Un habitant de Mont-Saint-Guibert est pessimiste quant à l'avenir de son secteur . Ce restaurateur juge les aides apportées par les autorités trop légères. Entre incertitude, crainte et incompréhension, David explique pourquoi l'avenir s'annonce sombre pour les exploitants horeca du pays.
"Comment voulez-vous qu'on paie toutes ces factures sans aucune rentrée financière?" David, 43 ans, est restaurateur à Mont-Saint-Guibert dans le Brabant wallon. Il interpelle notre rédaction via la bouton orange Alertez-nous sur sa situation. La même que partage des milliers d'exploitants dans le secteur Horeca (Hotel-Restaurant-Café) à travers le pays. Depuis le début de la crise liée au Covid-19, son établissement est à l'arrêt forcé.
Un petit restaurant de village à la clientèle locale
L'établissement de David, le "Comme chez vous", ouvre il y a 16 ans dans le centre de Mont-Saint-Guibert. Il le décrit comme "un restaurant de village".
"Je suis chef en cuisine. Je travaille un maximum avec des produits frais. Mon cheval de bataille depuis 16 ans, c'est le rapport qualité-prix. J'ai une clientèle très locale ", raconte-t-il.
Mon restaurant, c'est mon bébé
A l'annonce du gouvernement de fermer les établissements Horeca le 13 mars dernier pour lutter contre la propagation du virus, c'est le coup de massue. "J'ai deux employés. J'ai dû les mettre en chômage temporaire. Je me suis retrouvé avec un tas de marchandises à écouler du jour au lendemain. Mon restaurant, c'est mon bébé. Ce n'est pas usine à pognon."
Les autorités - tant au niveau régional que fédéral - ont dans la foulée annoncé une série de mesures visant à aider les indépendants comme David. Parmi celles-ci, on note principalement:
1. Une prime wallonne, non renouvelable, de 5.000 euros. (La somme est de 4.000 à Bruxelles)
2. Un revenu de remplacement (droit passerelle) accessible à tous les indépendants à titre principal dont l'activité a été interrompue ou limitée.
3. Le report d'une série de cotisations (principalement en matière de charges patronales et fiscales)
> Consulter toutes les mesures de soutien dans l'Horeca en WALLONIE
> Consulter toutes les mesures de soutien dans l'Horeca à Bruxelles
Malgré les mesures mises en place par les autorités, David reste pessimiste. Il pointe du doigt surtout les mesures de report (3). "Tout ou tard, on va devoir payer", remarque-t-il. Des suppressions nettes seraient plus appropriées selon lui alors que nous vivons une situation exceptionnelle "On ne va pas doubler notre chiffre d'affaires. On risque de faire moins même." Il en veut pour exemple la TVA due pour son établissement: "Je paie en moyenne entre 4500 et 5000 euros de TVA par trimestre. Avec l'un des reports prévus, je vais devoir payer 9.000 voire 10.000 euros en une fois? (soit deux trimestres en un coup) "Je ne pourrais pas le faire."
Il faut autre chose que des reports. Ça sert juste à rassurer. On reporte juste le problème
David calque son analyse à tous les reports annoncés: "Je ne sais pas doubler mon chiffre d'affaires d'un coup de baguette magique et payer deux fois la TVA, le précompte professionnel, l'ONSS de mon personnel. Il y a un moment, c'est le serpent qui se mord la queue." Et de conclure en interpellant les porte-paroles du secteur: "On ne les entend plus du tout les représentants des fédérations Horeca en ce moment".
La poussière sous le tapis
Thierry Neyens est justement le président de la fédération Horeca - Wallonie. Interrogé par nos soins, il contextualise: "Ce sont des mesures d'urgence. Quand quelqu'un est blessé, on vient avec la trousse de secours et on met un pansement. Ensuite, on doit réfléchir à des mesures structurelles sur du moyen et long terme. Ces reports permettent juste de gérer les petites dépenses au quotidien." Pour autant, Thierry Neyens, lui-même exploitant dans la restauration, va dans le même sens que David: "Il faut autre chose que des reports. Ça sert juste à rassurer. On reporte juste le problème."
Cette prime de 5000 euros a été décidée à la base pour trois semaines de confinement
Une prime jugée insuffisante
Pour ce qui est de la prime de 5000 euros (non renouvelable) ainsi que du revenu de remplacement estimé à 1200 euros pour David, il juge ces deux aides insuffisantes. "Cette prime de 5000 euros a été décidée à la base pour trois semaines de confinement. C'était ok, je pouvais payer mes frais fixes. Je ne gagnais pas d'argent mais je n'en perdais pas non plus." Mais depuis le confinement a été prolongé au 19 avril: "5000 euros, c'est loin d'être assez. Depuis le 20 mars, je n'ai plus aucune liquidité dans mes caisses."
