Dans le cadre de la deuxième vague de coronavirus, représentants syndicaux et patronaux se sont mis d'accord pour offrir une prime de 500 euros aux travailleurs des grandes surfaces. Seulement tous les employés de supermarchés n'y ont pas droit, pour une raison liée au droit du travail et aux commissions paritaires. Explications.
Stéphane, employé dans un commerce d'alimentation franchisé, a appris "avec regret" qu'il n'aurait pas droit à la prime corona de la grande distribution. Prime de 500 euros qui vient d'être négociée entre Comeos (la fédération du commerce) et les syndicats. Via le bouton orange Alertez-nous, il partage son incompréhension : "Nous ne sommes pas sur la bonne commission paritaire mais nous avons travaillé comme les autres et on souffre comme eux durant cette période", a-t-il écrit. Il se dit "déçu" par ce qu'il perçoit comme une injustice : "Toujours deux poids deux mesures. On parle d'égalité mais il n'en est rien".
Cet accord concerne effectivement les travailleurs émargeant à la commission paritaire (CP) 202 ainsi qu'à ceux des hypermarchés Carrefour (de la commission paritaire 312 des grands magasins). Cette CP pour les employés du commerce de détail alimentaire comprend les entreprises qui vendent des produits alimentaires, qui occupent plus de vingt-cinq travailleurs et qui ont au moins trois établissements. Cet avantage a été imaginé pour récompenser les efforts réalisés par les travailleurs à l’occasion de la deuxième vague de coronavirus.
Des réalités similaires pour les travailleurs
La plupart du temps, les employés des commerces alimentaires franchisés (de type par exemple Proxy Delhaize) se retrouvent dans la commission paritaire 201 du commerce de détail indépendant. Ce qui justifie la différence de traitement.
Le travail pourtant, comme le pointe Stéphane, y est quasiment en tout point le même. Cela peut donc être difficile à comprendre. Delphine Latawiec, secrétaire nationale CNE commerce, en convient : "Si l'on se place du point de vue du travailleur, que l'on soit caissière dans un Carrefour express ou dans un hypermarché, c'est un peu pareil..." D'où le sentiment d'injustice. Mais, considère la Secrétaire nationale CNE : "Le système de la franchise est discriminatoire par essence. Les conditions de travail ne sont pas les mêmes et c'est souvent au désavantage des employés des franchisés".
Mais très différentes pour les employeurs
Certains des affiliés du syndicat chrétien lui font d'ailleurs savoir qu'ils sont mécontents. Seulement, comme l'explique la responsable "s'il n'y a pas de rapport de force, on peut difficilement négocier les mêmes avantages". La commission paritaire 201 englobe des situations très différentes : du petit épicier du coin qui a deux employés, au magasin de luxe et jusqu'à l'indépendant qui a plusieurs franchises. "On ne peut pas réclamer la même chose à tous ces patrons", estime Delphine Latawiec.
Pour cette commission paritaire 201, une solution sectorielle n'a donc pu être trouvée. Les discussions se passent alors au niveau des entreprises. Et dans ces commerces, il n'y a quasiment jamais de délégation syndicale, faute d'avoir 50 travailleurs. Les employeurs sont évidemment libres d'accorder l'un ou l'autre avantage à leurs travailleurs dans le cadre de la crise. Certains le font, par exemple en augmentant la valeur des chèques repas.
Impossible de tracer une ligne entre celles qui vont bien et celles qui ne peuvent pas se permettre d'octroyer des primes
Du côté de l'Union des classes moyennes, on souligne que l'accord négocié pour les grandes surfaces "n'est pas transposable aux petits commerces et aux franchisés". Matthieu Dewevre, conseilleur au service d'étude de l'UCM, souligne la différence de réalité entre les grandes surfaces et les autres commerces alimentaires : "Dans la commission paritaire 202, il y a très peu d'entreprises pour beaucoup de salariés. Dans la CP 201, il y a un très grand nombre de commerçants qui vivent des situations très différentes". Mais évidemment, "on ne dissuade pas les employeurs qui ont les moyens d'accorder des avantages. Certains nous ont contactés pour le faire et on les aide", nuance-t-il. Et puis, "ce n'est pas parce qu'une société reste ouverte qu'elle se porte nécessairement bien et c'est impossible au niveau du secteur de tracer une ligne entre celles qui vont bien et celles qui ne peuvent pas se permettre d'octroyer des primes", précise Matthieu Dewevre.
Luc Bormans, le président de l'Aplsia, l’Association professionnelle du libre-service indépendant en alimentation, partage cet avis : "Certaines entreprises peuvent payer une prime à leurs employés mais il ne faut pas généraliser. Tout le monde ne vend pas plus et ce n'est pas parce qu'on vend plus, qu'on gagne plus", résume-t-il.
En Belgique, les enseignes franchisées (qui utilisent contre rémunération une marque pour vendre des produits) sont très nombreuses. Elles représenteraient plus de la moitié du commerce et plus de 30.000 travailleurs.
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