L'arrivée des vélos électriques a apporté une nouveauté très intéressante sur certains modèles: la possibilité de les géolocaliser à distance, via une application sur smartphone. Mais les policiers ne sont visiblement pas très au courant de cette option…
*** MISE A JOUR MARDI 9 JUIN ***
Gonzalo s'est présenté vendredi 5 juin, mais personne n'a pu s'occuper de lui (alors que l'inspecteur principal nous avait déjà parlé de manquements de la part de certains policiers dans cette affaire). Ce n'est que dimanche que notre témoin a reçu un appel, et qu'il a été chercher son vélo. Et mardi 9 juin, il a reçu des excuses par téléphone.
C'est une bonne nouvelle pour la planète et pour la mobilité: le vélo rencontre un succès grandissant dans le monde entier, et aussi en Belgique. Plus particulièrement à Bruxelles où les déplacements en voiture sont devenus (très) compliqués.
Hélas, et les chiffres le prouvent: les vols de vélo ont tendance à augmenter (2.500 en 2015, 3800 en 2018). Gonzalo est kiné à Bruxelles, et a investi dans un bon vélo électrique pour effectuer tous ses déplacements. A la fin du mois de mai, on le lui a volé. C'est le début d'une histoire assez étonnante qui illustre les défis auxquels sont confrontées la police et la justice.
Un vol à Saint-Gilles, "en 5 minutes"
Gonzalo fait partie de ces soignants "en première ligne" depuis quelques mois. Il a 33 ans et habite à Woluwe-Saint-Pierre. "Je travaille dans un centre d'hébergement pour personnes en difficultés psychiatriques le matin. Et l'après-midi, je vais dans une maison de repos". Et "j'ai bossé durant tout le confinement", précise-t-il.
Son vélo électrique, il l'a acheté en septembre 2019. "Je l'ai payé 2.000 euros, c'est un Cowboy". Notre témoin précise bien que "c'est mon moyen de transport, mon outil de travail".
Le début de la mésaventure de Gonzalo remonte au 29 mai dernier. Un vendredi soir. "On était passé à la Place Morichar, il y avait une amie qui se mariait, on voulait la fêter, dehors. J'ai laissé mon vélo tout près, et on a chanté, on a joué de la musique, pas longtemps. Je n'avais donc pas pensé à l'attacher". Mais, "en 5 minutes, quelqu'un avait pris le vélo".
Il le localise grâce l'application de son vélo
Vous l'ignorez sans doute, mais le vélo électrique a donné des idées à de nombreuses entreprises, petites ou grandes, afin d'ajouter certaines options aux deux roues. Celui de la jeune entreprise belge Cowboy est notamment équipé d'une carte SIM, comme votre téléphone. Ça lui permet de communiquer, via les antennes 4G, avec l'application Cowboy que Gonzalo a installé sur son smartphone. C'est l'option 'Find My Bike' (voir ci-dessous).
"Le lendemain matin, j'ai cherché mon vélo, et je l'ai trouvé à l'Avenue des Villas, toujours à Saint-Gilles. J'y suis allé tôt, avant que le voleur ne l'amène ailleurs. Il était attaché avec un cadenas, qui n'était pas le mien, forcément".
Gonzalo appelle la police: "Ils ne m'ont pas cru, malgré les preuves"
Notre témoin se demande alors ce qu'il faut faire. "Pour être honnête et bien faire les choses, j'ai appelé la police et je leur ai expliqué la situation". Mais ça ne s'est pas passé comme prévu.
Les deux policiers étaient "assez méfiants", ce qui a "terriblement vexé" Gonzalo. "Ils ont cherché n'importe quelle excuse pour ne pas me croire". La scène a duré quelque temps, devant son vélo cadenassé. "Je leur ai tout montré, pourtant. L'application liée à mon vélo, que j'ai redémarré devant eux. Ils ont dit que je pouvais avoir hacké l'application. J'ai fait venir ma femme avec les clés de la batterie, mais ce n'était pas une preuve suffisante, je pouvais l'avoir vendu et avoir gardé une copie. Sur mon téléphone, j'ai trouvé la facture du vélo, avec mon adresse – mais pas mon nom, car il y avait une erreur de Cowboy. Le police a encore rejeté, même si c'est la même adresse que mon domicile officiel".
Son vélo est saisi, Gonzalo ne l'a pas encore récupéré
La situation prend une tournure inattendue. D'après notre témoin, "la police m'a dit que la prochaine fois, je devais couper le cadenas sans les appeler, car je cite, c'est chiant".
