d'investissement par le passé". Yliana est d'autant plus désespérée qu'elle avait recruté des gens: "des personnes faisant partie de ma famille, mon beau-frère, mon compagnon, ma belle-mère… ils ont chacun investi une somme équivalente ou supérieure à 1.000 euros". Elle déposera plainte quand elle rentrera en Belgique, car elle est actuellement à l'étranger.
Mathieu a 23 ans, et est originaire de Waterloo. "C'est via Telegram (une application de messagerie) que j'ai eu connaissance de Bit-Robot. Je suis étudiant en commerce international. Ça me semblait tout à fait sérieux, j'ai regardé des vidéos de présentation. J'ai d'abord investi 170 euros, et j'ai vu que ça fonctionnait car j'ai pu retirer 100 euros. J'ai donc réinvesti ces 100 euros, et puis tous les gains accumulés. J'en ai parlé autour de moi, et plusieurs personnes se sont inscrites. Donc à la fin, j'avais un compte de 4.000 euros, je gagnais 50 euros par jour, je me disais que c'était un bon revenu!". Après la découverte de la supercherie, Mathieu, qui n'a donc perdu que 170 euros, est rentré dans un groupe sur Telegram, "avec environ 1.000 personnes qui ont fait des recherches pour essayer de comprendre, et qui ont rassemblé des plaintes pour en faire une plainte collective par pays, donc en France, en Suisse, en Belgique, au Canada et aussi en Afrique". Il a donc "rempli un formulaire" avec toutes les infos. "Actuellement, le montant total perdu par ceux qui ont rempli le formulaire de plainte s’élève à 1.600.000 euros".
Karim est Belge et vit en Arabie Saoudite depuis 7 ans. "J'ai perdu un peu plus de 50.000 euros. Pour les retrouver, j'ai fait appel à MyChargeBack", une entreprise américaine spécialisée dans le récupération d'argent dont les transactions sont compliquées à tracer, y compris la cryptomonnaie. "Si les escrocs touchent à l'argent, s'ils veulent l'utiliser, ça devra passer par un compte pour lequel ils ont dû laisser une identité. Et à ce moment-là, on pourra les trouver. MyChargeBack prend 20% de l'argent récupéré, et 10% de l'argent perdu lors de la signature du contrat", précise Karim. "Cet argent, comme dans tous les investissements, je pouvais le perdre". Mais il fera tout pour le retrouver...
Alexandre a perdu 2.850 euros, "que je ne retrouverai sûrement jamais", nous a-t-il confié.
Comprendre le système pyramidal Bit-Robot.io
Après avoir rassemblé des informations disponibles sur internet (vidéos, pages Facebook, sites web), et recueilli plusieurs témoignages de victimes, nous pouvons esquisser une explication du système pyramidal Bit-Robot.io. Il peut y avoir des erreurs dans le raisonnement, car nous ne sommes évidemment pas parvenus à contacter les escrocs, mais nous nous basons sur les autres systèmes pyramidaux dénoncés par RTL info.
Comment ont agi les escrocs à l'origine du site ? Deux personnes, probablement originaires de Liège, choisissent une thématique très à la mode en 2020 pour gagner de l'argent: les cryptomonnaies. Elle a plusieurs avantages: le grand public ne comprend plus ou moins rien à son mode de fonctionnement, mais il sait que la valeur du Bitcoin bat des records. En cette période de pandémie et d'incertitude financière, de crise de confiance envers les institutions établies (dont les banques où les comptes épargnes ne rapportent plus rien), l'idée d'une monnaie parallèle séduit. Autre caractéristique importante: la cryptomonnaie est anonymisée, ce qui est toujours pratique quand on veut frauder.
Forts de cette idée, les deux escrocs se construisent un site web et une réputation. L'un d'eux fait croire qu'il est expert en finances, et qu'il a créé une entreprise de robots de trading, c'est-à-dire des logiciels qui effectuent des transactions boursières (principalement des paris sur les variations de valeur de monnaies). Grâce à des algorithmes miraculeux, les "robots" génèrent donc des revenus automatiquement... Reste à trouver un site web disponible qui rassemble des notions de cryptomonnaie et de robots (bit-robot.io), puis à évoquer une alliance avec la pseudo entreprise de robot de trading.
