Orpea, le groupe qui gère l'établissement, ne souhaite plus exploiter la séniorie du Vigneron, ce qui contraint ses résidents à déménager. Les "lits", places en maison de repos agrées par l'AVIQ, seront répartis dans d'autres résidences du groupe privé.
Michèle était particulièrement satisfaite de la Résidence du Vigneron, à Ransart, où sa mère a emménagé au printemps dernier. Mais deux mois plus tard, Orpea, le groupe qui gère l'établissement, a annoncé que les résidents allaient devoir déménager. "C'est une opération financière qui ne tient absolument pas compte de l'humain", s'indigne Michèle via notre bouton orange Alertez-nous. Cette femme de 63 ans, directrice d'un établissement scolaire, refuse que sa mère quitte les lieux. Elle s'interroge sur les éventuelles perspectives d'avenir pour la résidence du Vigneron. "Que personne d'autre ne veuille prendre les choses en main et réfléchir, je ne suis pas d'accord", lance-t-elle. Michèle estime que les différents acteurs du secteur des maisons de repos devraient réfléchir à une solution pour éviter la fermeture de la maison.
L'annonce du transfert des lits choque les résidents
Ce que reproche en premier lieu Michèle à Orpea, c'est une certaine brutalité dans la méthode. Un mardi soir du mois de juin, elle a reçu un coup de téléphone d'un responsable de la résidence pour la convoquer le lendemain à 14h à une assemblée générale. "J’y suis allée pour apprendre, non pas par la directrice, mais par une déléguée de la société que les lits allaient être déplacés à partir du mois de septembre, par vague", raconte-t-elle.
Le directeur d'Orpea, Geert Uyterschaut, réfute pourtant toute erreur de communication. "À un certain moment il faut annoncer les choses. Les gens sont un peu choqués, ce que je comprends tout à fait, parce que, oui, leur maison va disparaître", dit-il.
D'après Michèle, la déléguée a évoqué lors de cette réunion la possibilité pour les résidents de voir leur lit transférer soit à Waterloo, soit à Villers-la-Ville. Deux résidences du Brabant wallon. "Les gens de la région de Charleroi n’ont pas forcément les moyens d’aller voir leurs parents à Villers-la-Ville ou Waterloo. Ce n'est pas du tout la même chose en termes de transport en commun", déplore-t-elle. Outre le problème de distance, ces maisons pratiquent des tarifs bien plus élevés. D'autres familles de résident se plaint ouvertement de cette situation dans les médias, mettant la pression sur Orpea.
Orpea tente d'adoucir les rancœurs
Depuis, le groupe a revu sa copie. Il propose à ses clients du Vigneron trois alternatives supplémentaires pour leur déménagement : la résidence Adret à Gosselies, Amarantes à Loverval et Jean de Nivelles à Nivelles. Des résidences qui offrent un confort supérieur, proposées au même prix que la résidence du Vigneron. "C'est spécifiquement leur avantage parce que, eux, doivent déménager", vante le directeur.
Le déménagement reste aux frais des résidents. Il constitue un désagrément très important pour eux, notamment pour ceux qui sont en soins palliatifs et n'ont plus que quelques mois à vivre. Pour Michèle, ce traitement relève de la maltraitance envers les personnes âgées. "Dieu sait que c'est une sérieuse forme de maltraitance que de leur annoncer ‘voilà, on prend votre lit’. Sans les aider à trouver une solution. Après voilà, terminé, au revoir", dit-elle.
Quand Michèle accuse Orpea de ne se soucier que de ses finances, le directeur assure au contraire que le groupe assume sa part de responsabilité "sociale" : "Je comprends les émotions des gens. Certains résidents sont vraiment à la fin de leur vie, c'est comme ça (...) Mais ce qui est fantastique, quand même, c'est qu'on va leur offrir une chambre, une structure, mille fois mieux que maintenant. On ne les laisse pas tomber", estime-t-il.
Anne Jaumotte, chargée de projets de l'asbl Énéo, mouvement social des aînés, a vu des fermetures de résidences plus brusques que celle-ci. "Il y a des cas où la maison de repos perd l'agrément, on ferme et 'débrouillez-vous', raconte-t-elle. Les résidents doivent partir et rien n'est prévu pour les accueillir ailleurs".
Une chambre de la résidence du Vigneron - © Orpea Belgium
Qu'est-ce qui a motivé la décision d'Orpea ?
Le directeur l'assure, c'est avant tout pour "anticiper les normes futures et les attentes des gens" que l'entreprise a décidé de transférer les lits de la résidence du Vigneron. D'après lui, le bâtiment, vieux de trente ans, présente "une vétusté importante".
Mais Michèle croit peu à ces explications. Pour elle, la résidence est plutôt mieux que les autres qu'elle a visitées : sa mère est dans une chambre seule. Il y a une pièce commune à l’étage qui est "tout à fait correct", estime-t-elle. Elle dispose d'un cabinet de toilette mais pas de douche individuelle. "Vous lui mettez la douche, elle ne peut pas la prendre seule, elle a 90 ans, ce serait un peu dangereux", remarque-t-elle. La question des douches individuelles dans chaque chambre est assez controversée, indique Anne Jaumotte. Toutes les personnes âgées n'ont pas forcément l'habitude de les utiliser. Mais c'est la tendance actuelle, "le minimum", estime le directeur d'Orpea.