Des factures qui s'accumulent
Il y a quelques jours, David s'est rendu dans les bureaux de son établissement. Quelle ne fût pas sa surprise lorsque il est tombé sur du courrier composé principalement de factures. La plupart sous forme d'acomptes (eau, gaz, électricité,…) Même si le rectificatif en fin d'année devrait être en faveur du restaurateur - car la consommation est nulle en ce moment pour son établissement - il s'interroge sur la nécessité des fournisseurs de continuer à réclamer ces acomptes alors que les caisses sont vides. "J'ai appelé Luminus car j'avais des frais de rappel pour une facture impayée. Ça ne sert à rien. On nous dit qu'on peut reporter les factures. Et on fait quoi dans deux ou trois mois?"
Nicolas De Bie est responsable de la communication chez Luminus. Il invite tous les exploitants Horeca à prendre contact avec le fournisseur pour discuter du montant de ces acomptes et régler cette problématique: "Dans le cadre des clients Horeca, il y a moins de consommation pour l'instant. Nous avons aucun souci à diminuer le montant de ces acomptes. On regarde ça au cas par cas." Luminus incite ses clients HoReCa à le faire savoir soit par téléphone, soit via leur propre espace client en ligne ou via le site web du groupe Luminus.
L'Etat doit aider ceux qui ne travaillent plus
Mardi 14 avril, le groupe d'experts sur la stratégie de sortie de la crise du Covid-19 (GEES) rendra un premier rapport au gouvernement. La relance de l'économie occupe une place importante dans cette réflexion. Alors quelles solutions pour les restaurateurs? "Moi je ne peux plus travailler alors que certains oui. Je ne remets pas cela en cause. Je comprends. Mon papa souffre du Covid-19", confie David. "Mais l'Etat doit aider ceux qui ne travaillent plus. J'ai deux enfants, une maison à payer, etc. On fait comment?", questionne David. "Je ne donne pas 6 mois pour qu'on explose niveau faillite."
"Plus le confinement va durer, plus on va souffrir"
Pour le représentant de la fédération Horeca Wallonie, Thierry Neyens, le secteur va devoir bénéficier d'une aide plus importante dans les mois à venir. Il en appelle à tous les niveaux du pouvoir. Sans un apport financier important, il juge l'avenir de la restauration compromis: "On a une hémorragie claire dans le secteur. Certains annoncent un taux de faillite entre 20% et 40%. Plus le confinement va durer, plus on va souffrir. On doit pouvoir valider rapidement un plan de relance pour le secteur Horeca au niveau belge. Tout dépendra des mesures de soutien. Globalement, s'il n'y a pas de mesures structurelles avec de l'oxygène, de l'argent frais... ", alors la fédération Horeca wallonne craint le pire. Une réponse proportionnée est attendue par la fédération: "Il y a une responsabilité politique dans un environnement économique. L'oxygène que devra recevoir le secteur devra être en lien avec la durée du confinement."
Centraliser la colère pour mieux remonter l'information
Pour Thierry Neyens, les exploitants ont eux-mêmes une responsabilité dans la tournure que les évènements pourraient prendre à l'avenir. "Au lieu d'aller crier haut et fort et de créer des groupes sur Facebook par dizaine pour se plaindre de la situation, il vaut mieux centraliser et remonter l'information vers les porte-paroles du secteur", appelant les exploitants à se tourner vers sa fédération, mais aussi vers ses homologues de Bruxelles et de Flandre avec lesquels il dit travailler en étroite collaboration.
Les gens ne vont pas su ruer dans les restaurants. Il y aura des répercussions sur nos chiffres d'affaires
Et après?
Jeudi dernier, Sophie Wilmès indiquait devant les députés à la Chambre que "le retour à la normale ne peut se faire que graduellement" et que "Il y aura un avant et un après covid dans notre manière d'envisager la relation aux autres et la façon de concevoir notre société". Concrètement, pour David et son restaurant, il craint que les clients restent méfiants envers son secteur d'activité: "Les gens ne vont pas su ruer dans les restaurants. Il y aura des répercussions sur nos chiffres d'affaires" bien au-delà du déconfinement. Un crainte partagée par Thierry Neyens également: "Certains n'auront pas envie de se retrouver les uns contre les autres. D'autres seront plus frileux."
Enfin si certains montrent marque de soutien au corps médical en ce moment, il devra en être de même après le confinement avec le l'HoReCa selon son représentant wallon. "Tout le monde est solidaire des soins de santé, de la police, etc. Mais plus que jamais le secteur HoReCa aura besoin aussi de soutien. Tout le monde se rend compte de la place prépondérante de notre secteur. Supprimer l'HoReCa, c'est supprimer le lien social."
Une date encore inconnue
Pour la fédération Horeca Wallonie, un travail de réconfort et de communication sera nécessaire: "Il faudra rassurer le consommateur et lui donner des garanties, même si le risque zéro n'existe pas." A cela s'ajoute, le flou encore total sur les circonstances qui accompagneront le déconfinement. Certains évoquent le mois de juin pour la réouverture du secteur HoReCa même si le gouvernement n'a encore donné aucune date à ce jour. "Une réouverture en juin? Si oui, avec quelles consignes: encore de la distanciation? Des masques pour les clients? Pour le personnel aussi? Ça va venir complexifier le travail de l'entreprise", conclut Thierry Neyens. Autant d'inconnues que devront clarifier les autorités compétentes dans les semaines à venir.
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