Un retraité dit avoir économisé toute sa vie pour se payer un appartement qu'il a mis en location à Bruxelles. Mais ses premiers locataires, eux, n'ont mis que quelques mois à le rendre insalubre. Jacques se retrouve aujourd'hui seul, avec une note de 10.000 euros à payer. Pour lui, c'est un échec sur le plan financier, mais aussi un échec humain. Le retraité se dit que si le CPAS, auquel émargeaient les locataires, avait joué son rôle, il n'en serait pas là.
Excréments sur les murs, plancher gondolé par l’urine, murs brunis par le tabac, ordures en décomposition… Jacques est désemparé, dégoûté. Le petit appartement qu’il s’était acheté pour compléter sa pension est totalement saccagé. Et les locataires à l’origine du désastre ont disparu dans la nature. Le retraité a fait le compte, toute cette histoire va lui coûter 10.000 euros.
Jacques ne sait plus vers qui se tourner… Est-ce que ni le CPAS qui avait pris en charge le loyer en cours de route, ni les locataires déserteurs ne vont payer? Il n’ose pas y croire. Va-t-il devoir régler la note lui-même?
"Un flat de 52m2 entièrement rénové"
Tout avait pourtant bien commencé. "En novembre 2015, j’ai donné en location un flat de 52 m2 entièrement rénové, qui disposait d’une cuisine équipée neuve. Un contrat de bail de 9 ans a été signé solidairement entre les deux locataires, une femme et un homme", débute-t-il après nous avoir contacté via le bouton orange Alertez-nous.
"Les loyers ont cessé de m’être payés"
Mais moins de 4 mois plus tard, les choses se corsent pour Jacques. "Les loyers ont cessé de m’être payés après mars 2016. Le locataire aurait quitté sa compagne et ne se serait plus considéré comme engagé par le contrat qu’il avait signé solidairement avec elle". La femme, elle, a subitement cessé de répondre à ses appels.
Le CPAS de Uccle a alors pris le relais. "Les loyers ont été payés par le CPAS durant 18 mois, mais de manière assez erratique, avec des retards allant de 1 à 4 mois. Le total de ces retards s’élève à 31 mois", précise Jacques, qui a gardé précieusement tous les documents pouvant servir sa cause.
"Le juge leur a signifié l’ordre de déguerpir"
Le propriétaire n’a pas voulu laisser pourrir la situation longtemps, il savait que chaque démarche prendrait du temps. Jacques s’est donc tourné vers un juge de paix. "Les locataires ne se sont jamais rendus ni fait représenter aux audiences en vue d’une conciliation ou d’une médiation. Après 6 tentatives vaines auprès du juge de paix, ils ont été condamnés solidairement à payer les montants dus, c’est-à-dire les loyers impayés, les charges, les intérêts moratoires, les indemnités de résolution etc." Jacques a également obtenu ce qu’il espérait le plus: "Le juge leur a signifié l’ordre de déguerpir", dit-il.
"Il y avait une telle puanteur que l’avocat a vomi sur le seuil"
Jacques était heureux de récupérer son bien afin de le remettre rapidement en location à d’autre locataires qui eux, ne lui feraient pas perdre d’argent. L’expulsion a eu lieu le 6 octobre 2017. Date à laquelle notre alerteur a rapidement réalisé que ses problèmes étaient loin d’être terminés.
"Le jour de l’expulsion, il y avait plusieurs personnes sur place", détaille-t-il. "Deux personnes de la commune pour enlever les meubles, un avocat, un huissier et un expert. Quand ils ont ouvert ils n’ont pas voulu aller plus loin. Il y avait une telle puanteur que l’avocat a vomi sur le seuil".
"Tout est détruit", conclut l'expert
Vu l’état des sols, du parquet, des murs, des meubles, des éviers, de la baignoire, des sanitaires… l’expert a jugé inutile de faire un état des lieux. "Tout est détruit", a-t-il conclu.