Ensuite, les escrocs font jouer leur réseau pour attirer des membres. Durant une partie de l'année 2020, ils recrutent, font des visioconférences de groupe (via Zoom notamment), et ajustent leur concept afin de convaincre tout le monde. Non seulement les gens qui investissent peuvent bénéficier du travail des robots pour gagner de l'argent au bout de quelques semaines (leur argent est bloqué durant la durée du "contrat"), mais en plus, s'ils parviennent à recruter des nouveaux membres (qui feront pareil, créant donc une pyramide), ils toucheront des commissions en cascade. C'est ce qu'on appelle le MLM (multi level marketing), et c'est, pour faire simple, le principe des réunions Tupperware et du recrutement de revendeurs (c'est un exemple légal de ce concept). Lors des présentations, ces revenus pyramidaux sont largement mis en avant :
Une fois que tout est en place, l'argent afflue réellement (du moins en cryptomonnaie sur un 'compte' spécifique détenu par les escrocs). Et de manière anonyme: les membres transforment leurs euros en cryptomonnaie ou en dollars, qu'ils confient à la plateforme en créant leur compte Bit-robot. Ils voient que leur argent fructifie bien, et recrutent donc de nouveaux membres (soit parce qu'ils veulent partager ce qu'ils pensent être un bon plan, soit parce qu'ils veulent gagner plus d'argent…). L'argent frais des nouveaux membres sert à payer ceux qui veulent retirer de l'argent de leur compte Bit-robot ; mais souvent, comme Manon et Mathieu, l'affaire semble tellement juteuse qu'on réinjecte de l'argent plutôt qu'on en retire…
Tout finit toujours par s'effondrer
Bit-robot était donc, de l'été 2020 au début de mois de janvier 2021, un beau système pyramidal, avec toute l'ambiguïté qui le caractérise: ceux qui injectent de l'argent et recrutent des membres ont très envie de croire que tout est normal, légal, réel, car il y a de les intérêts s'affichent sur leur compte Bit-robot (totalement virtuel, bien entendu). Une partie de ceux qui ont investi ferment donc les yeux, plus ou moins consciemment. D'autres croient vraiment que de tels rendements sont possibles.
Et puis… Quand la supercherie a assez duré ; quand les utilisateurs, satisfaits des gains obtenus après quelques mois, décident de retirer leurs bénéfices ; quand les soupçons se multiplient ; quand les gens posent trop de questions ; quand on parle trop du concept sur internet et les réseaux sociaux… il est temps de disparaître. Avec tout l'argent encore disponible sur le 'compte' de cryptomonnaie des escrocs. C'est ce que les personnes à l'origine de Bit-robot ont fait. L'un d'eux a fait porter le chapeau à une personne impliquée de près dans l'arnaque, et celle-ci a du s'expliquer lors d'une visioconférence Zoom enregistrée par l'un des auditeurs :
Et il y avait sans doute des centaines de milliers d'euros en cryptomonnaie, que les escrocs essaieront de blanchir en utilisant diverses plateformes en ligne permettant de transférer l'argent sur des cartes de crédit utilisables partout dans le monde.
La justice est-elle au courant ?
Nous avons contacté les parquets de Liège, Charleroi et Mons: pas de dossier ouvert. Au parquet du Brabant wallon, on signale une plainte à Wavre, tout en précisant que "plusieurs plaintes sont traitées au parquet de Bruxelles". Mais le parquet de Bruxelles, après plusieurs jours de recherche, n'a "pas de dossier concernant Bit-robot".
Il faut s'y résoudre: la justice n'a pas l'habitude de traiter ce genre d'affaires. Les victimes ont déposé plainte au niveau de la police, qui décide (ou non) de prévenir le magistrat du parquet local. Il est donc possible que la police n'ait pas fait suivre certaines plaintes, ou que les plaintes n'ont pas été clairement identifiées/répertoriées par la police ou le parquet.
Quoi qu'il en soit, il est peu probable que la justice donne suite à cette arnaque pyramidale. Même si elle rassemblait les déclarations et menait son enquête, elle serait confrontée à des problèmes délicats: la structure de l'arnaque est restée volontairement opaque avec des (pseudo) entreprises impliquées basées à Londres et Dubaï, et des responsables dont on ignore l'identité réelle (ils ont probablement disparu dans la nature) ; l'utilisation de cryptomonnaie et de plateformes d'échanges de devises en ligne rend le traçage de l'argent pratiquement impossible.
La FSMA met en garde, à nouveau
L'Autorité des Services et Marchés Financiers n'est pas au courant de l'affaire Bit-robot. Mais elle met régulièrement à jour sa page concernant toutes les plateformes en ligne permettant des opérations financières identiques à Bit-robot.
En réalité, notre arnaque du jour n'a rien de nouveau. "La FSMA reçoit un grand nombre de notifications de consommateurs au sujet de plateformes de trading frauduleuses, qui proposent notamment souvent des cryptomonnaies. Ces plateformes ont l’air très professionnelles mais généralement, il n’y a aucun investissement qui est réalisé. Les escrocs se contentent d’encaisser l’argent des consommateurs", explique le service de communication. "Les cryptomonnaies sont actuellement très en vogue. Les fraudeurs surfent sur cet effet de mode pour faire le plus possible de victimes. Il y a aussi d’autres paramètres comme la crise sanitaire que nous connaissons actuellement et qui fait que nous passons davantage de temps sur internet et que nous sommes donc plus vulnérables et plus accessibles pour ces fraudeurs qui utilisent bien souvent les réseaux sociaux pour attirer leurs victimes".
De manière générale, la FSMA rappelle que "les cryptomonnaies ne constituent pas un moyen de paiement légal. Cela implique qu’il n’y a aucun contrôle ni aucune surveillance qui est exercé sur les cryptomonnaies". La FSMA recommande dès lors "la plus grande prudence face à ce type de produits".
Elle tient à jour sur son site des conseils pour reconnaître et éviter les fraudes, et termine par une bonne nouvelle: "la 5e directive anti-blanchiment, une directive européenne, entrera bientôt en vigueur et va soumettre certains types d’entités actives dans le domaine des cryptomonnaies à une obligation d’enregistrement". Cela pourrait refroidir certains escrocs…
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