"Chez nous, on devait tout refaire. On a fait un prêt lors de l'été 2012 pour ça. Ils ont commencé par le toit. Là, il n'est toujours pas fini". Elisabeth a été victime d'un entrepreneur mal intentionné. Et elle n'est pas la seule. En Belgique, ils sont des dizaines à être tombés dans le panneau, perdant des milliers d'euros.
Des dizaines de familles ont été prises au piège des agissements d'une société de construction et rénovation, désormais en faillite. Le modus operandi est identique pour chaque victime. Le résultat aussi, ou presque. Certains s'en sortent mieux que d'autres, mais ils sont rares. Dans le meilleur des cas, les pertes sont limitées à "un petit millier d'euros". D'autres y ont laissé plusieurs dizaines de milliers d'euros. "La chique a été difficile à avaler", nous a déclaré Elisabeth, émue et encore choquée par la façon dont elle et son mari "ont été bernés".
Des dizaines de victimes
Fin 2013, c'est Géry qui nous a prévenus via notre page Alertez-nous: "Nous sommes, avec de très nombreuses familles, victimes d'une vaste association de malfaiteurs dans le domaine de la construction et rénovation". Ces victimes se sont réunies pour déposer une plainte collective et comptent désormais attaquer Mr. Mantea, l'entrepreneur, ainsi que MR. Piette et Mr. Feierabend, les deux délégués commerciaux qui faisaient signer les devis de la société Gelio. Intrigués par cette alerte, nous avons effectué quelques recherches. Et, à vrai dire, il n'a pas été difficile de trouver des victimes. Des dizaines de victimes, pour un préjudice qui s'élève à plusieurs centaines de milliers d'euros, voire plus.
"Vous payez une certaine somme, et là les problèmes commencent"
Il est vrai, Vincent, professeur à l'université de Louvain, nous a considérablement facilité la tâche. Victime d'un abandon de chantier, il a effectué des recherches sur internet avant de trouver de nombreuses autres victimes, notamment grâce à une pétition mise en ligne. "Bien sûr qu'il y a de nombreuses victimes. Ils se débrouillent très bien. Ils présentent bien, mettent en confiance, et en plus leurs sites web font sérieux. Au début, ils répondent à tous les appels, vous recontactent, vous mettent en confiance, et leurs devis sont très bien réalisés et détaillés. Puis vous le signez, vous payez une certaine somme, et là les problèmes commencent", nous a expliqué Vincent.
En effet, le chantier débute et des ouvriers arrivent chez vous, détruisent ce qu'il faut détruire... et puis se font attendre. "A ce moment-là, l'entrepreneur ne prend plus que très rarement vos appels. Quand il décroche, il donne une date et promet que le chantier reprendra normalement ce jour-là. Souvent, il remet la faute sur le sous-traitant, sur la météo ou autre", a encore indiqué Vincent.
Tout va se débloquer... avec un petit versement
N'ayant pas froid aux yeux, la solution proposée par l'entrepreneur est toujours la même: "Effectuez un petit versement et cela débloquera la situation", laissant supposer qu'avec l'acompte versé, le sous-traitant n'a quasi pas été payé ou que le matériel nécessaire ne peut pas être acheté. Les victimes, qui vivent alors souvent en plein chantier et qui croient encore au sérieux affiché lors des premières rencontres, se laissent souvent berner, et effectuent un nouveau versement... qui ne débloque rien du tout.
