Une jeune Carolo a été piégée par un escroc français dans une arnaque assez classique utilisant de la monnaie virtuelle. Les 600€ perdus par Jessie, "toutes mes économies", sont pourtant bien réels…
RTL info pourrait consacrer une rubrique entière aux arnaques en ligne. Malgré nos efforts de prévention à l'encontre de toutes les transactions financières sur internet, de nombreuses personnes sont encore victimes d'escrocs agissant, vous allez le voir, en toute impunité.
Jessie a contacté la rédaction de RTL info via la page Alertez-nous pour nous faire part de son désarroi. Pensant acheter deux perroquets pour offrir à son compagnon en guise de cadeau d'anniversaire, elle s'est fait manipuler par un faux vendeur basé en France, qui est parvenu à lui soutirer la somme de 600€, via des codes de crédit à dépenser en ligne baptisés paysafe card.
Après "le stress" durant la prétendue transaction, elle a "fondu en larmes" avant d'être "très énervée" contre ceux qui l'ont menée en bateau. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase: les policiers qui ont acté sa plainte lui ont "rigolé au nez". Voici son histoire qui aura le mérite, espère Jessie, de "servir de leçon et d'éviter que d'autres personnes se fassent avoir". Suivie de nos conseils, au bas de l'article, pour éviter pareille mésaventure.
La photo de Zippy et Kikki reçue par Jessie
Des perroquets sur 2emain.be
C'est en février dernier que tout a commencé. Jessie, 19 ans, souhaite offrir à son compagnon Grégory un perroquet.
Après quelques recherches sur internet, elle tombe sur une annonce du site 2ememain.be. "Au départ, on ne voulait qu'un seul perroquet, mais l'annonce parlait de deux perroquets Ara ararauna (une belle espèce bleue et jaune, NDLR)".
Ce qui a attiré l'attention de Jessie, c'est "le prix", très intéressant: "les autres annonces étaient plus chères".
575€, cage comprise
Le vendeur est "une dame, basée à Londres", qui voyage beaucoup et veut confier ses précieux perroquets, Zippy et Kikki, à un nouveau foyer. Le site 2emain.be ne sert que d'entremetteur entre un vendeur et un acheteur, qui se mettent en contact via différents canaux (email, téléphone, messagerie instantanée).
Cette "dame basée à Londres", répondant au nom atypique de Cynthia Zimmer, communique avec Jessie par email dans un premier temps.
La vendeuse se montre bonne commerçante. Au lieu des 2 x 300€, "elle voulait 575€ et nous offrait la cage". De quoi mettre Jessie en confiance.
Au téléphone, c'est un homme "avec un accent spécial"
Les perroquets étant basés à Londres, la vendeuse dit à Jessie qu'un envoi spécial par avion est nécessaire. Un prétendu service de livraison spécialisé prend alors contact avec elle, par email.
Un long email explicatif est envoyé (voir ci-contre), avec une procédure de livraison spéciale assez compliquée, et une mise en page assez déroutante. Dans l'email, un numéro de téléphone.
Jessie est du genre pressée et préfère régler les choses de vive voix. Elle appelle tombe "sur un homme parlant très mal le français, avec un accent spécial", du "petit français".
Cette habitante de Charleroi ne se formalise pas. Même si "elle trouve cela un peu étrange de ne pas pouvoir communiquer au téléphone avec la dame" qui lui a vendu initialement les perroquets, elle accepte de poursuivre la transaction avec ce 'transporteur'...
Jessie doit payer en 'paysafe card'
Au lieu de payer directement la vendeuse, Jessie doit finalement payer directement le transporteur. Pour couvrir les frais d'envoi, le vendeur demande de se faire payer une partie à l'avance, via des 'paysafe cards'. Pour rassurer Jessie, un email, avec d'autres photos d'illustration d'animaux prenant l'avion, contient la liste des points de vente de ces fameuses 'paysafe cards' à proximité de l'adresse de Jessie (Charleroi).
Si comme Jessie, vous ne "connaissiez pas du tout" le concept, en voici une courte explication.
Une 'paysafe card' est un moyen de paiement dématérialisé assez classique: de l'argent contre un code. Elle est disponible dans 500.000 points de vente physiques répartis dans 43 pays. On peut en trouver dans nos Colruyt et nos librairies.