Les autres ont refusé de toucher à quoi que ce soit. "Odeurs pestilentielles, mouches, vers, asticots, débris, tags et traces d’excréments sur les murs, ordures, excréments et urine de chien sur le plancher, sacs poubelles remplis d’ordures en décomposition, rideaux déchirés, serrure endommagée, murs blancs devenus bruns sous la fumée du tabac … le bien a été trouvé dans un état d’insalubrité tel que les agents communaux chargés d’évacuer les meubles ont refusé de faire le travail".
"En 25 ans de carrière, ils n’ont jamais vu ça"
Finalement, sur un appartement de 50 m2, 40 sacs-poubelle d’ordures en décomposition à évacuer ont été remplis. "Ils m’ont dit qu’en 25 ans de carrière, ils n’avaient jamais vu ça."
En déplacement à l’étranger, Jacques n’a pu se rendre les lieux que deux semaines plus tard. "Je suis revenu pour visiter l’appartement avec une société spécialisée en désinfection et nettoyage." Entre quelques débris, Jacques est tombé sur plusieurs courriers adressés à son ancienne locataire.
"J’ai constaté qu’elle était poursuivie en justice par des hôpitaux (Chirec, Erasme), Luminus, Proximus… tous les gens auquel elle a fait appel, sans jamais régler ses dettes. Elle a reçu plusieurs menaces de saisie de meubles, mais ils ne peuvent rien espérer, il ne reste plus rien."
La locataire disparaît sans laisser de traces
Aujourd’hui, sa locataire a disparu sans laisser de traces, le CPAS ne sait pas où elle est. "Suite à l’impossibilité de tout contact avec elle, que ce soit par téléphone, SMS, mail ou courrier et sonnette pendant plus de 6 mois, et comme le CPAS ne se préoccupait pas de l’absence de tout signe de vie, j’ai dû m’adresser à la police", raconte Jacques. Celle-ci a procédé à une visite domiciliaire pour raison de "disparition inquiétante".
Malheureusement, si la locataire est adulte, elle est libre d’aller où elle veut. D’autant plus que la retrouver ne permettra pas à Jacques de récupérer son argent, la locataire est insolvable, elle n'est pas en mesure de payer ses dettes.
Bilan des dégâts: 10.000 euros
Jacques a fait le compte: pour les loyers et charges impayés, l’expert, l’huissier, l’honoraire d’un avocat, les frais d’évacuation, de désinfection, de remise en état, les services d’un serrurier,… le bilan s’élève à 10.000 euros.
"Je suis retraité, et dispose d’une pension de 1.600 euros. Comment être dédommagé?", se demande-t-il. "La locataire et son ex-petit ami se déclarent insolvables et adoptent depuis le début une fin de non-recevoir à toute action intentée à leur encontre".
"Personne ne va régler la note !"
De son côté, le CPAS, décline toute responsabilité. Contacté par nos soins, le CPAS confirme qu’il ne se porte jamais garant pour des dégâts ou des loyers impayés. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de recours. Tant qu’elle n’a qu’un revenu minimum, la personne est insaisissable, il n’y a pas de possibilité de récupérer d’argent de sa part".
Cette conclusion est difficile à avaler, mais Bénédicte Delcourt, la directrice du syndicat national des propriétaires, le confirme: "Personne ne va régler la note !" Le propriétaire va rester seul avec ça sur les bras.
"Le CPAS n’est pas responsable du bon vouloir des locataires"
"Le CPAS n’a aucune obligation par rapport au bailleur. Il n’a pas de compte à rendre au propriétaire", explique Bénédicte Delcourt. "Les gens pensent souvent qu’à partir du moment où ils ont un document du CPAS, ils sont protégés. Mais malheureusement, le CPAS n’est pas responsable du bon vouloir des locataires".
"Le seul cas où l’intervention du CPAS peut être intéressante, c’est quand le CPAS lui-même signe le contrat de bail. Si il loue l’appartement et le sous loue au locataire, le propriétaire peut demander dédommagement". Pas de chance pour Jacques, dans son cas, ce sont les locataires qui ont signé, avant d’être pris en charge par le CPAS.
Jacques est scandalisé par "les négligences" du CPAS
Mais ce qui choque le plus Jacques, ce n’est pas le simple fait que le CPAS ne veuille pas le dédommager pour les dégâts provoqués par sa locataire. Notre alerteur est scandalisé par "les négligences" du CPAS. "Le CPAS d’Uccle définit sa mission comme suit sur son site: “Toute personne a droit à l'aide sociale. Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine”", relève-t-il.
