Patrick est informaticien et indépendant. Ce Wallon se dit au bout du rouleau. La crise du coronavirus a ruiné l'activité professionnelle de cet homme qui travaille essentiellement avec des agences de voyage. Le secteur tournant au ralenti et faute de diversification dans sa clientèle, il en paie le prix fort. Pourtant avant la pandémie, les activités de cet indépendant étaient au beau fixe. Mais aujourd'hui, il a contacté le CPAS de sa commune.
"Je suis à bout de souffle et je ne sais pas quoi faire." Les mots sonnent comme un appel de détresse. Patrick (prénom d'emprunt) a 45 ans. Il préfère rester anonyme tant "le sentiment d'échec" l'envahit. C'est par le biais du bouton orange Alertez-nous qu'il a contacté notre rédaction. Cet informaticien, père de trois enfants, dit "ne plus dormir". En cause: les soucis financiers qui s'accumulent depuis le début de la crise liée au Covid-19.
Je suis tombé dans l'informatique quand j'avais 6 ans, un peu comme Obélix dans la potion magique
L'informatique dans la peau
Patrick est manager en IT. Concrètement, le boulot de cet informaticien consiste à réaliser "des mises à jour ou des dépannages à la demande des clients ou quand il y a un problème technique." Il s'occupe "du suivi du réseau, des postes (...) de tout ce qui touche à l'informatique", résume-t-il. Aussi longtemps que sa mémoire s'en souvienne, il a toujours eu ses doigts sur des claviers d'ordinateurs. Plus qu'un métier, c'est une passion. "Je suis tombé dans l'informatique quand j'avais 6 ans. Un peu comme Obélix dans la potion magique. J'ai appris à faire du développement. J'ai suivi toute l'évolution de l'informatique et c'est ce qui fait peut-être ma force."
Fin des années 90, Patrick se lance en tant qu'indépendant. Ce père de trois enfants, divorcé aujourd'hui, va attendre de longues années avant de voir ses affaires prospérer. Sa clientèle va se former petit à petit et aujourd'hui, "95% de ma clientèle est composée de tour-opérateurs et d'agences de voyage." Les 5% autres sont du domaine de la construction ou du médical.
Dommage collatéral
Avec la crise du coronavirus, le secteur du tourisme a été l'un des plus touchés. Au pic de l'épidémie, entre 85 et 90% du personnel des agences de voyage était au chômage temporaire, selon l'Union professionnelle des agences de voyages (Upav). Aujourd'hui encore, le secteur est "plus qu'impacté", selon Anne-Sophie Snyers, secrétaire-générale de l'Upav. "Il y a 16 pays dans lesquels on a le droit de voyager en tant que Belges. Ça représente 6% de l'offre totale. L'impact est grand." Frontières fermées, avions toujours cloués au sol pour certaines destinations. Le secteur est toujours à l'agonie. "Les réservations ne rentrent pas. C'est la catastrophe. (…) Depuis le 15 juin, les agences ont commencé à rouvrir avec l'espoir qu'il y ait plus de pays qui ouvrent peu à peu, mais les nouvelles changent tous les jours. On espérait aussi avoir plus de clients dans les agences, mais les gens n'osent plus partir."
Le prix fort
Conséquence de cette situation, vous l'aurez compris, Patrick en fait aussi les frais. Anne-Sophie Snyers poursuit: "Il n'y a plus d'argent donc on ne sait plus en dépenser. Les métiers annexes qui aident le secteur sont pour l'instant principalement à l'arrêt". Et ce n'est pas Patrick qui dira le contraire: "Je n’ai plus de travail depuis le début de la crise. Tout est à l'arrêt. Énormément de personnes sont au chômage temporaire dans ce secteur d'activité et l'autre partie fait du télétravail avec leurs ordinateurs privés. Niveau quantité de travail, tout s'est très fortement réduit", explique-t-il, appuyant les propos d'Anne-Sophie Snyers.
Avant la crise, je ne savais plus où donner de la tête
Au début de la crise, Patrick ne voit pas de suite la différence. "La première semaine de confinement, j'avais énormément de travail dans la mesure il a fallu mettre en place ce qui est télémaintenance pour tout le monde. Deuxième semaine, c'était terminé. Tout le monde travaillait de chez soi. Je n'avais plus de boulot." Son carnet de commandes va peu à peu se vider. "Plusieurs de mes clients m'ont informé que mes factures ne seraient pas payées avant deux ou trois mois. Ils bloquaient les fonds car ils ne savaient pas vers quoi ils allaient."
L'effet domino
Tel un château de cartes, l'activité de l'informaticien s'effondre avec les premières mesures liées à la crise sanitaire en mars. Pourtant, avant la pandémie, les activités étaient au beau fixe. "Avant la crise, je ne savais plus où donner de la tête. J'étais en surcharge de travail. J'avais un agenda super rempli. J'avais deux à trois semaines de délai d'attente pour pouvoir me rendre sur des tâches demandées par des clients. J'étais arrivé à un point de saturation." A tel point qu'il envisageait d'engager quelqu'un pour lui venir en aide. Une première depuis qu'il est indépendant. "Je commençais à former quelqu'un. Il était venu avec moi quelque fois juste pour voir ma façon de faire. On devait commencer les démarches administratives pour le prendre sous contrat." Mais tout s'est arrêté, la crise est passée par là.
