Il s’appelle Youssef Kaddar. Son travail? Éducateur dans une maison de repos bruxelloise. A la lecture de ces lignes, vous l’imaginez certainement organiser un bingo ou des après-midi Derrick… La réalité est bien loin de ces clichés et Youssef ne cesse de le démontrer. Sa dernière contribution au travail de rapprochement entre la société et nos personnes âgées se regarde et s’écoute avec bonheur. Le bonheur communicatif d’une équipe et de résidents heureux. "J’adore mon travail", nous a-t-il confié. Rencontre avec celui qui (ne) se cache (pas vraiment) derrière le Uptown Funk de la maison de repos...
Youssef Kaddar a 27 ans. Il est éducateur spécialisé et référent démence à la maison de repos et de soins Acacias, située à Molenbeek-Saint-Jean, où il travaille depuis 3 ans. Un petit tour de force puisqu’en général, les maisons de repos engagent plutôt des ergothérapeutes, spécialisés dans la préservation ou le développement des capacités psychomotrices, pour compléter le travail des infirmiers avec les résidents. "Avant, j’ai travaillé comme éducateur dans une école. Mais j’avais été stagiaire dans cette maison de repos-là et ça m’avait plu, donc j’ai postulé. En temps normal, ils n’engagent que des ergothérapeutes, mais je ne connaissais pas ce métier quand j’ai commencé mes études donc je suis devenu éducateur. La maison de repos a vu avec moi que la personnalité jouait aussi un grand rôle dans le contact avec les seniors, pour les amuser, et ils m’ont engagé. Je ne connais que deux ou trois autres éducateurs qui ont la possibilité de travailler en maison de repos."
Des bingos, mais pas que…
Un profil atypique qui fait le bonheur des résidents. "Je m’occupe d’eux, je leur donne à manger et je m’occupe des animations. Alors bien sûr on fait du bricolage, des jeux de société ou des bingos, mais on va plus loin. On les amène aussi à rencontrer des enfants ou à faire des activités à l’extérieur, comme aller à un bal dansant ou en visite au zoo d’Anvers." Des activités différentes qui ont mené à la réalisation de cette vidéo, un clip sur les chansons Uptown Funk de Bruno Mars et Happy de Pharrell Williams, qui a déjà des milliers de vues rien que via Facebook (si vous ne la voyez pas juste ici en-dessous, voir tout en bas de l'article).
"J’ai voulu changer l’image péjorative qu’ont les gens des personnes âgées"
"A la base, j’avais vu une vidéo sur internet où un professeur avait fait ça avec ses élèves. J’avais trouvé l’idée géniale et je me suis dit, pourquoi ne pas l’adapter à la résidence?" Cette idée est venue d’une envie, sorte de combat personnel de Youssef pour changer la vision que le monde extérieur a des personnes âgées: "Les gens ont une image péjorative des personnes âgées et des homes. J’ai voulu faire ça avec les seniors pour changer cette image, démystifier ce milieu, montrer qu’ils s’amusent quand même malgré qu’il s’agisse de la dernière étape de leur vie."
Les résidents ont écrit le scénario
Il a donc proposé la réalisation de ce clip aux résidents, qui se sont montré enthousiastes. "Ils ont eux-mêmes élaboré les scènes, les séquences, pendant trois après-midi. Ils lançaient beaucoup d’idées, comme: "Moi, je veux bien être dans un fauteuil entouré d’aides-soignantes"... Une scène qu’on retrouve d’ailleurs dans le clip au final. Le tournage a pris une après-midi et pour agencer les images, j’ai un ami monteur à Mainevent Record qui m’a aidé."
"Jean est devenu la star de la maison de repos"
Le résultat a premièrement séduit les résidents: "Ils se sont vraiment bien amusés et ils sont contents du résultat. Il y a même un résident, Jean, celui avec sa casquette au début du clip, qui est un peu devenu la star de la maison de repos. Il s’y sent mieux et il sent aussi que le regard des dames sur lui a changé…" Puis la vidéo a trouvé son public, sur Facebook où les partages se sont multipliés au même rythme que les commentaires positifs.
Une adolescente en décrochage scolaire a repris sa vie en main grâce aux résidents
Ce travail innovant et créatif impliquant les résidents des Acacias n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Youssef, de par sa formation et son vécu dans l’enseignement, jette aussi des ponts entre jeunes et moins jeunes. "J’ai par exemple un ami éducateur qui s’occupe de jeunes en décrochage scolaire. D’habitude, ils suivent des travailleurs sociaux mais je lui ai proposé de les amener à la maison de repos pour parler avec les personnes âgées. Au début, ils ne savaient pas trop quoi faire, ils avaient même un peu peur. Puis ils ont vu qu’on s’amusait bien ici et ils se sont lâchés. Parfois, les éducateurs n’ont pas les bonnes paroles pour aider les jeunes alors que les personnes âgées peuvent leur apporter leur vécu. Ils leur donnent toujours le même conseil: "Surtout n’arrête pas l’école". Et ça marche. On a une jeune fille qui a été tellement touchée que, non seulement elle a repris l’école, mais en plus elle revient nous voir pour faire du bénévolat auprès des résidents."