Les discussions perdurent, Gonzalo garde son calme. "La police a fini par appeler un magistrat pour savoir ce qu'il fallait faire. Je ne sais pas ce qu'elle leur a dit, mais il a décidé d'amener mon vélo au commissariat de Saint-Gilles, il était saisi ! La police ne me croyait pas, mais elle pensait quand même que c'était un vélo volé".
Mais ça ne change pas grand-chose au problème. "Je suis donc retourné au commissariat. La première fois, j'avais pris tout avec: le chargeur, les deux clés originales du vélo, mon cadenas et ses deux clés (voir photo ci-dessous), l'historique des voyages (issus de son application). Le policier n'a pas voulu m'écouter, il voulait une facture avec un numéro de châssis. Mais chez Cowboy, ils ne mettent plus de numéro de châssis sur le vélo, ils utilisent un code unique interne, qui est lié à mon application. Je l'ai montrée, mais ils ont dit à nouveau que je pouvais avoir hacké l'application". Malgré plusieurs visites, rien ne bouge.
Gonzalo va y retourner avec une nouvelle facture plus détaillée de Cowboy, et espère que le policier va enfin accepter de lui rendre son vélo. A l'heure actuelle, il est assez remonté: ça fait une semaine qu'il tente de récupérer son unique moyen de locomotion. "Ni la police, ni personne ne va me payer ce temps perdu, ni les transports en commun, encore moins le dérangement. Je fais des efforts pour ne pas utiliser une voiture et aider la planète. Cette affaire est devenue si surréaliste et ridicule", conclut-il.
La police le reconnait: "Il y a eu un manquement"
Heureusement, tout devrait se résoudre rapidement pour Gonzalo.
Contacté par nos soins, l'inspecteur principal Bouchez, de la zone de police Midi, l'a reconnu: "Il y a eu un manquement de la part des policiers" qui sont intervenus. "Le chef de corps a demandé une enquête interne, qui est en cours, les policiers vont être entendus et vont devoir s'expliquer, il pourrait y avoir une sanction".
La raison ? "Une méconnaissance des procédures: la personne (Gonzalo) avait visiblement apporté les preuves suffisantes, même s'il y avait quelques irrégularités", l'inspecteur faisant sans doute référence à l'absence d'un numéro de châssis et du nom de Gonzalo sur la première facture qu'il a montrée.
A l'heure de conclure cet article, "tout est mis en œuvre pour aider la personne à récupérer son vélo".
Ce n'est pas toujours aussi simple !
Si tout se termine bien pour Gonzalo, qui avait de nombreuses preuves en sa possession, ce n'est pas le cas de tout le monde.
Nous avons appelé le commissaire Olivier Slosse, de la zone Bruxelles-Ixelles, qui est assez sensible à la question des vols de vélos. D'ailleurs, au sein de sa zone, "il y a deux policiers de la section vol qui suivent ce phénomène", et utilisent un profil Facebook pour communiquer plus facilement (voir la page).
Par rapport au cas de Gonzalo, dont il ne connaissait pas tous les détails, il précise qu'il n'y a théoriquement "pas de réponse facile face à une telle situation, car la police n'est pas autonome. C'est la justice qui doit normalement statuer sur la propriété d'un objet", si celle-ci est contestée. "Il faut pouvoir prouver que le vélo appartient toujours à cette personne, et n'a pas été vendu, par exemple". Parfois, le recours à un magistrat puis à un juge, et donc potentiellement des avocats, est nécessaire...
C'est différent d'une voiture, donc, car via ses papiers officiels (notamment le certificat d'immatriculation), il y a toujours un propriétaire identifiable. Quand elle est vendue ou donnée, un nouveau certificat est nécessaire. Il n'y a pas, pour l'instant, de telles procédures avec les vélos.
"Le plus facile, c'est quand un vélo est déclaré volé, et qu'il y a par la suite un abandon volontaire de ce vélo" par le malfrat. La police peut alors retrouver le propriétaire et lui rendre son vélo.
Le commissaire Slosse estime qu'une application comme Cowboy, permettant de localiser le vélo, "est une solution technopréventive" qui pourrait aider à faire baisser les vols. "Ce n'est pas une solution miracle pour l'instant, mais ça pourrait le devenir". Il faudrait que la police et la justice accordent une légitimité accrue à ce genre d'applications, mais ce n'est pas forcément simple…
Il rappelle enfin qu'il existe déjà des moyens de lier un vélo à une identité: "en lui faisant graver un numéro de châssis, ou en l'inscrivant sur la plateforme MyBike.brussels: on reçoit un autocollant avec un QR code, et on peut connaître l'état du vélo, contacter le propriétaire, etc".
Vos commentaires