Olivier Maüen est chargé de communication au SNI (Syndicat Neutre pour Indépendants). Pour lui, Patrick est victime d'un effet boule de neige classique. "C'est le problème de certains freelances qui travaillent avec un secteur bien défini. Si ce secteur se retrouve en difficulté, forcément les personnes qui travaillent pour ce secteur ont elle-même des soucis. C'est un domino."
"Je fais partie des frais"
Depuis, Patrick dit travailler seulement un à deux jours par mois. "J'essaie de démarcher de nouveaux clients mais c'est la même chose partout. Tout le monde commence à reprendre petit à petit. Sauf ma clientèle. Elle continue à se poser des questions, et donc je n'ai pas non plus de travail. (..) Les tour-opérateurs et agences de voyage ne savent pas trop comment ça va évoluer. Tout gérant d'entreprise dans une situation sans visibilité compresse ses frais et je fais partie de ces frais." Une situation qui a donc radicalement changé en quelques semaines. Avant la crise, "je n'en pouvais plus à cause de la surcharge de travail. Aujourd'hui, j'en peux plus car je n'ai plus de travail."
Submergé de frais
Comme de nombreux indépendants du pays, Patrick a bien entendu bénéficié de la prime unique de 5.000 euros en Région wallonne et du droit passerelle accordée par l'État fédéral. Environ 1.600 euros par mois comme il a trois enfants à charge. Un montant insuffisant selon lui. "J'ai des charges comme monsieur tout-le-monde. J'ai un crédit hypothécaire à rembourser, je dois payer mes factures d'eau, mes factures d'électricité, acheter à manger. Je ne sais pas y faire face pour le moment." L'informaticien pointe du doigt notamment des frais incompressibles: "Ce sont des charges de fonctionnement. Je gère différents types de services en ligne pour ma clientèle tels que des hébergements, des dispositifs mails, etc. Je dois continuer de les payer, je ne peux pas les suspendre, ni les postposer." Des frais évalués à +/- 1.200 euros mensuellement pour lesquels certains clients ne paient plus. S'ajoutent à ces frais un crédit hypothécaire d'environ 1.000 euros, qu'il se trouve désormais dans l'impossibilité de payer.
En mars pourtant, l'État et les banques s'étaient entendus pour permettre un report du crédit hypothécaire afin de relâcher la pression sur les citoyens. Pour des raisons personnelles, il n'a cependant pas pu demander cette aide.
Je n'attends qu'une chose, c'est que ça reparte
Au mois de juillet, Patrick dit avoir été incapable de payer son crédit hypothécaire. Pire encore, l'assurance incendie qui s'élève à 1.400 euros et une dette d'avant crise qu'il doit au SPF Finances liée à la TVA de son activité (plus de 18.000 euros) sont venues alourdir l'ardoise. "Le ministère des Finances a relancé ses procédures de recouvrements. Je leur dois de la TVA que je n'ai plus. Cet argent, je l'ai utilisé pour manger. Les procédures ne sont plus suspendues, ils reviennent à la charge. En contrepartie, je n'ai pas de boulot qui reprend. C'est la double sanction. Sans compter que si je ne règle pas mon problème de crédit hypothécaire, je risque de perdre la maison."
Il demande l'aide du CPAS
Aujourd'hui dans une impasse, Patrick s'est tourné vers le CPAS de sa commune pour demander de l'aide. "C'est compliqué. En tant qu'indépendant, il n'y a pas beaucoup de possibilités. Il est préférable d'être au chômage pour pouvoir bénéficier d'une aide." Une situation inimaginable pour celui qui en début d'année voyait son activité en plein essor et pensait à engager une personne pour le suppléer dans ses activités. "Je n'attends qu'une chose, c'est que ça reparte. Par la porte ou la fenêtre, il faut que ça reparte."
L'impasse
Patrick souhaite lutter contre une idée reçue selon laquelle les informaticiens ont toujours du boulot, quelle que soit la situation. La preuve avec son récit. "Quand j'explique à mon entourage que je suis informaticien 'Ah ça doit être super, tu dois avoir plein de boulot', on me dit. Dans la tête des gens, l'informaticien est celui qui doit avoir énormément de boulot."
Patrick n'est pas seul à vivre cette situation. Beaucoup d'autres indépendants rencontrent de grosses difficultés. Olivier Mauën du Syndicat neutre pour Indépendants: "Effectivement, on a des situations très difficiles qui remontent aux oreilles de nos conseillers. Certains indépendants parlaient même de pensées suicidaires au pic de la crise. C'est très compliqué et vient à cela se greffer une situation financière très compliquée." Le SNI estime à 1 sur 6 le risque de faillite après la crise. "Mon carnet de commandes est vide et ne j'ai aucune rentrée en vue. Etant indépendant en personne physique, je suis en train de prendre mes renseignements quant aux conséquences d'une faillite sur mon patrimoine car je n'ai plus le choix vu que la situation ne se rétablit pas."
Un sentiment d'échec douloureux
L'informaticien rencontre une autre difficulté. Celle d'évoquer sa situation auprès de son entourage. Raison pour laquelle aussi il a souhaité témoigner anonymement. Un sentiment d'échec dont il a dû mal à parler. "Quand on est indépendant, c'est très compliqué de parler de sa situation financière. Ça reste un sentiment d'échec. Quand on est en train de plonger et qu'on ne sait pas se rattraper, c'est très compliqué. En parler à sa compagne, ça fait peur. A sa famille, on passe pour le gars qui rate quelque chose. A des connaissances ou d'autres indépendants qui s'en sortent moins mal, on passe pour le petit canard noir de la bande. Il y a toujours cette fierté qui reste là."
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