L'entrepreneur et son client ne sont pas parvenus à un accord sur le solde des travaux à facturer. Des poursuites judiciaires ont été engagées.
Stéphane s'est adressé à Jean (prénoms d'emprunt car ils veulent garder l'anonymat) pour qu'il réalise une terrasse en pierres bleue belge autour d'un bâtiment qui lui appartient en province de Liège. La relation de confiance entre Jean et Stéphane s'est dégradée irrémédiablement au cours d'un chantier long de 6 mois. Les travaux ont été réalisés dans les délais et à la satisfaction de Stéphane.
Mais la terrasse terminée, les dernières sommes demandées par Jean n'ont pas été réglées. Chose peu courante, c'est donc l'entrepreneur qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour dénoncer "la malhonnêteté" de son client.
La grosse commande d’un client aisé dont il connaissait la famille
Jean, 60 ans, travaille depuis 35 ans dans le domaine de la construction. Il habite en province de Liège également et travaille avec sa femme dans la petite entreprise qu'ils ont montée. "On fait tous les petits travaux que les grosses entreprises ne veulent pas faire", explique-t-il.
En septembre 2017, Stéphane les a repérés en passant devant l'un de leurs chantiers, une entrée de garage en pierre bleue. C'est ce qu'il souhaitait pour la terrasse de sa propriété. Jean lui a proposé un devis : 43.000 euros pour les 160m2 de terrasse autour du bâtiment. 600 dalles de pierre bleue.
"Un travail de fou !", confie Jean. Et des sommes inhabituellement importantes pour sa petite entreprise. Le devis n'a pas été signé mais Stéphane a commencé à payer les premières factures dès le début des travaux en novembre 2017. "Ce qui équivaut à une reconnaissance implicite qu’il y a bien eu une commande de travaux et que le devis a été accepté", note Benoît Rousseau, directeur juridique du SDI (Syndicat des indépendants).
Jean se sentait "en toute confiance", raconte-t-il. L’entrepreneur connaissait la famille de Stéphane, il était à l'école avec son frère. "Ce sont des gens de bonne réputation", dit-il. Mais dans ce type de relations, la prudence reste de mise : "Il faut se dire ‘ok, je fais confiance à mon client mais toujours dans un coin de son esprit se dire ‘si jamais il y avait un litige entre le client et moi pour une raison ou une autre. Est-ce que j’ai suffisamment d’éléments pour démontrer que ma position est bien correcte ?’", explique Benoît Rousseau.
L’espoir d’obtenir d’autres commandes du même client à l’issue de ce travail
Stéphane a fait savoir à Jean que, si tout se passait bien, il pourrait de nouveau faire appel à ses services pour d’autres travaux. "Il nous faisait miroiter qu'il allait de nouveau construire un bâtiment avec six garages dans le fond de son terrain", raconte Jean. "Vous allez toujours vous dire ‘je vais essayer de ne pas mécontenter ce client potentiellement important. Mais Il faut dépasser ce sentiment-là, et se montrer professionnel dans la manière dont on communique avec lui", analyse le directeur juridique du SDI.
Un travail titanesque, des relations qui se sont progressivement dégradées
Pour le terrassement, premier poste du devis, Stéphane a fait appel à un autre entrepreneur. "C'était retiré de la facture finale, évidemment", dit Jean. Le couple a ensuite pris la main pour la suite des travaux. "Au départ on lui donnait une facture d'acompte pour l'achat des marchandises et quand le poste était terminé, on lui faisait une facture de clôture de ce poste-là, plus un acompte sur le poste suivant", raconte-t-il.
Sur le chantier, le climat est devenu de plus en plus tendu entre l'entrepreneur et son client. "Chaque fois qu'on le voyait venir, on se disait 'qu'est-ce qu'il va nous reprocher'. Parce qu'il avait toujours quelque chose à dire", raconte Jean. "La tension était permanente avec ce monsieur-là. On se sentait vraiment mal", confie-t-il.
Stéphane s’inquiétait de ne pas voir se concrétiser sa terrasse alors qu’il avait réglé de nombreuses factures. Il s’est montré particulièrement soucieux que les ouvriers n'abîment pas sa pelouse, mais a jugé qu'elle l’a tout de même été. Jean estime pourtant s'être donné beaucoup de mal pour respecter cette consigne : "On a transporté les 600 dalles entre des couvertures sur la brouette pour ne rien abîmer. Pour vous dire à quel point on était minutieux".
L’entrepreneur et son client n’ont pas trouvé d’accord sur le solde des travaux à facturer
D'octobre 2017 à avril 2018, 9 factures ont été émises pour un total de 31.507 euros. Fin 2017, Stéphane a fait plusieurs versements "de main en main" pour un montant de 6440 euros. Comme nous l'a confirmé l'avocat de Jean, il s'agissait de "black", du travail non déclaré donc. Néanmoins, Stéphane a pris la précaution de demander à la femme de Jean de signer des papiers attestant chaque versement.
"Il a toujours payé, jusqu'à l'avant-dernière facture. Tout était terminé. Le stabilisé était installé, il n'y avait plus que les dalles à poser. Là, il a commencé à tiquer", raconte Jean. Le prix des dalles a suscité d'âpres discussions, Stéphane estimant que Jean se réservait une marge trop importante. L'entrepreneur a tout de même terminé le travail et envoyé un courrier à son client pour lui réclamer le règlement des deux dernières factures, soit un montant de 5261 euros.
