Une commande passée et payée, mais pas de livraison: c'est le coup classique de certains faux sites marchands en France, qui restent pourtant actifs et accessibles plusieurs mois, malgré les plaintes. Celles-ci, vous allez le voir, sont généralement classées "sans suite" et ne servent donc à rien…
Environ tous les mois, nous sommes sollicités par des lecteurs qui nous font part d'une mauvaise expérience lors d'un achat en ligne.
Il semble qu'à chaque fermeture d'un site marchand malhonnête, deux nouveaux prennent le relais…
Lillo vient de perdre une somme importante en commandant un produit sur un site français de (pseudo) vente en ligne, qui s'appelle l-electromenager.fr. Et comme vous l'avez compris, rien ne s'est passé comme prévu.
"Une hotte à 1.313 euros"
"J'ai commandé une hotte d'une valeur de 1.313 euros. Après deux mois, pas de nouvelle de ma commande. Impossible de contacter le vendeur, et impossible de leur écrire faute d'adresse valable", nous a raconté cet habitant d'Hornu, après nous avoir contacté via la page Alertez-nous.
C'est le coup classique, hélas. Le site fonctionne très bien lorsqu'il s'agit de commander et de payer. Mais dès que c'est fait, pas de nouvelle, pas de suivi de la commande, etc.
Après plusieurs mois d'attente, Lillo s'est fait une raison. "Il est impossible de contacter le vendeur (le numéro de téléphone est en dérangement, nous avons essayé, NDLR), et il est impossible de leur écrire, faute d'adresse valable".
Après sa commande, il a répondu aux emails de confirmation envoyés par le site. "Le suffixe de leur email est 'cmonelectro.fr'. On retrouve ce nom sur d'autres forums évoquant des arnaques. J'ai essayé de leur écrire via mail et je reçois une réponse écrite par un robot".
Se limiter à des sites connus
Le plus important dans le commerce en ligne, et on ne le répétera jamais assez, c'est de se limiter à des sites marchands connus et fiables.
Dès que l'on quitte les sites des grandes enseignes belges qui vendent en ligne (MediaMarkt.be, Vandenborre.be, Krefel.be, etc…), c'est un peu la jungle… Le plus prudent serait de se contenter d'Amazon.fr, qui est pratiquement irréprochable - sauf lorsqu'il sert d'intermédiaires à d'autres vendeurs (et encore, il est vigilant et intraitable avec eux).
Mais ça vous priverait de centaines de sites qui travaillent correctement, même s'il est parfois difficile de les identifier.
Comment faire pour détecter les sites louches ?
Si vous ne connaissez pas le site marchand qui propose le produit de vos rêves, il y a plusieurs reflex à avoir en tête.
Tout d'abord, inspectez le site lui-même. A quoi ressemble-t-il ? Si on prend le cas de l-electromenager.fr, il y a plusieurs indices du côté très 'amateur' du site. Les graphismes du 'titre' de la page sont très basiques (par exemple, il y a différentes polices utilisées dans une même zone, voir photo), les textes descriptifs sont mal écrits, les catégories très disparates…
Allez également voir la page "Qui sommes-nous?", pour voir s'il y a des détails sur la société qui se cache derrière un nom de site aussi générique que l-electromenager.fr (une adresse, un 'vrai' numéro de téléphone, etc). En l'occurrence, il n'y a qu'un texte mal écrit, qui ne fait que vanter le site, sans donner aucun nom.
Enfin, il est indispensable, au moindre doute, de taper le nom du site suivi de 'avis' dans Google. Il existe de nombreux sites d'avis de consommateurs, surtout en France, qui recensent les e-commerçants et préviennent des fraudeurs.
C'est ce qu'a fait Lillo, mais il était trop tard. "Après une petite enquête sur les forums, j'ai découvert que cela dure depuis plusieurs mois", nous a-t-il confié.
De plus en plus malin
Après quelques recherches sur internet, on s'aperçoit en effet que les arnaqueurs derrière l-electromenager.fr n'en sont pas à leur premier (mauvais) coup.