"Or, l’assistant social dont dépendait ma locataire ne s’est jamais préoccupé de ses conditions réelles de vie. Malgré mes nombreuses demandes insistantes. Il ne s’est jamais rendu sur les lieux. Lors de l’expulsion, j’ai prévenu l’assistant social de la date et l’heure, pour le côté humain. Mais il n’a pas jugé utile de se déplacer", indique-t-il également.
Un échec sur le plan financier et humain
Pour Jacques, cette histoire est un échec personnel au niveau financier, mais aussi un énorme échec sur le plan humain pour la locataire. "Le CPAS n’a pas rempli sa mission. Cette femme était dans des conditions de détresse extrême. Il ne s’est pas inquiété de sa détresse psychologique, de vérifier si elle effectuait des démarches administratives pour s’intégrer dans la société."
Selon Jacques, le CPAS n’a jamais effectué de visite domiciliaire en 18 mois. "Ils versaient 750 euros de loyer sans jamais se préoccuper de l’état de la personne."
Constatant cela, quand le CPAS lui annonce qu’il décline toute sécurité, la pilule a du mal à passer.
"Rien n’est fait pour l’aider et lui permettre de vivre dans la dignité"
Jacques a écrit au directeur du CPAS d’Uccle de l’époque, Jean-Luc Vanraes. "Dans sa réponse, le CPAS indique “La situation de votre locataire nous est bien connue”. C’est le comble d’oser affirmer cela ... Le CPAS, abandonne une femme dans une détresse et une situation abominable “connue” et rien n’est fait pour l’aider et lui permettre de vivre dans la dignité. Ensuite, la note de frais est laissée au propriétaire retraité que je suis..."
"Ethique, conscience et préoccupation humaine ne sont décidément pas les points forts de ce CPAS de Uccle", conclut Jacques.
Le CPAS, strictement tenu au secret professionnel, ne peut communiquer aucune information sur ce dossier et n’a pu répondre à nos questions concernant le cas particulier de Jacques et de sa locataire.
"Nos moyens ne sont souvent pas suffisants"
"On peut aider les personnes, mais on aide celles qui le veulent vraiment. Il faut que la personne soit volontaire", souligne le CPAS. "C’est au cas par cas. On voit où se situe les problèmes, on essaye de ventiler nos efforts, on fonctionne avec la réalité de nos moyens, qui ne sont souvent pas suffisants", admet-il.
La directrice du syndicat des propriétaires confirme ce qu’avance le CPAS. Bénédicte Delcourt est habituée à ce genre de récit. Elle a eu affaire à des situations similaires maintes et maintes fois dans sa carrière. "Si les personnes n’ont pas voulu ouvrir ou être suivies, c’est leur droit, le CPAS ne peut pas les obliger."
Une solution pour éviter ces situations?
Pour éviter ce genre de désagrément à l’avenir, Bénédicte Delcourt conseille au propriétaire de se tourner vers une agence immobilière sociale. "A Bruxelles, l’AIS offre la possibilité d’obtenir des subsides et des prêts à taux zéro pour que des travaux soient réalisés en vue d’une location à un public disposant de revenus limités", explique-t-elle.
Le propriétaire ne doit plus s'occuper ni du bail, ni de la gestion de son bien, ni de son entretien, ou encore des récupérations de loyers impayés. Le but est d'encourager la mise en location de biens à loyer modéré et de permettre ainsi aux familles à revenus modestes de trouver un logement décent avec un loyer accessible.
Jacques aurait été sans doute mieux protégé en passant par l'Agence Immobilière Sociale pour louer son flat. Evidemment, le loyer est inférieur au prix du marché puisqu'il se rapproche des conditions d'un logement social. "Le bien est coincé pour une location de minimum 9 ans et le prix que le propriétaire en tirera sera plus bas que celui du marché", explique Bénédicte Delcourt. Ces conditions rebutent certains propriétaires. Malgré tout, le récit de Jacques a de quoi les faire réfléchir à deux fois avant de prendre leur décision.
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