De plus en plus en de Belges (augmentation des signalement de 60% en un an) se risquent à des investissements en ligne sur des plateformes financières qui ne servent que de façades (parfois bien réalisées) à de sombres escrocs basés on ne sait où dans le monde, et qui ne manquent pas d'audace. Notre témoin du jour a une carrière complète à la Banque Nationale de Belgique: malgré tout, poussé par l'envie d'investir ses économies dans les cryptomonnaies, il s'est fait berner. Une rencontre surprenante...
Malgré nos nombreux articles et reportages, malgré les préventions des autorités financières et des banques, de plus en plus de Belges sont victimes d'escroquerie en ligne. Il y a peu, nous évoquions le cas de Francis, 50 ans et développeur de logiciel informatique, qui a perdu 8.000 euros sur un faux site d'investissement dans des cryptomonnaies.
Cette semaine, c'est au tour de Daniel de se confier à la rédaction de RTL info, après nous avoir contactés via le bouton orange Alertez-nous. "J'ai 'égaré' 7.000€ sur une plateforme où on m'a fait croire que j'avais gagné 18.000€ en deux jours", nous a-t-il écrit.
Nous lui avons rendu visite à Saint-Nicolas (Liège), chez lui. Et tout ne s'est pas passé comme prévu...
Ils prennent le contrôle de son ordinateur
Daniel vient de fêter ses 62 ans, et il est en plan de préretraite, après avoir travaillé toute sa carrière à la Banque Nationale de Belgique. Sa mésaventure a commencé en août, quand il s'est laissé tenter par des investissements en ligne. "Il avait beaucoup entendu parler des cryptomonnaies", nous explique son épouse. Très vite, ayant peu de connaissances dans cette jungle numérique, il s'est retrouvé face à des escrocs, sans le savoir. Il existe des centaines de faux sites, gérés par des soi-disant 'opérateurs' qui n'ont qu'un seul but: vous prendre de l'argent. Il s'est créé des comptes sur plusieurs plateformes, dont LPL Finance et CFD Advanced:
Sur ces plateformes, il pensait injecter un peu d'argent, qui fructifierait très rapidement. C'est ce qu'on lui avait promis. Pour lui voler son argent de manière anonyme, les escrocs ont convaincu Daniel de se créer, dans un premier temps, un compte sur LiteBit, une des plateformes (authentiques) permettant de transformer des euros en cryptomonnaie (comme le Bitcoin). On "crédite" son compte avec, par exemple, une carte de banque belge et un Digipass.
Les escrocs, se faisant passer pour des conseillers financiers du site, ne parlaient qu'anglais. La communication par téléphone était donc délicate. Ils ont alors comme procédé audacieux d'utiliser un logiciel de prise de contrôle de l'ordinateur, à distance (AnyDesk, très pratique au demeurant, si on sait à qui on a à faire). "Moi, je ne parle pas l'anglais. Ils m'appelaient via le téléphone, mais comme je ne comprenais pas, ils prenaient le contrôle de mon ordinateur et écrivaient dans Google Translate, et ça traduisait directement".
J'étais imprégné, j'étais sous cloche
Daniel suit les consignes, et perd des milliers d'euros en deux jours
Ayant le contrôle de son ordinateur, les escrocs ont dit à Daniel de créditer son compte LiteBit. A distance, par téléphone et par texte, ils lui font prendre sa carte de banque belge et son Digipass. Daniel "charge" son compte:
Puis, les escrocs s'envoyaient les sommes, se servant littéralement eux-mêmes via cette même plateforme, ils ont transféré l'argent sur leur portefeuille virtuel de cryptomonnaie, ce qui a l'avantage de ne laisser aucune trace, et d'être complètement anonyme.
A ce stade, Daniel est perdu. Il ne comprend pas ce qui se passe, pensant être aidé par des 'opérateurs'. "C'est un engrenage, c'est un chantage financier en même temps. J'étais comme imprégné, j'étais sous cloche, je passais des heures sur l'ordinateur à essayer de comprendre. Ils me disaient que si je ne faisais pas de nouveaux versements, je perdais tout. Au total, c'était 7.000 euros qui sont partis. Je créditais mon compte, et ils retiraient directement. En deux jours… "
Le temps de comprendre et de se rendre compte de ce qui se passait vraiment, il était trop tard. Notre jeune retraité s'était fait plumer.
Daniel a contacté les intermédiaires bancaires, mais "on m'a dit que j'avais validé toutes les transactions, qu'ils ne voyaient ni arnaque ni fraude. C'était sur le compte (des escrocs), c'était terminé", nous explique-t-il, dépité, encore sous le choc. Il a bloqué sa carte de crédit dans la foulée. Il n'est pas encore aller à la police, mais il y pense.
