Serge est un père en colère. Très fier de son fils, Stephan, qui travaille à la police à cheval d'Etterbeek depuis 8 ans malgré son handicap, il estime que les transports en commun n'en font pas assez. Le dernier incident de son fils "l'a choqué". La SNCB considère pourtant les PMR (personnes à mobilité réduite) comme une priorité. Explications.
Depuis de nombreuses années, les personnes à mobilité réduite (PMR) voient leur environnement devenir de plus en plus adapté à leurs difficultés à se déplacer. Entreprises, magasins, institutions, musées, transport en commun: la plupart des acteurs de la société civile essaient de prévoir des ascenseurs ou des pentes douces là où il pourrait y avoir des escaliers ou des dénivelés.
Mais la situation est complexe: pendant des décennies (des siècles?), des bâtiments et des routes ont été construits sans penser une seule seconde aux chaises roulantes ou aux personnes ayant des difficultés à se déplacer.
Sans parler des "pièges" qui sont des détails pour la plupart des gens, mais un calvaire pour certains. Le père de Stephan, handicapé psychomoteur qui prend le train tous les jours pour aller travailler, nous en fait remarquer un aujourd'hui: "Dans les nouveaux trains à la gare d'Etterbeek, les rames ont un accès standardisé qui est plus difficile que dans les anciens modèles", nous a-t-il écrit via le bouton orange Alertez-nous.
Ce qui a valu à son fils âgé de 38 ans une mésaventure dont il se serait bien passé…
Handicapé à 66%, Stephan se lève tous les jours à 4h30 pour aller travailler
Serge, le père de Stephan, nous a brièvement raconté l'histoire de son fils. Poignante, elle donnera de l'espoir à toutes les familles confrontées au handicap.
"Stephan est né avec l'hémisphère droit de son cerveau qui ne fonctionne pas. Il n'est pas complètement hémiplégique, mais il a de grosses difficultés à mouvoir la moitié de son corps, aussi bien son bras gauche que sa jambe gauche. Il doit porter des chaussures adaptées, il a besoin d'aide pour s'habiller. Physiquement, il a donc de grosses difficultés à se déplacer, mais pas au point d'avoir besoin d'une chaise roulante. Il n'a pas de béquille, mais marche en boitant de manière très marquée. Intellectuellement, c'est assez compliqué au niveau de la lecture et l'écriture, il y parvient en faisant beaucoup d'efforts ; et il est extrêmement émotif, comme beaucoup de jeunes qui ont un handicap de ce type-là. Mais on peut avoir avec lui une conversation tout à fait normale".
La Direction générale Personnes handicapées du SPF Sécurité Sociale considère que Stephan a "66% de réduction de la capacité", et de nombreux critères de réduction de l'autonomie.
Il a été scolarisé "dans un centre spécial pour handicapés psychomoteurs lourds" à Bruxelles, puis dans une autre école spécialisée.
Malgré tout, il n'est jamais resté chez lui à ne rien faire. "Il a fait partie de plusieurs équipes sportives pour handicapés, notamment l'escrime et l'équitation. Il a d'ailleurs été sélectionné dans l'équipe équestre pour aller aux Jeux Paralympiques de Pékin". Mais un sérieux accident de voiture l'a empêché in extremis de s'y rendre.
Ironie du sort, c'est à l'hôpital qu'il a fait une rencontre essentielle. "Pendant qu'il était à Saint-Luc à Bruxelles, il est entré en contact avec quelqu'un qui était un ami d'un officier supérieur de la police montée (police à cheval). Ils se sont rencontrés, ils se sont parlés, et puis mon fils a expliqué qu'il avait cherché du travail pendant des années, mais qu'avec son handicap, personne ne voulait de lui. Le commissaire qui dirige la police à cheval de Bruxelles lui a dit qu'ils avaient des directives nationales pour le recrutement de personnes handicapées, et qu'il allait le faire passer par cette filière-là".
Stephan a d'abord travaillé dans les écuries, comme bénévole pendant deux ans. "Et au bout de deux ans, il a eu la grande chance et la grande fierté de signer un contrat d'emploi, et c'est très rare pour les personnes qui ont ce genre de handicap" :
Seule ombre au tableau: "Habitant Moustier-sur-Sambre avec nous, il doit se lever à 4h30 tous les matins pour prendre le train vers Bruxelles, et il rentre assez tard car les liaisons en transport en commun sont assez médiocres". Malgré cela, et malgré les difficultés à se déplacer, Stephan travaille "depuis à peu près 6 ans comme salarié".