Concrètement, vous achetez des tickets comprenant un 'code PIN' (une série de chiffres) d'une valeur de 10, 25, 50 ou 100€:
La photo des coupons, que Jessie a envoyée par email
Ces codes peuvent être utilisés sur de très nombreux sites partenaires pour créditer un compte, qu'il s'agisse de jeu vidéo (télécharger des jeux sur le PlayStation Store), de sites de rencontres, de réseaux sociaux, de services de streaming (s'abonner à Spotify), de téléphonie en ligne (VoIP, pour appeler l'étranger) et enfin de paris sportifs (créditer son compte Unibet, Circus.be, etc…).
Les 'paysafe cards' sont de la monnaie virtuelle, qu'on ne peut donc pas transformer en cash, mais qui peut être utilisée sur de nombreux sites web, certains étant connus, d'autres moins.
Vous allez le voir, contrairement à ce que son nom indique, ces 'cartes' n'ont rien de "safe" (qui signifie "sûre", ou "sans danger" en français).
Elle paie pour que le transporteur "mette les animaux dans l'avion"
Jessie se rend donc dans une librairie pour "acheter 6 paysafe cards de 100€" le jour même. Le transporteur, par téléphone, lui demande d'envoyer tous les codes PIN des cartes, prétendant être "sur le point de mettre les animaux dans l'avion".
Il "râle" se montre "assez insistant" par téléphone. Prudente mais pressée de conclure la transaction, Jessie accepte finalement de payer la moitié à l'avance. Un compromis accepté par le vendeur. "J'ai donc envoyé trois codes PIN de cartes à 100€", par email.
En contrepartie le transporteur "envoie par email un plan de vol" (des horaires et des noms de villes…), ce qui "a un peu rassuré" Jessie. A nouveau, la mise en page et les illustrations sont assez grossières :
Un perroquet au lieu de deux
Alors que Jessie pensait la partie gagnée, celle-ci prend une tournure suspicieuse. "Le vendeur a fait tout d'un coup marche arrière", disant à Jessie que pour 300€, il n'y aurait qu'un perroquet, alors que la transaction en stipulait deux.
Le vendeur veut en réalité immédiatement les trois autres codes PIN des 'paysafe cards'. Jessie, à ce moment, ne veut pas croire à l'arnaque.
"J'étais stressée, il a tellement insisté, et comme j'avais déjà payé la moitié, j'ai cédé… Je voulais vraiment ce cadeau d'anniversaire pour mon compagnon".
Jessie vient donc de donner 600€ au vendeur, et espère être au bout de ses peines.
Les perroquets sont "coincés à Berlin", il faut payer 700€ de plus: Jessie comprend enfin…
Hélas, ce n'est que le début du cauchemar. Quelques heures plus tard, le vendeur reprend contact avec notre jeune Carolo pour lui soumettre un problème bien alambiqué.
"Il me dit qu'il n'a pas su trouver un vol Londres – Bruxelles, et qu'il a du les envoyer en Allemagne. Mes perroquets sont coincés à Berlin, et il me dit qu'il faut envoyer 700€ de plus pour qu'ils puissent rejoindre Bruxelles". Dans un email que nous avons pu lire, le transporteur évoque la nécessité de vacciner et d'avoir des papiers en règle pour les animaux.
Le franc de Jessie tombe. Son château de carte s'effondre, tout comme son rêve d'offrir le cadeau d'anniversaire idéal à son compagnon. Depuis le début, elle est menée en bateau par une seule et même personne, un prétendu transporteur, parlant en "petit français" basé en France (le numéro de téléphone commençait par 0033). Sans doute l'homme qui se faisait passer, sur Facebook (le faux profil était devenu ami avec Jessie…), pour une certaine Cynthia Zimmer de Londres, vendeuse de deux bébés perroquets sur 2emain.be.
C'est la douche froide. "J'y avais mis tout mon argent, toutes mes économies", nous a expliqué Jessie, 19 ans, qui "vient de commencer à travailler".
La police se moque d'elle
"J'ai été détruite, j'ai fondu en larmes… j'étais tellement énervée, j'aurais pu m'en prendre physiquement à eux, s'ils avaient été devant moi".