Un polyarthrite aigue
Daniel l'avoue: "J'en suis tombé malade". Cette perte a d'abord des conséquences directes sur la situation financière du couple. "J'avais rassemblé de l'argent pour combler mon départ anticipé à la retraite. Pour sauver mon mois, j'ai du emprunter 5.000 euros. Et ça, ça a mis ma santé en l'air. Tous les jours, ça me prend à la gorge, j'ai des flash, ça repasse dans ma tête: 'Pourquoi j'ai cliqué, pourquoi j'ai pris mes cartes, pourquoi j'ai validé?' Je ne sais pas…"
Physiquement aussi, notre témoin a souffert. "J'ai fait une crise de polyarthrite aigue, et je suis toujours en train de me faire soigner pour ça. Je ne pouvais plus rien porter, j'avais mal partout. Mon médecin m'a dit que c'était à cause de ça". Son épouse nous confirme que tout est arrivé d'un coup, soudainement.
Tous les jours, je m'envoie des noms d'oiseau
"Mentalement, j'essaie de me redresser, mais quand je pense à ça, ça m'énerve vraiment très fort". On le comprend... "D'ailleurs, tous les jours je m'envoie des noms d'oiseau, tellement je ne comprends pas comment j'ai pu me laisser avoir à ce point-là. C'est un engrenage, c'est moi qui validais tout, donc il aurait suffi que j'arrête, que je raccroche, que je coupe tout. Mais quand on te dit 'Tu perds tout si tu ne continues pas'… J'y ai cru".
De nouveaux arnaqueurs veulent l'aider durant notre reportage
Ironie du sort: tandis que Daniel se connecte aux plateformes frauduleuses pour nous les montrer, les escrocs s'aperçoivent sans doute de sa présence en ligne et l'appelle, à plusieurs reprises, pour lui faire croire qu'ils allaient l'aider à récupérer son argent.
Nous prenons l'appel (en anglais pour aider Daniel), et la personne au téléphone essaie de nous convaincre, disant travailler pour le site blockchain.com, se faisant passer pour le régulateur des cryptomonnaies. Nous coupons court à la conversation, étonnés devant tant de manipulation et d'impunité :
L'autorité belge des marchés financiers avait signalé un des sites utilisés par Daniel
La FSMA (Autorité des services et marchés financiers) connait très bien le problème. "On conseille aux gens victimes d'une fraude d'être doublement vigilants, car on constate que ces personnes sont, bien souvent, recontactées par d'autres fraudeurs, ou par les mêmes fraudeurs. Ils vont leur indiquer qu'ils peuvent les aider à récupérer certaines sommes. Et bien souvent, il y a des frais pour récupérer cette somme", mais c'est de nouveau une arnaque, nous signale Mathieu Saudoyer, du service de communication.
Récemment, la FSMA a publié de nouveaux chiffres sur les 'offres illicites de produits et services financiers', constatant une hausse des signalements de 60% en un an… La FSMA estime qu'entre "mai 2019 et juin 2021, les consommateurs belges ont perdu 42 millions d'euros sur ce type de plateforme frauduleuse".
"Bien souvent, ce sont des réseaux internationaux qui sont derrière tout ça, ce qui complique la récupération des fonds au niveau judiciaire. L'argent transite rapidement via des 'comptes rebonds'", difficiles ou impossibles à tracer sans mobiliser des moyens internationaux d'investigation.
Certaines plateformes sont bloquées, parfois trop tard...
Sur le site de la FSMA, on trouve d'ailleurs une liste (non exhaustive, car il y en a sans cesse de nouvelles qui surgissent) de plateformes considérées comme frauduleuses. L'une de celles utilisées par Daniel, CFD Advanced, est d'ailleurs signalée. La FSMA signale ces adresses de sites web à la justice, qui elle seule a les capacités de les bloquer sur le territoire belge, pour éviter de nouvelles victimes. Mais ça n'est pas toujours très rapide: CFD Advanced est répertoriée depuis le mois de mai 2021, et toujours active en octobre…
On est toujours perdant, c'est comme au casino
Dernier conseil de l'autorité des marchés financiers: "Il y a quelques années, ces plateformes étaient assez amateures. Mais on constate maintenant qu'elles ont une apparence très professionnelle. Il est assez difficile de voir ce qui est authentique et ce qui ne l'est pas. On a un test en ligne sur le site de la FSMA pour ceux qui ont un doute, et il est également possible de nous contacter".
Nous terminerons ce témoignage atypique par une sage conclusion de Daniel: "Il ne faut pas toucher à ça. On est toujours perdant, c'est comme un casino". Son épouse le confirme: "Moi, je suis sceptique. Je ne vous donnerai jamais ma carte de banque. L'argent ne tombe pas du ciel, ça se saurait. Au contraire, il est difficile à gagner. C'est vrai qu'on parle beaucoup de bitcoins, c'est sans doute pour ça que les gens pensent que c'est un miracle".
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