Les innombrables sites internet de trading en ligne vivent peut-être leurs dernières heures. Les autorités financières commencent à bouger (ces sites sont interdits en Belgique depuis le mois d'août), tandis que la multiplication des dénonciations par les médias commencent à porter leurs fruits. L'histoire de Bernard Brickmanne, qui a débuté en 2012, est – espérons-le – la dernière du genre que RTL info doit évoquer. Il a été littéralement "plumé" par XTrade, lui faisant perdre plus de 100.000 euros en quelques mois. Le site XTrade qui avait reçu en 2016 le soutien de… Cristiano Ronaldo, "ambassadeur officiel" d'une plateforme aux méthodes plus que douteuses…
Au printemps 2016, nous vous racontions l'histoire d'Etienne (nom d'emprunt), qui avait réussi à faire plier un site de bourse en ligne frauduleux avec une tactique audacieuse. "J’ai pu tout récupérer et laissez-moi vous remercier car votre article y a contribué", nous a-t-il confié récemment. Il a finalement comblé la quasi-totalité de ses pertes, soit 65.000€.
La FSMA, l'autorité financière belge, nous avait promis que les choses étaient sur le point de changer, qu'une loi allait interdire ce genre de pratique. Et c'est bien le cas. "Un règlement de la FSMA a été approuvé par arrêté royal. Depuis le 8 août 2016, il est interdit de commercialiser en Belgique tout une série de dérivés", nous a expliqué Jim Lannoo, le porte-parole.
Pour faire simple, sont désormais interdites les plateformes de trading électronique de produits dérivés, dits 'non cotés', et qui ne sont pas sur un marché réglementé. Au contraire de l'achat et la vente d'actions en bourse: celle-ci étant un marché réglementé, on n'y fait pas ce qu'on veut.
L'histoire de Bernard remonte à 2012
Si ce règlement avait été adopté plus tôt, des Belges auraient sans doute évité la banqueroute. Mais si on reparle de cette vaste arnaque que représentent ces sites étrangers de trading en ligne non réglementé, c'est parce que Bernard Brickmanne se bat actuellement pour dénoncer un système dont il a été victime, et surtout la publicité que ce système ose faire, via des stars du football notamment. Il est l'une des rares victimes belges à oser sortir de l'anonymat.
Bernard a 60 ans et est médecin-urgentiste à Charleroi ; il exerce également une activité de médecin généraliste. Son histoire a commencé à la fin de l'année 2012. Restant sur un mauvais souvenir avec la bourse traditionnelle (Bernard a perdu "environ 60.000€ avec des actions et obligations liées à un emprunt hypothécaire, lors de la crise des subprimes en 2008"), il commence à s'intéresser, "de loin", à d'autres moyens d'investir l'argent qu'il avait de côté.
Ce n'est pas toujours l'appât du gain qui motive, mais "les taux d'intérêt proches de 0% du compte épargne". Après avoir aperçu quelques publicités sur internet, il finit par aller sur le site XForex (l'ancien nom de XTrade). "J'avais demandé à recevoir simplement de la documentation, mais j'avais du laisser mes coordonnées, y compris mon numéro de téléphone", nous explique le médecin carolo.
Bernard est rapidement "ferré" par XTrade: "S'il y a quelqu'un de naïf, c'est moi"
Tel un poisson, Bernard était "ferré", comme il le dit lui-même. "C'était le début des appels. Ils se disaient Français, et habitant Paris. Ils se présentaient comme des experts, ils avaient un discours cohérent. Ils ont 36 moyens de vous appâter".
A l'époque, il n'y avait encore que très peu de témoignages de victimes ayant été dépouillées par ce genre de sites peu scrupuleux. Bernard n'avait donc pas spécialement de raison d'être méfiant - même si les témoignages allant dans le sens contraire (des expériences authentiques de personnes s'étant enrichies sur ce genre de sites) n'étaient pas plus nombreux.
De toute façon, Bernard l'avoue: "S'il y a bien quelqu'un de naïf, c'est moi. Je pense toujours que les gens sont honnêtes".
3.000 dollars investis par petite somme
Notre médecin urgentiste ne souhaite pas, à l'époque, consacrer trop de temps à cette activité de trading en ligne, sur le site XForex, qui changera de nom par la suite pour s'appeler XTrade. "J'ai investi par petite somme, jusqu'à 3.000 dollars. A chaque fois, ils revenaient à la charge pour que j'investisse davantage".
