Serpents, scorpions, araignées... Grâce aux centaines d'espèces qu'il accueille, le laboratoire Alphabiotoxine fait commerce de leurs multiples venins. Mais la société montrœuloise s'inquiète de la nouvelle réglementation encadrant la détention de reptiles.
Alphabiotoxine, située à Montroeul-au-Bois (province de Hainaut), est une société unique en son genre en Belgique. Mi laboratoire, mi ferme, elle héberge plus de 300 espèces au monde — cobras, mygales, poissons-pierre, crapauds buffles… — dans le but de produire des venins. Depuis un an, Alphabiotoxine accueille également une cinquantaine de serpents venimeux qui ont été saisis chez des particuliers en Belgique. Ce qui n’est pas la vocation de cette société. Rudy Fourmy, son fondateur, tire la sonnette d’alarme : la nouvelle réglementation portant notamment sur la détention de reptiles est "trop restrictive", donc "inadaptée", déplore-t-il via le bouton orange Alertez-nous. "À un moment donné, le labo va être saturé d’espèces qui n’ont peut-être aucun intérêt dans le cadre de son activité", craint-il.
Une production de venins extraordinairement variée
Rudy Fourmy, biologiste et technicien en biologie moléculaire, a créé Alphabiotoxine en 2009. Le laboratoire compte aujourd'hui entre 150 et 200 serpents et offre une capacité de 1500 à 2000 arthropodes (araignées et scorpions confondus). "Cela varie en fonction des reproductions, des arrivages et des demandes en venin", explique le biologiste. Riche de cette grande variété d'espèces, Alphabiotoxine produit des venins très divers : non seulement les venins de serpents ou scorpions, mais aussi d'araignées, méduses, anémones de mers, batraciens…
Ces venins sont collectés selon le groupe zoologique par différentes méthodes. "Souvent, pour les serpents, c’est par matage des glandes à venin. Chez les arthropodes (araignées, scorpions…), ce sont des stimulations électriques de faibles intensités, qui ne causent aucun dommage à l’animal", explique Rudy Fourmy.
Traite du venin d'une mygale
Anesthésie d'un cobra pour une opération
Le poison devient remède
Une fois collectés, les venins sont congelés à très basse température, lyophilisés pour en faciliter la manipulation, et conservés sous cette forme. Cette matière première est est vendue à l’industrie pharmaceutique ou des laboratoires de recherche qui veulent étudier l’activité biologique de ses molécules. "Nous avons également un service de fractionnement et d’analyse qu’on peut mettre à disposition des clients à la demande", précise Rudy Fourmy.
Les chercheurs étudient le mode d'action des venins dans l'espoir de mettre au point de nouveaux médicaments. En effet, les venins ont des activités sur le système sanguin et le système nerveux. "Cela peut avoir des effets anticancéreux ou éventuellement de blocage de l’évolution de certaines maladies, explique le biologiste. C’est l’objet de recherches actuellement dans des domaines de la maladie Parkinson, Alzheimer, ou orphelines comme la polykystose rénale ou l’éclampsie".
Collecte de salive sur un varan (Varanus salvadorii)
Traite du venin sur une araignée (heteropoda)
Rudy Fourmy et un lézard perlé (Heloderma horridum)
Le Service Public de Wallonie fait appel à Alphabiotoxine pour garder des reptiles saisis chez des particuliers
Outre cette activité de production de venin, Alphabiotoxine propose des contrats de gardiennage et d'exploitation d'animaux mis en dépôt. Le laboratoire facture la maintenance et la manipulation aux clients. "Un serpent sur une année c’est 500 euros", indique Rudy Fourmy. Parmi la clientèle, le Service public de Wallonie, qui confie au laboratoire des animaux saisis lors de contrôles.
En effet, l’Unité du Bien-être Animal (UBEA) du SPW se charge d’effectuer des contrôles bien-être animal en Wallonie. Les agents de police et les agents constatateurs communaux sont également compétents pour constater des infractions en matière de bien-être animal, et peuvent être appuyés par l’UBEA ou un vétérinaire communal, nous explique Nicolas YERNAUX, Porte-parole SPW. Ces contrôles sont effectués "sur base de plainte essentiellement", précise-t-il.
"On ne pourra continuer comme ça indéfiniment"
"Le problème est que quand on signale la présence de ces animaux chez un particulier et que les forces de l’ordre interviennent, ils n’ont pas d’autre choix que de confisquer les animaux. Après on en fait quoi ?", questionne Rudy Fourmy. "Le zoo d’Anvers est saturé, les refuges ne sont pas équipés et pas formés pour les détenir… Pour l’instant, on se retourne souvent vers nous", constate le fondateur d'Alphabiotoxine.
Depuis octobre 2020, le laboratoire accueille une cinquantaine de serpents qui ont été saisis lors de contrôles. Jusqu'à présent, le laboratoire a été en mesure de répondre à ce type de demandes dans l'urgence. "Mais on ne pourra continuer comme ça indéfiniment", souligne Rudy Fourmy. "Surtout que le phénomène risque de s’amplifier", s'inquiète-t-il. Des craintes qui trouvent leur source dans un arrêté du Gouvernement wallon encadrant la commercialisation et la détention de reptiles datant du 10 décembre 2020.
Des conditions trop restrictives pour les détenteurs de reptiles ?
Le code wallon du bien-être des animaux prévoit que le gouvernement dresse la liste des animaux qui peuvent être détenus par des particuliers. Seul les parcs zoologiques, les refuges, les laboratoires et les titulaires d’un agrément peuvent détenir les espèces ne figurant pas sur la liste, explique Nicolas Yernaux, porte-parole du SPW. À la liste de mammifères (qui existait déjà avant décembre 2020), le gouvernement wallon a ajouté une liste de reptiles qui peuvent être détenus, et préciser les conditions de détention de ceux-ci. Cette liste et ses critères, sur lesquels le gouvernement s’est basé pour rédiger l’arrêté, ont été élaborés par le Conseil Wallon du Bien-être des Animaux. Parmi les critères pour établir cette liste : logement et habitat faciles à réaliser, nourriture facile à se procurer, taille maniable, sans danger pour l’homme, etc.
L’objectif de cette liste ? "Éviter que des animaux avec des besoins spécifiques soient détenus dans de mauvaises conditions pour leur bien-être, explique Nicolas Yernaux. Certains reptiles ont des besoins qui demandent des connaissances, du matériel et une infrastructure qu’un particulier ne peut acquérir que difficilement (ex : maitrise fine de la température, du taux d’humidité, espace, manipulation difficile etc…..)"
"Le législateur a mis le niveau d’exigence assez haut", estime Rudy Fourmy. Notamment, le particulier détenteur d'un reptile doit s'affranchir d'une redevance de 120 euros pour chaque dossier introduit. "Les gens ne sont pas disposés à se soumettre à ça, même si ça se justifie. La législation doit être revue en tenant compte de la réalité du terrain. Il y aurait plus de personnes qui se mettraient en règle", croit le fondateur d'Alphabiotoxine.
Le porte-parole du SPW souligne que les détenteurs de reptiles "hors liste" avaient 6 mois pour se mettre en ordre, après la publication du nouvel arrêté au Moniteur Belge fin janvier 2021. "Il est donc prématuré pour tirer des conclusions", juge-t-il. Néanmoins, pour ne pas risquer de manquer de places d’accueil pour les animaux saisis, la direction de la qualité et du bien-être animal du SPW a lancé un appel à projets l'été dernier en vue d’augmenter les capacités d’accueil des animaux dans les refuges.
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