Quand un défilé de mode se termine au zoo !
Une autre collaboration avec des jeunes a eu lieu il y a un mois. "On a organisé un défilé de mode avec des élèves d’une école secondaire de Woluwé-Saint-Lambert. Elle a eu lieu à la maison de repos et les jurés étaient les résidents. Il y a avait beaucoup de filles… donc tous nos résidents masculins ont participé." Les jeunes ont tellement apprécié l’expérience que "c’est d’ailleurs avec cette classe qu’on est allé au zoo d’Anvers. Comme on a trop de résidents en chaise roulante par rapport au nombre d’employés disponibles, les jeunes nous ont aidé à les pousser, ce qui a permis à un maximum de résidents de participer."
"J’ai carte blanche"… "pour proposer des activités"
Des activités variées qui évitent aux résidents de passer les derniers instants de leur vie en vase clos, mais qui peuvent surprendre. "J’adore mon travail. La maison de repos me laisse carte blanche, ils me font confiance tant que je fais attention aux résidents que je sors et m'implique dans mes projets", nous explique Youssef. Pascal Kerger, le directeur de l’établissement, est comblé. "Il a su faire son trou chez nous et en très peu de temps, il s’est rendu indispensable", confirme-t-il. "C’est quelqu’un de jovial, serviable et ce qu’il propose est toujours dynamique, avec pas mal de sorties et beaucoup de bonne humeur. Il a la fraicheur et l’énergie de la jeunesse, qu’il faut donc parfois recadrer. Oui, il a carte blanche… mais pour proposer des activités. Je reste celui qui valide celles-ci, mais c’est vrai que je n’ai pas souvenir d’avoir déjà dû lui dire non." M. Kerger a cependant tenu à souligner que les activités innovantes avec les seniors ne sont pas l’apanage de la résidence Acacias. Dans les 3 autres maisons de repos bruxelloises du groupe, l’attention portée au divertissement des seniors est aussi une priorité.
"Les personnes âgées vous transmettent de bonnes valeurs"
L’apport principal de Youssef, selon son directeur, "c’est le côté intergénérationnel, qui fait vraiment du bien aux résidents et plaît à la grande majorité". Des éloges qui vont aussi dans l’autre sens: ce que les résidents apportent à leur animateur, il le leur rend bien: "Il faut savoir que c’est un public super", nous dit Youssef. "Il ne faut pas hésiter à entrer en contact avec eux et venir passer une après-midi avec les seniors. Ils ne sont pas actifs dans la société, mais ils vivent ! Ils sont prêts à participer et enthousiastes. Ils vous transmettent de bonnes valeurs, donnent des conseils. Et les personnes âgées aiment beaucoup les enfants. Il faut juste amener au premier contact."
Une vocation? Difficile d’être engagé si on n’a pas un diplôme dans le paramédical…
Quelles qualités faut-il pour travailler avec des personnes âgées? "Il faut avoir beaucoup de patience, avoir le moral et aimer aider et écouter les séniors", explique Youssef, qui verrait d’un bon œil que son témoignage suscite des vocations. Mais attention, engager des animateurs reste une exception dans les maisons de repos, et M. Kerger nous explique pourquoi. "Les maisons de repos sont financées par l’INAMI (Institut national d'assurance maladie-invalidité). Ils financent les infirmiers, les ergos, les kinés… mais un animateur comme Youssef, lui, est très peu financé. Nous, on fait l'exception parce que c’est vraiment quelqu’un qui s’est singularisé. Mais tout ce qui n’est pas financé par l’INAMI, on doit le sortir de notre poche…" Malgré ce handicap pour tous ceux qui ne sont pas titulaires d’un diplôme dans le médical ou paramédical, M. Kerger "pourrait conseiller à des collègues directeurs de faire le test" et de donner leur chance à des personnes au profil atypique.
"J’ai un autre projet en tête…"
Youssef, lui, se "voit bien travailler encore longtemps avec ce public, même si à un certain âge, ça deviendra trop physique comme travail, par exemple pour pousser les chaises roulantes." Et il nous l’assure: il est loin d’être à court de bonnes idées. "J’ai un autre projet en tête, un peu en lien avec ce clip, mais je n’en dirai pas plus, je ne l’ai pas encore présenté au directeur." Nul doute que les résidents vont à nouveau se lancer dans une activité inédite, avec le sourire.
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