Durant cette période de quelques mois, Bernard a beaucoup de travail. "Je n'avais pas le temps de m'occuper de ça… J'ai laissé tomber". Il n'avait pas fait de retrait, et son compte était plutôt en positif. "J'avais 3.345 dollars sur mon compte, cela me suffisait", les opérations qu'il avait effectuées étaient plutôt gagnantes.
De belles promesses…
C'est l'année suivante que les choses s'accélèrent. "A partir de 2013, ils ont commencé à me harceler par téléphone, parfois plusieurs fois par semaine, en me promettant que si j’investissais une somme importante, ils me guideraient dans les prises de position, les leviers et les devises à suivre. Le tout sans prendre de risques et en ayant des gains importants", poursuit Bernard.
Un discours simpliste qui a fini par fonctionner, grâce au fameux argument du compte épargne. L'argent qui dort à la banque ne rapporte plus rien. Entre 2012 et 2016, rien n'a changé: c'est toujours un argument pour tous ceux qui veulent vous faire investir.
"Devant la chute des taux d’intérêt bancaires et leur acharnement, j’ai fini par céder et j’ai fait un premier versement de 27.000 dollars. C'était de l'argent d'une assurance pension, et une partie de l'héritage de mes parents". Nous sommes en novembre 2013 et Bernard a définitivement mordu à l'hameçon. Les pseudos experts de XTrade ne le lâcheront plus.
3 mois de maladie: il 'trade' activement et arrive à 170.000$
Après cet investissement, Bernard s'implique activement dans son activité de 'trader en ligne'. Et dans un premier temps, cela paie. "Ils me contactent plusieurs fois par jour, ils me donnent des conseils, ils me disent ce que je dois faire".
Au début de l'année 2014, notre médecin urgentiste de Charleroi doit rester 3 mois à la maison pour cause de maladie. "J'avais le temps de suivre l'actualité économique, je m'étais même abonné à un média spécialisé. Je tradais principalement sur le FOREX, c'est le marché des devises. Je misais sur l'évolution du cours de change euro/dollar, livre/euro, etc…"
Bernard se sent de plus en plus à l'aise et a le sentiment de maîtriser ses investissements. "Ils me donnaient des conseils qui n'étaient pas toujours très judicieux, donc j'anticipais moi-même. J'évitais de prendre des leviers trop importants (un levier, c'est le fait de miser 1.000$ en n'utilisant que 100$ de son compte, en empruntant l'argent du courtier: on peut gagner beaucoup, mais perdre beaucoup aussi, NDLR)".
Fin mars 2014, le compte de Bernard atteint les 170.000$. "C'est le capital du compte, avec des positions ouvertes, je ne pouvais pas vraiment tout retirer". Une relation de confiance s'est installée avec la personne de chez Xtrade chargée de conseiller Bernard. "On communiquait plusieurs fois par semaine, ils avaient un fort accent parisien mais étaient très sympas, ils me posaient des questions sur ma santé, ma famille".
Notre médecin urgentiste s'autorise même quelques retraits. "Deux fois 5.000$. Les retraits étaient autorisés, mais on me conseillait de garder beaucoup de capital, car plus j'ai de l'argent, plus je peux en gagner".
C'est la stratégie classique de ce genre de site. Comme une autre victime nous l'avait expliqué, les pseudo experts font croire qu'il est très simple de gagner beaucoup d'argent, ils prouvent que c'est une plateforme sérieuse, poussant les utilisateurs à investir davantage.
Il reprend le travail, et c'est le début du cauchemar
Au mois d'avril 2014, cependant, Bernard doit reprendre le travail. "Je ne peux quasiment plus passer de temps sur la plateforme. Je suis urgentiste à 8/10 de mon temps, et j'exerce aussi une activité de médecin généraliste".
Il décide de se fier à l'expert qui le suit activement, et d'appliquer aveuglément ses conseils. "Je faisais ce qu'il disait. Je prenais des positions (on peut le traduire par des mises sur l'évolution à la hausse ou la baisse d'une devise, NDLR) de plus en plus risquées".
Le capital de Bernard s'amenuise rapidement. Et comme on lui avait dit qu'il fallait avoir beaucoup de capital pour gagner de l'argent, on lui conseille de réinvestir. "J'ai réinjecté par tranche de 5.000$" durant quelques mois.
Au total, Bernard a versé l'équivalent de 80.000 euros sur la plateforme XTrade (en ce compris les 27.000$ de novembre 2013). Persuadé qu'il allait se refaire, il a été puisé dans ses dernières économies. "J'ai vidé mes comptes" en quelques mois, reconnait-il.