Elisabeth et son mari ont tout perdu
"Les travaux ont débuté chez nous en 2012. Ils ont commencé par le toit. A l'heure actuelle, il n'est toujours pas fini", nous a confié Elisabeth. Cette dame, qui vit avec son mari (photo) dans une maison achetée en 1988, a décidé en 2011 de la remettre en état. Une expertise du Fonds du Logement réalisée cette année juge l'état de l'habitation "mauvais". Installation électrique potentiellement dangereuse, tout comme le chauffe-eau au gaz. "Nous venions de finir de la rembourser. Nous avons donc décidé d'effectuer un nouveau prêt pour la remettre en état, pour nos vieux jours et aussi pour nos enfants devenus plus grands", a ajouté Elisabeth. Ils ont donc fait une recherche sur le net et c'est ainsi qu'ils ont rencontré le délégué commercial de la société, monsieur Piette. Très charmant et convainquant, il leur a fait signer un devis propre, net et détaillé, pour un total de près de 40.000 euros. Ce dernier estime pourtant n'avoir rien à se reprocher. "Je n'ai fait que mon travail de commercial. Une fois le devis signé, ma mission s'arrête. Pour les clients lésés, je regrette que monsieur Mantea (l'entrepreneur) n'était pas sérieux, mais à l'époque où je travaillais avec lui, je ne le savais pas", nous a-t-il confié. Malgré de nombreuses tentatives, Mr. Mantea est, lui, resté injoignable...
"Ils sont malins, très malins même"
Pour Elisabeth et son mari, la signature du devis correspond au début de leur descente aux enfers... En effet, en 2013, l'état de leur maison est pire qu'en 2011. Le toit, partiellement refait, n'est pas étanche. L'eau s'infiltre dans les murs mitoyens et dégradent les habitations voisines. De l'eau coule également des tubes électriques. Pour couronner le tout, la société n'a pas touché 40.000 euros comme stipulé dans le devis, mais 48.000 euros. "Evidemment, on pourrait se dire que s'ils se sont fait escroquer, c'est de leur faute, il ne faut pas signer avec n'importe qui. Eh bien, je vous défie de trouver une entreprise générale sérieuse qui accepte de faire des petits chantiers de rénovation avec des clients modestes. Ils n'obtiendront ni devis, ni même réponse ! Alors, lorsqu'un jour, ces messieurs sont arrivés, aimables, beaux parleurs et leur ont remis un devis précis, sérieux avec un métré détaillé, le prix poste par poste, ils n'ont pas hésité. Ils ne sont pas les seuls, d'autres personnes ont été séduites par l'offre compétitive, le sérieux du délégué commercial et la bonhommie souriante de Mr. Mantea", a indiqué Vincent sur un blog dédié à dénoncer les abus.
"C'est vrai qu'ils sont malins, très malins même. Ce n'est qu'avec le recul qu'on se demande comment on a pu être aussi stupide. Et c'est ça qui fait le plus mal, c'est de se sentir berné à ce point, à 50 ans", nous a témoigné Elisabeth, en larmes.
Il a réussi à "tromper" le PS
Trop naïfs ? Après coup, on peut se dire que l'épilogue malheureux était prévisible. Pourtant, les victimes sont nombreuses. Monsieur Mantea, l'entrepreneur en question, a même figuré sur la liste locale du PS à Auderghem pour les élections communales de 2012. "Rien ne laissait supposer que cette personne commette des agissements tels que ceux qui m'ont été rapportés. Il s'est inscrit chez nous et a émis son souhait de figurer sur la liste communale à Auderghem. Il présentait très bien et venait à chaque réunion. On l'a pris car ce n'est pas toujours facile de remplir les listes au niveau local et en plus on cherchait à avoir des citoyens de l'UE", a confié Mr. Jamar, président de la section locale du PS à Auderghem. "Peu de temps avant les élections, on a eu un message anonyme dénonçant ses pratiques. On a averti le bureau du parti mais il était trop tard pour le retirer des listes. Il n'a eu que très peu de voix, et on ne l'a plus jamais revu après les élections. Il n'habite plus la commune et n'a plus payé ses cotisations, donc il n'appartient de fait plus au parti. On n'a donc même pas eu à l'exclure. S'il était resté, par contre, nous aurions pris nos dispositions", a ajouté Mr. Jamar.