Un "petit" incident, de conséquences "émotionnelles"
Travailler malgré un lourd handicap moteur, c'est un défi quotidien. Alors quand ce défi est rendu encore plus difficile par des infrastructures, le sentiment d'injustice s'installe. "Le gouvernement, et les chemins de fer dans leur sillage, sont très rapides pour mettre en place des accès aux vélos, des pistes cyclables, des piétonniers, des emplacements pour les vélos dans les trains ; mais rien n'est fait pour permettre aux handicapés de mener une vie professionnelle 'normale' en utilisant les transports publics", estime Serge.
Cette amertume est accentuée depuis un incident dont a été victime son fils Stephan. "En rentrant du travail, en montant dans le train à Etterbeek, dans une nouvelle rame, il a dû enjamber un espace plus grand que ce qu'il peut faire d'habitude. Il a trébuché en pénétrant dans le train, car mon fils a vu les portes se refermer sur sa jambe. Il est tombé, le train a démarré. Ne sachant pas se relever facilement tout seul, il est resté allongé derrière la porte tandis que le train roulait. Il a appelé au secours".
La suite est assez difficile à vivre pour Stephan. "Au lieu de lui porter secours, la contrôleuse l'a invectivé de loin, de manière assez agressive, en lui disant: 'Mettez votre masque' à plusieurs reprises, car le masque était tombé dans la chute. Personne n'est venu lui donner la moindre aide. Il était tout à fait choqué".
Pour couronner le tout, il a du retourner à son travail ! "Dans la police, lorsqu'on est victime d'un accident sur le chemin du travail, il faut faire une déclaration immédiatement. Le pauvre malheureux est donc descendu à la gare suivante pour faire demi-tour, puis est finalement rentré à la maison", où il a passé quelques jours "pour se remettre du choc émotionnel, il avait l'air un peu déprimé". Mais il a vite repris le travail, car "il n'a pas de blessure grave, il est un peu blindé physiquement, il est tombé toute sa vie".
Si Serge raconte cette histoire, c'est pour sensibiliser davantage les responsables politiques et ceux des transports en commun. "Le manque d'infrastructure adaptée me paraît grave ; et je trouve absurde qu'en 2020, on puisse encore acheter du nouveau matériel qui n'est pas adapté aux personnes à mobilité réduite (PMR)".
Rampe ou ascenseur inaccessible, quai délabré: ces photos envoyées par Stephan témoignent des difficultés quotidiennes qu'il rencontre
Les PMR, "une priorité pour la SNCB": de bonnes nouvelles en vue
Nous avons évoqué cet incident à la SNCB, qu'elle qualifie bien entendu de "très regrettable". D'autant plus que pour les chemins de fer belge, "depuis longtemps, l'accessibilité de nos gares et de nos trains constitue une réelle priorité", selon Vincent Bayer, porte-parole.
Actuellement, sur environ 150 gares, 70 sont "intégralement accessibles" aux PMR. "D'ici 2025, une de nos priorités est de doubler ce nombre". Mais une accessibilité intégrale, c'est quoi ? "Cela inclut des ascenseurs ou des rampes d’accès vers chaque quai (pour les parents avec landau, les personnes ayant des difficultés de déplacement, les personnes en fauteuil roulant, les cyclistes avec vélo non pliable, etc.), des quais rehaussés, des chemins podotactiles pour personnes malvoyantes et au moins un guichet ou automate de vente accessible aux personnes à mobilité réduite", précise-t-il.
Et au niveau des trains, il y a de bonnes nouvelles pour Stephan: "Dans le cadre de la modernisation de sa flotte, la SNCB a commandé 445 voitures M7 à double étage". Le communiqué de presse évoquant la mise en service imminente d'une cinquantaine de rames d'ici la fin de l'année 2020, donne des détails importants: "La SNCB a décidé que tous les quais devront être d’une hauteur de 76 cm et que chaque nouvelle commande de matériel ferroviaire devra respecter cette hauteur d’embarquement. La première prochaine commande de trains M7 à double étage sera adaptée en ce sens, pour permettre à chacun de prendre le train sans assistance grâce à une plateforme coulissante. Des adaptations accélérées auront lieu dans les gares qui jalonnent les trajets des trains M7 afin qu’elles soient, elles aussi, intégralement accessibles".
Ces investissements représentent des centaines de millions d'euros.
Au niveau de l'utilisation des trains et gares par les PMR, la SNCB n'a pas beaucoup de chiffres. "Ce sont les demandes d’assistance par des personnes à mobilité réduite: en 2019, près de 52.000 personnes ont eu recours à ce service (contre 47.500 en 2018 et 45.000 en 2017). Cette évolution est entre autres liée à la possibilité, depuis 2017, de réserver une assistance 3 heures à l’avance dans 40 gares (en plus de la possibilité de réserver une assistance 24h à l’avance dans plus de 130 gares)", conclut le porte-parole.
Les rames M7 (©SNCB)
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