Le lendemain, à juste titre, elle se rend à la nouvelle tour de police de Charleroi pour déposer une plainte. Comme si son malheur ne suffisait pas, elle a du faire face "aux moqueries" des agents.
"En écoutant ma plainte, ils m'ont rigolé au nez… Je leur ai dit que j'étais contente que ça les fasse rire". Jessie parvient à déposer une plainte officielle, mais les policiers lui disent immédiatement que l'affaire sera classée sans suite, que cela demanderait trop de moyens pour récupérer une somme de 600€.
Ce qui agace Jessie. "J'avais un email, un numéro de téléphone, un compte Facebook et même l'adresse IP de l'appareil qui a servi à envoyer les emails (un ami m'avait aidé à la trouver)… mais malgré tout, la police ne sait rien faire".
En effet, une enquête de policiers spécialisés de quelques heures pourrait localiser l'appel ou le lieu de l'envoi des emails, et avec la collaboration de 'paysafe card' (c'est possible, voir plus bas), il serait possible de lier l'utilisation des codes PIN à des identifiants, et au final de mettre la main sur les arnaqueurs.
Mais tout est une question de moyens. Nous avons déjà pu en discuter avec un inspecteur de police lors d'un article similaire: aucun magistrat ne mettrait sur pied une équipe franco-belge afin de mener l'enquête.
L'arnaqueur la rappelle alors qu'elle est... à la police
Jessie a eu d'autant plus de mal à se faire une raison que lors du dépôt de sa plainte, l'arnaqueur l'a encore appelée pour lui demander l'envoi des 700€, prétendument nécessaires à l'envoi des perroquets de Berlin à Bruxelles.
"J'ai même passé le téléphone à un policier pour qu'il constate lui-même… il lui a dit d'arrêter".
Cela montre l'impunité totale de ces arnaqueurs qui connaissent les risques extrêmement limités de leur technique. Une fois qu'ils ont les codes PIN, le tour est joué. Mais ils en veulent toujours plus.
Durant le reste de la journée, Jessie a encore reçu quelques emails et quelques contacts via Facebook. L'arnaqueur "a même menacé de porter plainte si je ne payais pas". Tout s'est achevé "quand elle a cessé de répondre".
Sécurisé, vraiment ?
PaySafe se justifie: "C'est pour assurer la confidentialité financière"
Si l'on sait ce que pourrait faire la police (si elle en avait les moyens), il est intéressant de se tourner vers les deux autres acteurs de cette triste histoire: 2ememain.be et PaySafe.
Nous avons contacté PaySafe, une société autrichienne qui gère les 'paysafe card' utilisées par Jessie. "Payer avec des paysafe cards ne demande pas d'entrer la moindre donnée personnelle, que ce soit un compte bancaire, une carte de crédit ou une identité. Cela permet à la sphère de confidentialité financière de l'utilisateur d'être protégée en toute circonstance", nous a expliqué Michaela Unger, la responsable de communication.
Elle reconnait que "comme tous les moyens de paiement, du cash à la carte de crédit, les paysafe cards peuvent être la cible de fraudeurs". Il y aura toujours, selon elle, "des brebis galeuses de l'internet, essayant d'obtenir des PIN paysafecard".
Me Unger rappelle que "la fraude n'arrive que si les consignes de sécurité ne sont pas respectées". Sur cette page du site paysafecard (qui existe en version belge francophone), il est bien stipulé de "ne jamais transmettre un code PIN par email ou par téléphone".
Jessie, comme la plupart du grand public, ne connaissait pas les paysafe cards, et n'a pas pris la peine de se renseigner avant d'utiliser cette méthode de paiement.
Une méthode qui peut s'avérer utile au niveau de la confidentialité, mais dont le revers de la médaille est le parfait anonymat des fraudeurs potentiels.
"Pour protéger les consommateurs contre les arnaques, paysafecard collabore avec les autorités compétentes, et le cas échéant, fournit des informations utiles", nous a assuré Michaela Unger. Encore faut-il qu'une enquête soit mise sur pied…
Mais une fois que le code PIN malencontreusement communiqué à un arnaqueur est utilisé, il n'est plus possible de se faire rembourser. "Nous travaillons sans relâche à la prévention, répétant qu'un code PIN de paysafecard est à considérer et manipuler comme de l'argent liquide".