Olivier n'a jamais vu un ouvrier
Olivier, une autre victime, n'a également rien vu venir. Au propre, comme au figuré. Ce jeune père de famille comptait remplacer tous les châssis de sa maison. L'entreprise Gelio lui a proposé un devis total de 22.000 euros. "Ils avaient l'air très sérieux, très sympas. Rien ne laissait supposer une arnaque. Comme j'ai fait un prêt, j'ai tout de suite versé l'intégralité du montant. Ce n'est qu'après coup qu'on se dit qu'on a été con. Mais en même temps, comme ils n'avaient plus un euro à se mettre en poche chez moi, ils n'ont même pas commencé les travaux, rien détruit, et donc je ne suis pas resté comme d'autres à camper en plein milieu d'un chantier", nous a-t-il expliqué. Quant à ses châssis, ils attendent toujours chez le sous-traitant qui les a fabriqués, mais qui n'a pas touché un seul euro non plus. Il y a donc fort à parier que, étant faits sur mesure, ils ne seront jamais utilisés...
Les sous-traitants pas payés
Et des sous-traitants lésés, il y en a aussi un paquet. En effet, la société Gelio ne travaillait quasi qu'avec des sous-traitants. Cela permettait à l'entrepreneur de se dédouaner plus facilement face aux clients, remettant la responsabilité des retards de chantier sur eux. Cela permettait aussi de sous-tirer un peu plus d'argent aux clients, en jouant sur le fait qu'avec le premier paiement versé, le sous-traitant n'a pas grand-chose et est vite bloqué. Et enfin, un sous-traitant qu'on ne paie pas coûte moins cher qu'avoir des ouvriers. "Moi j'ai été appelé par Mr. Mantea pour un petit chantier. J'ai vite fini le travail. Comme il n'avait plus besoin de moi, il ne m'a jamais payé", a indiqué un sous-traitant souhaitant garder l'anonymat.
"J'ai fait un chantier avec lui, et ça m'a suffi. Il insiste toujours sur le fait que les travaux doivent être réalisés très rapidement. Tout devait se faire dans l'urgence. J'ai demandé un acompte de 10% et un versement de 30% à l'ouverture du chantier. Je n'ai rien eu, mais deux jours plus tard, il est venu avec les 40% en liquide. Ce n'était qu'une façon pour lui de me faire terminer. En effet, le lendemain j'avais fini le travail. Je n'ai plus jamais eu le moindre versement", a témoigné Gaël, entrepreneur spécialisé en recouvrement et isolation.
Mêmes personnes, même technique, mais avec une autre société
Des clients dépouillés, des sous-traitants jamais payés. Les conséquences sont souvent similaires. Sauf pour un client, qui souhaite rester anonyme, dont l'histoire réconfortera les esprits chagrins. Cet homme qu'on appellera Paul a, par chance, été prévenu des agissements de la société Gelio en faisant quelques recherches, et en tombant sur les informations partagées par Vincent. Petite nuance par rapport aux autres victimes: il a eu affaire au même entrepreneur et aux mêmes délégués commerciaux, mais qui oeuvraient alors pour la société Mann-Expert, dont le site internet ressemble comme deux gouttes d'eau au site internet de l'ex-société Gelio. Et les méthodes aussi étaient similaires. Paul avait ainsi payé la majeure partie de ses travaux (plus ou moins 15.000 euros) "pour que le chantier avance rapidement", comme le lui avait conseillé Mr. Mantea. Mais une fois alerté des agissements des personnes avec qui il avait signé, il a fait miroiter un chantier bien plus important.... seulement si le "petit" chantier en cours se déroulait parfaitement.
Attiré par l'appât du gain, le responsable de la société Mann-Expert a alors fait en sorte que Paul soit satisfait. "Je ne le suis pas tout à fait. Le travail réalisé par Mr. Mantea n'est pas parfait, loin de là, mais nous n'avons pas perdu trop d'argent. Il y a pas mal de choses qui ont été mal faites, et qu'on doit refaire. Mais quand on compare notre situation à celle d'autres victimes, on ne s'en sort pas trop mal", a confié Paul. "Tout ça c'est vraiment grâce aux recherches de Vincent. On ne porte pas plainte avec le collectif, étant donné qu'on s'en sort avec des pertes limitées, mais on est vraiment très reconnaissant du travail effectué et de l'avertissement qui nous a permis d'éviter de perdre beaucoup d'argent", a conclu Paul.
