Mis en place pour augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs tout en les encourageant à acheter "durable", les écochèques ne sont pas spécialement populaires. Plus difficiles à écouler que les chèque-repas, ils seraient parfois acceptés par des grandes enseignes pour des achats qui n'ont rien d'écologique. "Choqué" par ce qu'il a vu, un témoin affirme avoir réagi dans le magasin, avant de nous contacter.
Les écochèques existent depuis une dizaine d'années en Belgique. Leur but est double: donner plus de pouvoir d'achat non taxable aux travailleurs, et favoriser les comportements écologiques (voir la liste des produits et services dans ce fichier PDF). D'après les derniers chiffres que nous avons pu obtenir, entre 2013 et 2018, la valeur totale d’écochèques émise est passée de 182 millions d’euros à 256 millions d’euros. Aujourd’hui, on compte plus de 1,6 million de bénéficiaires dans notre pays.
Pour beaucoup, cependant, on est passé à côté du truc: mal utilisés, ils ne contenteraient ni les bénéficiaires ayant parfois du mal à les écouler, ni les écologistes qui dénoncent des abus. En 2017, il a même été question de les supprimer (les libéraux flamands de l'Open-VLD voulaient particulièrement leur peau, au profit d'un surplus net de salaire). Mais, deux ans plus tard, la décision est toujours en suspens.
Si on en parle aujourd'hui, c'est parce que Cédric veut pousser un coup de gueule suite à ce qu'il a constaté. "En pleine prise de conscience du grand public par rapport aux enjeux climatiques", il a assisté, "médusé", à une scène au MediaMarkt du centre commercial Dockx, à Bruxelles. Il déclare avoir surpris un vendeur proposant à une dame une entourloupe pour accepter ses écochèques afin d'acheter une console de jeu.
"J'allais demander des infos pour un jeu vidéo"
Au début du mois de février dernier, Cédric se rend dans la fameuse enseigne de produits électroniques pour acheter un jeu vidéo. "C'était un samedi. Je me suis mis dans la file du stand info, car je cherchais un jeu en particulier. Et devant moi, il y avait une dame qui voulait acheter une console de jeu pour son gamin".
Une scène jusque-là très banale. Jusqu'à ce que la dame pose une question au vendeur. "Elle lui a demandé si elle pouvait payer avec des écochèques". Comme on va le voir plus bas, les écochèques sont réservés à l'achat de biens ou de services ayant un bienfait pour l'environnement. Par exemple, dans une enseigne comme le MediaMarkt, un appareil électroménager particulièrement peu gourmand en électricité ou en eau.
"Le vendeur lui répond alors que c'est possible, mais qu'il faut le faire en deux fois. Dans un premier temps, elle va acheter une machine à laver au même prix que la console, avec les écochèques. Puis le vendeur va dépointer la machine, et rembourser la dame en bon d'achat, qu'elle utilisera pour la console".
Cédric réagit: "Le vendeur m'a regardé méchamment"
Quelques jours avant d'assister à cette scène, Cédric avait "marché dans les rues de Bruxelles en faveur du climat", aux côtés des milliers de personnes. "Quand la dame a demandé si c'était vraiment possible de faire ça, je n'ai pas pu m'empêcher de dire: 'Non, c'est parfaitement illégal'. Le vendeur m'a regardé méchamment, du coin de l'œil".
La transaction a sans doute eu lieu par la suite. Notre témoin était "complètement choqué" par ce qu'il venait d'entendre. "C'est n'importe quoi. On détourne un système mis en place pour favoriser des appareils plus écologiques".
Il a voulu porter plainte sur le site, mais il n'a trouvé aucun endroit pour son témoignage. C'est à ce moment qu'il a contacté la rédaction de RTL info.
Du côté de MediaMarkt, c'est plutôt l'incompréhension. "Tous les vendeurs connaissent et suivent les règles. On insiste très fort sur le respect des consignes, et on le fait", nous a répondu la porte-parole.
80% des commerçants contrôlés respectent les règles
Nous avons contacté VIA (Voucher Institute Association), qui représente les intérêts des entreprises émettrices de titres prépayés en Belgique, à savoir Sodexo, Edenred et Monizze.
L'association a commencé par nous rappeler "les objectifs visés par l'écochèque: l’octroi de pouvoir d’achat supplémentaire aux travailleurs ; l’incitation des consommateurs à effectuer des achats durables ; le soutien au commerce belge".
Timing parfait: l'an dernier, VIA a mené des enquêtes dans des magasins pour contrôler l'acceptation des écochèques. "Après une période d’information et de sensibilisation des commerçants, une campagne de mystery shopping a été menée (à la demande du Conseil National du Travail)", nous a expliqué Jean-Yves Daxhelet, porte-parole de VIA. "80% des commerçants contrôlés respectaient la liste de produits pouvant être achetés avec des écochèques". Ceci signifierait qu'un commerçant sur cinq ne respecte pas les règles d'achats liées aux écochèques. Le résultat est jugé "satisfaisant" par la fédération.
A la suite de ces contrôles, VIA a poursuivi "différentes actions d’information à l’attention des commerçants et des bénéficiaires d’écochèques".
Test-achats prône une refonte du système
Test-achats, l'organisme de protection des consommateurs, estime que "le système des écochèques tels que nous les connaissons actuellement doit être repensé. La préoccupation écologique initiale était noble, mais les écochèques tels que nous les connaissons actuellement ne sont probablement pas la bonne façon d’y parvenir", peut-on lire dans un dossier publié il y a quelques temps.
D'après Test-achats, "on ne sait pas toujours clairement quels sont les produits ou les services" concernés par les écochèques, et "aucun label ne permet de les identifier de manière systématique". Enfin, "le fait que les chèques aient une durée d’utilisation limitée dans le temps est également un inconvénient".
Au final, l'organisme de défense de consommateurs précise qu'il soutient "une politique visant à stimuler les achats respectueux de l’environnement", mais que "une réflexion approfondie s’impose au sujet d’une éco-fiscalité cohérente et efficace".
La suppression des écochèques pourrait être remise sur la table des négociations par les nouvelles majorités, après les élections du mois de mai prochain.
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