De la prévention sur 2ememain.be
Sur 2ememain.be, la situation est complexe. Le site se veut très "très simple, accessible et facile pour tout le monde", nous a expliqué Petra Baeck, la porte-parole du site qui sert avant tout, rappelons-le, à mettre en relation acheteur et vendeur. Cette facilité d'inscription et d'utilisation permet hélas à n'importe qui, y compris l'arnaqueur au perroquet de Jessie, de s'inscrire et de mettre des fausses annonces. Une adresse email suffit...
Sur "les 6 millions de visiteurs mensuels", 2ememain.be reçoit "en moyenne 100 plaintes par mois" signalant plus largement "un problème de transaction".
Pour le site, "même si chaque arnaque est une de trop, en terme de pourcentage, cette moyenne est relativement faible". Il n'y a pas eu de croissance du nombre de plaintes ces derniers mois.
Sa lutte contre les arnaques se concentre sur la prévention, à l'image de cette page de 'Conseils pour les acheteurs', sur 2ememain.be. "Nous mettons constamment notre page d'aide et nos blogs à jour afin d'éduquer et d'informer au mieux nos visiteurs contre les pratiques frauduleuses", nous a expliqué Petra Baeck.
A cela s'ajoute "les nombreux e-mails que nous échangeons de manière journalière avec nos visiteurs pour les mettre en garde contre la fraude".
Pour seule sanction, le site de vente de seconde main appartenant à eBay supprime un vendeur signalé, "et collabore avec la police" le cas échéant. Mais à nouveau, il faut qu'il y ait une enquête ouverte...
Si on comprend la position de 2ememain.be, on peut regretter qu'il n'y ait toujours pas d'identification poussée: pourquoi ne pas obliger le vendeur à s'inscrire avec un lecteur de carte d'identité ? Ou au moins avec une adresse postale vérifiée ?
Quant à Jessie, on ne l'y reprendra plus. "Mon compagnon continue de faire des recherches sur 2ememain.be, mais dès qu'il regarde, je dis NON ! Moi, ça m'a dégoûté, je me méfie de 2ememain.be, et je ne fais plus de commandes en ligne. Et les cartes prépayées de type paysafe, c'est également terminé".
Pour éviter de vivre la même mésaventure que Jessie, il y a des conseils très simples à suivre. Reprenons les signes qui auraient dû attirer l'attention de Jessie.
L'annonce était nettement moins chère que toutes les autres. C'est un signe évident, il n'y a pas de miracle, les prix sont les prix. S'il y a 20% de différence, ça va. S'il y a 60 ou 70% de différence, il s'agit sans doute d'une fausse annonce ou d'une arnaque. C'est comme avec une voiture d'occasion.
Ensuite, si votre interlocuteur n'est pas clairement identifié (une femme basée à Londres par email, puis une homme pour le service de transport spécialisé par téléphone, qui plus est avec un numéro français), méfiez-vous également.
Les emails reçus par Jessie auraient également du éveiller des soupçons. Le service de transport affichait une adresse Gmail, réservée la plupart du temps aux particuliers: transport.animaux.livraison@gmail.com. Le contenu de ces emails, avec des photos d'illustration ridicules et une mise en page grossière, est également très suspicieux. On se rend compte que c'est un email générique, dans lequel les noms et adresses de Jessie ont été ajoutés...
Quant au nom et au profil Facebook qui ont servi pour une partie des échanges, c'est un détail mais il doit mettre la puce à l'oreille: Cynthia Zimmer dans les emails s'est transformée en Marilyn Mortelette Cynthia Zimmer sur le réseau social. Cela ressemble fort aux faux noms occidentaux servant pour les faux profils Facebook.
Ne faites jamais confiance à quelqu'un qui demande à être payé via des codes ou des cartes de monnaie virtuelle. C'est un signe que la personne ne veut laisser aucune trace de la transaction.
Si votre interlocuteur parle ou écrit dans un français très approximatif, méfiez-vous également. De nombreux arnaqueurs opèrent à partir des pays africains francophones, où ils sont pratiquement intraçables.
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