Je lui reprochais de nous prendre pour des esclaves
"Quand il s'est agi de faire la facture de clôture, le client lui a dit "Je te verse autant et on en reste là. Jean a dit 'non, moi j'ai déjà calculé tout assez juste", affirme l'avocat de Jean.
Les négociations finales n'ont pas abouti. Jean et Stéphane se sont mis en colère pour de bon. "Je lui reprochais de nous prendre pour des esclaves. On ne pouvait pas utiliser de machines pour éviter d'abîmer ses pelouses. Je lui reprochais de ne pas laisser des toilettes à disposition alors que sur un chantier c'est obligatoire", raconte Jean.
Le tribunal a constaté que les versements étaient supérieurs aux factures
S'estimant lésé de 5261 euros, Jean s'est adjoint les services d'un avocat et a assigné Stéphane en justice pour le règlement des travaux : 5.261 euros, qui selon lui, correspondaient aux deux dernières factures. Ce qu'a contesté l'avocat de Stéphane lors d'un premier procès au Tribunal de première instance de Liège. Stéphane a demandé à l'entrepreneur une somme de 1.778 euros, correspondant, selon lui, au "trop perçu" dans le cadre des travaux, ainsi que différentes sommes (dommages et intérêts indemnités de procédure...).
Celui qui réclame quelque chose doit démontrer qu’il est en droit de le réclamer
Puisque Jean a émis des factures pour un montant de 31.507 euros et que Stéphane a pu prouver, non seulement ses virements bancaires, mais aussi l'argent versé "de main à main", pour un montant total de 32.685 euros, le tribunal n'a pu que constater la différence. Toutefois, il a décidé "de laisser une chance" à Jean, raconte son avocat. La juge a effectivement invité Jean à "facturer de manière précise les travaux qui ne l'ont pas encore été, puis, ensuite, de soumettre le litige au tribunal en cas de non-paiement".
"La manière dont les tribunaux règlent le problème est toujours logique. Celui qui réclame quelque chose doit démontrer qu’il est en droit de le réclamer. Si on vous réclame quelque chose, vous n’avez pas à prouver que vous ne le devez pas", explique Benoît Rousseau, directeur juridique du SDI (Syndicat des indépendants).
Jean perdant "sur toute la ligne"
Le 21 janvier, Jean a donc émis une nouvelle facture. Trop tard. "L'adversaire a senti intelligemment qu'on allait probablement avoir une décision favorable et donc il a fait appel tout de suite pour ne pas prendre ce risque", raconte l'avocat de Jean.
Moins compréhensive que le tribunal de première instance sur la question du travail au noir, la cour d'appel a jugé "non fondée" la demande originelle de Jean. Sa nouvelle facture a été ignorée, car paraissant "avoir été émise pour les besoins de la cause".
Jean aurait souhaité que la justice s’en réfère aux prix indiqués sur son devis. Mais la cour d’appel a constaté que le devis avait fait l’objet de plusieurs aménagements. Les factures de certains postes (pavage, empierrement et fondations) étant moins élevées que les prix annoncés dans le devis, elle a donc estimé que ces "fluctuations" ne permettaient pas de se fonder sur ce document pour déterminer le prix de l’entreprise.
La cour d’appel a condamné Jean à payer 1.178 euros, c’est-à-dire la somme présentée comme un "trop perçu" par Stéphane. En réalité, le bilan financier de cette affaire est bien plus lourd pour Jean. Il doit rembourser les frais de justice de Stéphane, soit 2.180 euros, et payer un "droit de mise au rôle" de 400 euros à l’État belge, indique-t-il. Il s’agit d’une taxe pour couvrir le coût de l'ouverture du dossier auprès du tribunal. Outre ces sommes, Jean a dû payer ses propres frais d’avocat : 1815 euros.
Selon lui, si on additionne ce qu’il estime que Stéphane lui doit et ce qu’il doit finalement lui payer, Jean estime avoir perdu 10.000 euros. "Il y en a un qui gagne sur toute la ligne, à savoir la partie adverse, alors qu'il était responsable à 50% aussi des versements en liquide", regrette l’avocat de Jean. "C'est pas normal que ce soit le client qui décide du prix qu'il veut bien payer et en plus qu'on lui donne raison. Monsieur a eu son travail bien terminé tandis que nous, on est lésés sur toute la ligne", déplore l’entrepreneur, amer.
"Le problème se résume à une question de preuves"
"Beaucoup de professionnels sont habiles, efficaces, compétents dans leur travail mais n’ont pas trop l’esprit administratif", remarque Benoît Rousseau. "Souvent, les gens sont de bonne foi mais le problème se résume à une question de preuves. Est-ce que le client a accepté telle chose, a demandé telle autre chose… Est-ce que l’entrepreneur a bien dit que tel changement coûterait autant ? Ce qu’on recommande, c’est de toujours confirmer par écrit tout ce qui est commandé et tous les petits changements".
Stéphane, que nous avons interviewé, n’a finalement pas souhaité que l’on rapporte ses propos dans cet article.
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