En réalité, ils créent régulièrement de nouveaux sites en changeant simplement le nom: "Electromarque.com, Top-marques.fr et Designere.fr sont trois sites de vente en ligne qui appartiennent au groupe BJ IMMO une société spécialisée dans les placements immobilier à la réputation peu reluisante (l'unique contact du site l-electromenager.fr est par ailleurs 'service-client@BJdistribution.com', NDLR)", selon le site Le Bon Plan.fr. Ils ne prennent même pas la peine de modifier les graphismes, qui restent toujours aussi mauvais :
C'est qu'ils sont de plus en plus malins: dès que leur site a été signalé par plusieurs clients arnaqués, ils changent de nom de domaine. Ils prennent également la peine d'intégrer de faux "codes de réduction" pour donner l'impression au visiteur qu'il fait vraiment une bonne affaire, et rédigent également de faux avis positifs.
Si jamais vous tombez dessus, faites également attention à jouet-jeux.fr. On y trouve tout et rien, du poêle à bois aux produits d'entretien, en passant par quelques jouets…
Mais derrière ces "sites vitrines" grossièrement réalisés, qui doivent immédiatement vous mettre la puce à l'oreille, il n'y a que du vent, et un numéro de téléphone de contact similaire (qui ne fonctionne donc pas).
Bref, une accumulation de sites d'arnaques qui coexistent avec des URL françaises. C'est le mauvais côté de la liberté du web…
Pourquoi ces sites frauduleux ne sont-ils pas fermés ?
Lillo déplore surtout que "après des dizaines de plaintes, le site fonctionne toujours… je trouve cela inadmissible". Il a tenu à nous livrer son témoignage pour "que ça n'arrive pas à quelqu'un d'autre".
La question que tout le monde se pose est effectivement la suivante: comment est-il possible que des sites, facilement identifiables comme douteux ou frauduleux, soient encore aussi nombreux en France ? Comme souvent, c'est une question de moyens et de procédures.
Depuis de nombreuses années, les Centres Européens des Consommateurs (CEC, un dans chaque pays de l'Union) sont en charge de coordonner les litiges commerciaux transfrontaliers. Mais comment fonctionnent-ils ?
"Si nous constatons plusieurs plaintes envers un site ou une société, nous constituons un dossier et nous le transmettons au SPF Economie", nous a expliqué William Matgen, juriste au CEC Belgique.
Dans le cas de Lillo, à supposer que le CEC Belgique reçoive plusieurs plaintes similaires, notre SPF devrait ensuite faire suivre ce dossier à la DGCCRF, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui dépend du Ministère de l'Economie en France.
Qui elle, après enquête, pourrait à son tour demander à la justice française d'ordonner la fermeture des sites frauduleux, et infliger une amende aux responsables. Une procédure très lourde, qui implique plusieurs administrations souvent surchargées, dans plusieurs pays.
Utiles, les plaintes auprès de la police locale ?
Lillo, de son côté, devrait également porter plainte à la police locale, qui la transmettrait au parquet, qui pourrait décider d'agir en se mettant en relation avec ses homologues français.
Mais le problème, c'est que rien de tout ça n'a de chance d'aboutir à quoi que ce soit. Le premier écueil est au commissariat de police locale où, comme on vous en parlait avec l'expérience de Daniel, les agents ne sont pas toujours réceptifs.
Ensuite, c'est une question de manque de moyens de notre justice. "Concrètement, il y a trop de sites, trop de plaintes…", et les autorités responsables manquent de moyens. "Il y a des priorités au niveau du SPF Economie et Justice, et on sait que les tribunaux sont surchargés…"
En clair: les plaintes arrivent et sont transférées, mais après, elles sont classées sans suite car la justice a d'autres problèmes plus importants à gérer que la hotte de Lillo qui n'a pas été livrée.
On peut le comprendre, mais il est regrettable qu'une petite équipe spécialisée ne soit pas mise sur pied pour s'occuper concrètement, efficacement et rapidement de ce genre de fraudes qui ne va faire qu'augmenter si le "crime" reste impuni…
Si nous avons réussi en quelques heures à déceler et à repérer une série de sites frauduleux opérés visiblement à partir d'une même société, les autorités devraient savoir le faire également, et agir en conséquence.
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