Il a tout perdu, mais XTrade s'acharne: comment ce site gagne-t-il de l'argent ?
Bernard vient de perdre une somme importante en quelques mois. "J'avais tout perdu, mais ils continuaient à me dire 'On va tout rattraper'. J'ai souvent eu de nouveaux interlocuteurs. Dès que ça n'allait plus, c'était quelqu'un d'autre qui s'occupait de moi. J'ai eu 7 ou 8 'experts' différents, à chaque fois ils disaient que ça irait mieux avec eux".
Pour justifier les pertes colossales, les pseudo-experts financiers ont dit à Bernard qu'il n'avait "pas eu de chance", que ce n'était "pas de leur faute", et que c'était "la loi du marché financier".
Il convient ici de rappeler comment une plateforme comme XTrade reste rentable. Nous ne sommes pas parvenus à discuter avec un responsable de cette plateforme (ils ne parlent jamais à la presse), mais il n'y a pas 36 manières de gagner de l'argent sur le dos des traders (comme Bernard).
La première est vicieuse: le courtier (c'est le nom officiel de ces sites) gagne quand le trader perd, car, pour faire simple, il mise l'opposé du trader (vu qu'on parle de miser sur une hausse ou une baisse, on gagne ou on perd). La seconde est plus classique, c'est une sorte de commission sur la transaction, grâce à la différence entre le prix d'achat et le prix de revente. Donc au plus le trader mise, au plus la plateforme gagne de l'argent. Dès lors, la plateforme a tout intérêt à ce que le trader gagne de l'argent pour continuer à miser.
Un certain Patric(k) n'hésite pas à le pousser à s'endetter...
Bernard réinvestit et confie son compte à un certain Patrick: "En deux jours, il a tout perdu"
A ce moment-là, notre médecin-urgentiste de Charleroi est dépité. Il est cependant relancé par un certain Patrick Sempe (il s'agit de faux noms à chaque fois), toujours de chez XTrade. Pensant qu'il s'agit de l'unique moyen pour regagner ce qu'il a perdu, il accepte de l'écouter.
"Il me dit que ça va aller, il comprend que j'ai beaucoup de travail. Si je mets 50.000€, il me promet de prendre des positions sans risque pour moi. Je lui ai dit que je n'avais plus d'argent, mais il a encore argumenté et je suis tombé dans le panneau".
La naïveté de Bernard le pousse à emprunter de l'argent. "J'ai été chez Elantis à Liège pour faire un crédit de 33.000€, que je vais encore rembourser longtemps car c'était 84 mensualités de 527,38€". Un emprunt avec un taux assez élevé, car à la fin de son remboursement, il aura versé 44.300€ à la société de crédit.
"Je l'ai laissé gérer le compte à ma place. Il avait tous mes accès. Il m'avait promis la sécurité, et qu'il allait tout rattraper, mais en deux jours, il a tout perdu, en prenant notamment des positions sur l'or".
Il y croit encore en perd 7.500€ supplémentaires
Bernard se retrouve donc "sans rien", et avec un emprunt sur le dos. A ce moment-là, comme on l'imagine, il a "de grosses difficultés financières". Il doit vendre quelques pièces de sa collection de matériel Hi-Fi vintage. Car en plus de son crédit, il a "deux pensions alimentaires pour des enfants", issus de mariages précédents.
C'est une période très sombre pour Bernard, il est "déprimé et KO". Sans doute poussé par le désespoir, Bernard est relancé quelques mois plus tard, en 2015, par une certaine Jennifer, qui était (soi-disant) chez XTrade, et qui est passée sur une autre plateforme tout aussi louche, TMarkets, toujours en tant que 'Expert Trader'.
"Elle me dit par téléphone qu'elle compatit, que c'est incroyable, et qu'elle va m'aider". Il décide de tenter une dernière fois sa chance. "J'ai revendu du matériel Hi-Fi et je lui ai confié 7.500€. En quelques semaines, elle avait tout perdu".
Du déni à la rébellion
En lisant notre récit, de nombreuses personnes se poseront la question suivante: comment Bernard a-t-il pu y croire si longtemps ? Sans faire dans la psychologie de comptoir, on est face à du déni de la réalité, et à une envie irraisonnable d'y croire encore et toujours, sans doute parce que continuer dans cette voie paraît être la seule solution.
