Frédéric, comme de nombreux travailleurs de Proximus, vit difficilement la restructuration de sa firme qui va bouleverser la vie de milliers de salariés (départ ou reconversion). D'autant qu'un autre type de travailleurs, ceux qui travaillent dans des entreprises sous-traitantes de Proximus parmi lesquels de nombreux Indiens, ne semble pas affecté par la restructuration. Cette sous-traitance est normal selon l’entreprise. Et pour l'économiste Bruno Wattenbergh, les grandes sociétés comme Proximus ont d'ailleurs tout intérêt à recourir à ce genre de mécanisme.
Frédéric travaille au sein de Proximus depuis presque 30 ans. "J’ai connu toutes les époques. Je suis rentré à la RTT, j’ai connu Belgacom, puis Proximus", raconte-t-il. "Actuellement, je travaille dans la supervision du réseau. Au niveau des gros systèmes, de la grosse infrastructure. Je m’occupe notamment des outils de monitoring, etc." Cet homme d'expérience ne digère toujours pas le plan de restructuration annoncé par la direction en janvier dernier et dont la mise en oeuvre proposée par la direction a été acceptée (deux syndicats sur trois) en décembre : "En décembre 2018, on a reçu un mail en interne, pour nous dire que les chiffres étaient excellents. Janvier 2019, on annonce 1.900 licenciements."
L’entreprise veut, notamment, être plus en phase avec les défis technologiques de demain (la digitalisation), et adapter les profils de ses travailleurs. Mais pour Frédéric, outre le plan de restructuration, il y a un autre problème. "Dans les tours de Proximus, à la gare du Nord à Bruxelles, il y a quasi 2.000 Indiens actuellement. Je ne connais pas leur salaire, mais si Proximus les engage, c’est qu’ils ont des avantages pour le faire. Dans mon service, pratiquement toutes les personnes sont concernées par le plan de restructuration. Mais pas les Indiens, parce qu’ils coûtent moins cher. À job égal, ils ne sont pas touchés", déplore-t-il.
"Dans une très grande majorité, ils travaillent pour des sociétés externes"
Le chiffre de 2.000 Indiens avancé par notre alerteur semble trop élevé, selon Laurent Malengreau, vice-président du syndicat CGSP secteur telecom. "C’est un peu exagéré, étant donné qu’ils sont 6.000 au total dans les tours à Bruxelles. Un travailleur sur trois n’est tout de même pas indien." Même constat pour Haroun Fenaux, le porte-parole de Proximus: "6.000 dans les tours, 11.000 dans l’entreprise. Donc non, il n’y a pas 2.000 Indiens."
Cela ne veut pas dire que Frédéric a tort. Il y a bien des Indiens qui rentrent le matin dans les tours de Proximus. "Certains pourraient avoir un contrat de travail avec Proximus, mais dans une très grande majorité, ce n’est pas le cas, ils travaillent pour des sociétés externes", détaille Laurent Malengreau. Cela s’appelle faire de l’outsourcing. "C’est faire faire des activités en sous-traitance, sur base de tâches définies à court et moyen terme, et pas dans une contractualisation à long terme comme un contrat d’emploi", détaille Bruno Wattenbergh, économiste.
Deux types d’outsourcing existent:
- Nearshoring: déplacer des activités vers des pays proches à plus bas salaires
- Offshoring: le déplacement s’effectue vers des pays plus éloignés
Le principe : fais ce que tu fais le mieux et confie aux autres ce dans quoi tu n’es pas spécialisé
Une telle pratique est loin d’être récente. "Elle a débuté dans les années 70 quand le monde a cessé d’être prévisible. Face à l’incertitude, les entreprises ont voulu s’alléger pour être plus flexibles et plus adaptatives. Elles ont alors commencé à sous-traiter tout ce qui n’était pas stratégique. Le principe: fais ce que tu fais le mieux et confie aux autres ce dans quoi tu n’es pas spécialisé et/ou ce qui va te coûter plus cher", explique Bruno Wattenbergh. Le nettoyage, ou encore la logistique sont maintenant très souvent outsourcés. Et pour l’économiste, Proximus a tout intérêt à avoir recours à un tel mécanisme: "L’entreprise doit évoluer rapidement. Elle ne peut pas ne pas recourir à l’outsourcing, d’autant plus qu’elle change de métier et devient une entreprise d’IT. Dans l’IT, les travailleurs très qualifiés ne veulent en général pas être salariés."