Comment réagir ?
On le voit, le scénario est connu sur le bout des ongles, et les personnes oeuvrant en faveur des sociétés Gelio et Mann-Expert jouent leur rôle à la perfection. Il faut dire que nos victimes sont tombées sur un professionnel en la matière, comme l'explique un article sur un site d'information roumain, pays d'origine de notre entrepreneur. "Mr. Mantea, condamné pour escroquerie, a quitté le pays. Il semble avoir trouvé refuge en Belgique, où il a repris le même genre d'activités", peut-on lire.
Alors si l'on a la malchance de tomber sur de tels personnages quand on signe un devis, de quelles cartes dispose-t-on pour éviter de se retrouver échec et mat ? "Si on se retrouve face à une escroquerie avérée, il faut porter plainte. Malheureusement, les chances de récupérer l'argent sont minces, mais cela pourrait permettre de mettre fin aux pratqiues frauduleuses de la société", nous a expliqué Jean-Philippe Ducart, porte-parole de Test-Achats. "Mais c'est surtout avant qu'il faut être attentif. La première chose à faire, c'est demander plusieurs devis et les comparer pour faire jouer la concurrence. Quand on a choisi, il faut examiner les conditions générales et voir si des recours sont possibles. Ensuite limiter au maximum les acomptes et prévoir une grille de paiement en fonction de l'évolution des travaux. Et si on a des doutes sur la société avec laquelle on a signé, les forums permettent de dénoncer. On y retrouve pas mal d'informations", a-t-il encore conseillé.
Objectif N1: qu'il ne fasse pas d'autres victimes
Porter plainte, c'est ce que le collectif de victimes compte faire. Des victimes qui ne se font guère d'illusions. Certaines d'entre elles nous ont d'ailleurs déjà confié qu'elles avaient fait une croix sur leur argent. Par contre, après avoir été trahies de la sorte, les victimes tiennent absolument à une chose. "On aimerait bien récupérer l'argent, évidemment. Mais on ne rêve pas. Ce qu'on voudrait vraiment, c'est qu'il arrête. C'est ça notre réel espoir avec le dépôt de cette plainte collective, qu'il ne fasse pas d'autres victimes", a conclu Elisabeth.
Pas aidés par la Justice
Mais là encore, quelques remparts se dressent face aux victimes. Le Juge d’instruction a informé l'avocat des victimes que la nomination d’un expert judiciaire, chargé d’évaluer les dommages causés au sein des différentes habitations, s’avérait indispensable. Dès lors, le dépôt d’une somme provisionnelle de 5.000€, ce qui fait plus ou moins 500€ par victime, est indispensable pour que la plainte soit traitée. "Personnellement, je suis réellement outré et choqué par ce qui m'apparaît comme un véritable déni de justice", a réagi Vincent. "Certaines victimes sont dans des situations dramatiques suite aux travaux payés et non réalisés. Soit ils sont toujours en plein chantier et sans argent, soit ils ont payé leur chantier deux fois. Ils ont déjà dû payer des frais d'avocat pour la rédaction de cette plainte et n'ont virtuellement aucune chance de récupérer le moindre sou de leur préjudice. Et on exige qu'ils paient 5.000 euros, simplement pour entamer des devoirs d'enquête. Cette situation est tellement absurde et délirante que je me demande vraiment dans quel pays je vis", a-t-il conclu.
Nouveau coup dur donc pour toutes les victimes. Mais la plupart d'entre elles compte continuer le combat, peut-être en soumettant directement la plainte auprès du parquet ou du Procureur du Roi. A l'heure actuelle, le collectif de victimes analyse la situation avec les avocats en charge du dossier, sans aucun espoir d'être un jour indemnisé... mais avec pour seul objectif de remporter une victoire morale, et d'éviter à d'autres clients de tomber dans le piège.
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