Notre témoin le reconnait. "Même à la fin, j'y croyais encore. On ne se rend pas compte, mais (les pseudos experts de XTrade) vous harcèlent moralement. Ils vous culpabilisent, vous manipulent mentalement, et au final vous leur pardonner. Et sans doute, ils ont senti que j'étais naïf".
Mais après le dernier épisode, la réalité a fini par rattraper Bernard, heureusement. "Après une période de déni (je n'en parlais jamais à personne), durant laquelle je me suis acharné dans le travail, j'ai fini par leur en vouloir".
Bernard a alors évité encore "quelques loups" qui essayaient de le plumer davantage en lui promettant de l'aider, et a fini par ouvrir une plainte auprès de Warning Trading, une entreprise bulgare gérée par des Français, et dont les avocats spécialisés tentent de récupérer de l'argent auprès des sites. "J'ai du payer les frais d'ouverture du dossier, de 950€".
Des frais de départ qui couvrent, selon un responsable de Warning Trading avec qui nous avons discuté, "la réalisation de la vidéo par un professionnel, des campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux pour la page Facebook de Bernard".
Jusqu'à présent, "je n'ai rien récupéré", poursuit cependant notre victime. "Les contacts entre les avocats ont abouti à une proposition de 13.000€, que j'ai refusée. C'est un dixième seulement de ce que j'ai perdu, et si j'accepte, je dois retirer toutes mes plaintes".
Il garde donc le mince espoir qu'avec de la patience, la proposition sera plus importante. Précisons que Warning Trading empochera 20% du montant éventuellement récupéré par Bernard.
Bernard a publié entretemps un site web sur lequel il raconte son histoire.
Une vidéo à l'attention de Ronaldo sur YouTube
Son message à Ronaldo
Le plus choquant pour Bernard, c'est qu'une entreprise comme XTrade ait pignon sur rue, et se permette de sponsoriser des équipes de foot. "Ils utilisent l'image des sportifs et des clubs de foot", qui sont des références pour toute une partie de la population.
Dans le cas de XTrade, ils sont parvenus à convaincre Cristiano Ronaldo de lui prêter son image. Certains enquêteurs y voient des faveurs du célèbre agent de Ronaldo, Jorge Mendes, qui est parfois mêlé à des affaires fiscalement un peu louches.
Il a donc décidé de passer un appel, en vidéo, prenant son courage à deux en sortant de l'anonymat (voir en haut de cet article).
"Au travers de cette vidéo, je souhaite alerter le plus grand nombre car cette société se sert de l'image de Ronaldo pour faire de nouvelles victimes. Je suis moi-même un admirateur de Monsieur Ronaldo par sa générosité et je lui demande de retirer son image de ce courtier", précise-t-il.
D'autres sites sponsorisent le maillot d'équipes de D1 espagnole ou anglaise. C'est le cas de l'Atletico Madrid en 2016, le site Plus500 étant lui aussi interdit en Belgique.
Bientôt la fin de l'arnaque ?
Heureusement, l'avenir s'annonce meilleur. Et même peut-être sans ce genre de sites de trading en ligne, enregistrés à Chypre où les autorités financières sont peu regardantes, et gérés de Tel-Aviv par des expatriés français qui transforment leur numéro de téléphone (en +33, le préfixe de la France).
Cette affirmation qui peut paraître choquante, nous l'avions dévoilée dans l'article sur l'histoire d'Etienne, en recoupant plusieurs enquêtes du média israélien Times of Israel, très impliqué dans la dénonciation de ces pratiques qui nuisent à l'image du pays.
2016 est une année charnière dans le domaine. Les autorités israéliennes commencent à intervenir sur le terrain, en arrêtant des responsables (si les victimes sont sur le sol israélien).
Et les pays européens prennent les devants, comme la FSMA en Belgique qui interdit toute activité et publicité de ce genre de sites frauduleux. "Tout ce qui est options binaires, dérivés avec moins d'une heure, ou dérivés avec effet de levier, est interdit en Belgique".
Ce n'est pas tout: "Il est interdit de faire de la publicité, et de faire du démarchage téléphonique". Cela se remarque déjà sur le site de XTrade ou Plus500, où un bandeau "Votre pays, la Belgique, ne permet pas (…)" est affiché dans le bas du site. Dans le formulaire d'inscription de XTrade, la liste de pays disponible ne comprend plus la Belgique.
Si les choses continuent dans ce sens-là, on ne devrait plus avoir à traiter des histoires aussi désolantes que celle de Bernard…
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