Selon ce dernier, le problème principal de la résidence du Vigneron est le manque d'espace. "Les chambres sont très petites. Il y a très peu d'espace de vie, d'espaces communs, des salles polyvalentes", estime le directeur. Or cela pose problème pour l'organisation d'animation. "Les résidents souhaitent vraiment être occupés pendant toute la journée", affirme le directeur. Rénover impliquerait de démolir pour reconstruire, explique-t-il. "Ce qui serait extrêmement compliqué dans le cas de Vigneron. Vous faites votre petit calcul et puis vous dites 'qu'est-ce qu'on fait ?'".
La petite taille du lieu ne pose pas que des problèmes de qualité du service. Avec 67 lits, la résidence du Vigneron se situe en dessous du seuil de rentabilité. "Au-delà des 100 lits on a des structures qui sont en théorie pérennes au niveau de la rentabilité pour autant qu'il n'y ait pas de gros investissements à faire en terme d'infrastructures", indique Frédéric Huel, directeur du département des établissements pour aînés de l'ISPPC (Intercommunale de Santé Publique du Pays de Charleroi).
Il est donc dans l'intérêt d'Orpea de regrouper ses lits dans de plus grandes structures.
"Elle est bien là. Je ne la bouge pas"
Si la résidence du Vigneron n'est pas aussi luxueuse que d'autres établissements du groupe, Cécile, la mère de Michèle, âgée de 90 ans, y a retrouvé la forme. "Elle a dix ans en moins !", se réjouit sa fille. "Nous pensions que nous allions la perdre et maintenant elle cavale dans les couloirs, elle s’est fait des copines", raconte-t-elle. Alors impossible d'envisager son départ. "Je n’ai pas encore reçu un recommandé qui m’annonce que ma mère doit quitter la résidence. Ce qui veut dire que pour l’instant, elle est là et elle est bien là. Je ne la bouge pas", martèle-t-elle.
Orpéa ne souhaitant plus exploiter cette résidence, quel avenir pour le lieu ?
Michèle s'est résignée à accepter la décision d'Orpea, mais pas la fermeture du lieu. Elle estime que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans l'avenir de la résidence. "Le personnel est là, le bâtiment est là, les résidents sont là. Pourquoi ne pas réfléchir à trouver une autre solution ?", interroge-t-elle.
Michèle nous a dit que le personnel serait "évidemment d'office licencié". Des propos qui irritent le directeur d'Orpea : "Pas du tout !", lance-t-il. "Tous les membres du personnel, les aides-soignantes, infirmières etc. vont accompagner leurs résidents vers d'autres maisons", déclare-t-il.
Quant au bâtiment, Orpea le loue à Cofinimmo, une société immobilière qui a investi massivement dans l'immobilier de santé ces dernières années. Les deux sociétés se renvoient la balle sur l'avenir de la résidence. "C'est leur bâtiment, donc finalement c'est à eux de trouver une solution", déclare le directeur d'Orpea. Gunther De Backer, responsable de la communication chez Cofinimmo, indique qu'Orpea est en "charge de l'exploitation" et que Cofinimmo a un contrat non résignable sur le long terme avec Orpéa.
Si demain on voulait investir ce bâtiment, on n’a pas les lits, donc ce n’est tout simplement pas possible.
En Wallonie, les projets dépendent des agréments attribués par l'AVIQ
Le secteur des maisons de repos, s'il est une manne pour certains groupes privés, est aussi un terrain d'action des pouvoirs publics et des associations. Il relève de la compétence des régions qui légifèrent, déterminent des normes et attribuent des subsides. En Wallonie, il appartient à l'AVIQ de donner aux structures privées, publiques ou associatives les agréments pour l'ouverture de "lits", c'est à dire de places dans les maisons de repos.
L'AVIQ subventionne 48.431 places dont 21.385 places en MRS (maison de repos et de soins) pour des personnes qui présentent un profil de dépendance, et 1.228 places en MRSP (maison de repos et de soins purs, anciennes places gériatriques reconverties), indique Sarah Lefèvre, porte-parole de l'agence wallonne. L'organisme impose un quota de 50% de places dans le privé, 50% de places dans le public et associatif.
Concernant la résidence du Vigneron, l’AVIQ a interpellé Orpea par courrier, invitant la société à l’informer des mesures prises pour assurer effectivement le transfert des résidents vers d’autres structures.
Charleroi compte actuellement 33 maisons de repos, le CPAS voudrait en ouvrir une 34e
Les homes du secteur privé sont au nombre de 16 à Charleroi, dont la résidence du Vigneron. Le CPAS gère 991 lits répartis dans neuf maisons de repos. L'ISPPC dispose de trois maisons de repos d'environ 120 lits chacune. "Si demain on voulait investir ce bâtiment, on n’a pas les lits, donc ce n’est tout simplement pas possible. Même si on construit un bâtiment, on ne pourrait pas accueillir des personnes dedans", explique Didier Neirynck, porte-parole du CPAS, qui est au courant de la décision prise par Orpéa. "Ça montre un peu les limites de la gestion de ce secteur-là par le secteur privé dans une optique purement mercantile", estime-t-il.
Plusieurs familles de résident du Vigneron ont contacté le CPAS en vue d'obtenir une place en maison de repos. "On est à l’écoute de ces personnes pour les accueillir mais dans la limite des disponibilités parce qu’on a un taux d’occupation quasiment de 100% et on ne peut pas bypasser la liste d'attente". Les trois structures de l'ISPPC sont également complètes. "Je n'ai pas de lits disponibles. Dès qu'un lit se libère, on fait une entrée", indique Frédéric Huel.
Le CPAS de Charleroi souhaite ouvrir une dixième maison de repos d'environ 120 lits, indique Didier Neirynck. Un projet de longue date bloqué par la situation politique actuelle.
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