Pourquoi ces travailleurs ne sont-ils pas concernés par la restructuration?
Proximus ne détaille par contre pas le nombre de travailleurs faisant l’objet d’outsourcing. "Certaines règles viennent tout de même limiter l'outsourcing à certains niveaux. On évalue à 1.500 personnes le nombre de travailleurs dans les call-centers de Proximus", poursuit Bruno Wattenbergh. "Ensuite, il y a effectivement des spécialistes IT, notamment indiens, qui travaillent soit directement dans l’entreprise, soit à distance." Mais de nombreuses autres nationalités sont représentées. "Il y a des Indiens, oui, mais aussi des Français, des Italiens, des Espagnols, etc.", ajoute Haroun Fenaux, le porte-parole de l’entreprise.
L’outsourcé n’est payé par Proximus que quand il travaille
Frédéric est déçu que ces personnes ne soient pas concernées par le plan de restructuration, ce qui rajoute une pression sur les autres travailleurs. Pourtant, rien de plus normal, selon Bruno Wattenbergh: "Un travailleur dispose d’une compétence, d’un savoir-faire, d’un contrat à durée indéterminée. L’outsourcé n’est payé par Proximus que quand il travaille, c’est donc un coût parfaitement variable." "Le plan de restructuration touche uniquement le personnel, mais pas les sociétés de consultance, de sous-traitance", confirme de son côté Haroun Fenaux.
Restructuration complète ou partielle
Dans le cadre de sa restructuration, l’entreprise a mis en place plusieurs systèmes, pour favoriser des départs volontaires, et éviter des licenciements secs. Par exemple, avec un plan pour les 58+, ou avec un package de départ volontaire qu’elle qualifie d’attractif.
"Les travailleurs savent à présent s’ils sont concernés par une restructuration complète ou partielle", explique Laurent Malengreau, le vice-président du syndicat CGSP secteur telecom. S’ils sont dans le cas d’une restructuration complète, ils ont un délai de 6 mois pour retrouver une place au sein de la société, de se reconvertir grâce à des formations. "S’ils n’y arrivent pas, ils recevront une prime de licenciement, avec une indemnité légale."
Dans le cadre d’une restructuration partielle, par contre, les choses sont différentes. "Par exemple, dans une équipe de 20 personnes, imaginons que 10 doivent partir", commence Laurent Malengreau. Celles qui le désirent peuvent opter pour les plans de départ évoqués ci-dessus. "Si 10 personnes partent de leur plein gré, tant mieux pour les 10 autres, elles peuvent conserver leur poste. Mais imaginons que seules 7 ont décidé de partir. A ce moment-là toutes celles qui restent doivent repostuler. On évaluera leur profil avec un système de points à classement." Des points seront par exemple attribués sur base des trois dernières années d’évaluation. Et en fonction du classement, la direction choisira les travailleurs ayant le plus de points.
"On est en train de mettre la zizanie dans la société"
Et il en est bien conscient. Tous ceux qui entrent dans les conditions pour bénéficier des packs de départ ne partiront pas tous. "La direction a fait des estimations. Mais c’est bien normal que certains travailleurs de plus de 58 ans ne peuvent financièrement pas se permettre de partir. Certains doivent encore payer une maison, les études des enfants, un kot etc. Ils ne pourraient donc pas avoir une diminution de leurs rentrées financières." Voilà un système que n’apprécie pas Frédéric. "Les gens qui, dans nos équipes, ont 58 ans et plus, on leur met la pression pour partir. On est en train de mettre la zizanie dans la société."
Après les licenciements, Proximus compte réengager environ 1.250 personnes. "On recherchera alors des profils particuliers liés à la digitalisation, à la cybersécurité, et au traitement de big data", détaille Haroun Fenaux. "Il s’agit de toute une série de nouveaux métiers. Et c’est pour cela qu’on va d'abord donner des formations à notre personnel inhouse, pour que certains puissent correspondre et se réorienter." Ensuite, l’entreprise fera très probablement appel à des profils venus de l’extérieur. Et là, Frédéric craint le pire. "On nous fait croire qu’on va trouver de chouettes talents. Il y en a bien sûr chez nous, mais là encore ils vont faire de l’outsourcing." Le porte-parole de Proximus botte en touche: "Ces 1.250 nouveaux profils, ça ne sera pas de l’outsourcing, ils auront un contrat.
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