C'est PayPal qui est le premier 'service' sur lequel notre témoin, un indépendant en informatique de 60 ans installé à Wavre, doit faire une croix après 10 ans de bons et loyaux services. L'occasion d'évoquer une espèce en voie d'extinction dans le monde: ceux qui vivent sans téléphone mobile. Un choix pas si fou, vous allez le voir…
Nous sommes en 2020 et la numérisation de notre société semble inarrêtable. Le débat est délicat car s'il y a des avantages indéniables, il y a aussi des inconvénients. On pense souvent au temps consacré (perdu?) aux écrans de nos smartphones, tablettes, ordinateurs et télévision. Des heures, tous les jours, que l'on dédiait auparavant à d'autres activités.
Mais Michel a contacté la rédaction de RTL info pour évoquer une autre dérive de la numérisation galopante des biens (ex.: vidéo à la demande de type Netflix au lieu d'un DVD) et des services (ex.: banque en ligne plutôt qu'au guichet) que nous connaissons: la quasi obligation d'adopter le matériel nécessaire.
Nous avons rencontré Michel à Wavre. Il n'a jamais eu de GSM, ni de smartphone. Et pour la première fois de sa vie, ce choix a une conséquence concrète: il doit renoncer à un service très pratique qu'il utilisait régulièrement: PayPal.
A 60 ans, Michel est développeur informatique: "Je n'ai rien contre les nouvelles technologies"
Contrairement à ce qu'on est tenté d'imaginer, Michel n'est pas un ermite qui vit reclus dans une maison isolée, le plus loin possible des antennes de téléphonie mobile. A 60 ans, il est même assez bien connecté. "J'ai une connexion à internet, je suis souvent devant mon ordinateur car je suis développeur en informatique, c'est mon métier. De plus, nous regardons la télévision via internet également", nous explique-t-il, dans sa maison d'une rue bien remplie, non loin de la gare de Wavre.
Internet rapide, modem/routeur Wi-Fi ("je l'éteins la nuit, car ça consomme de l'électricité pour rien"), décodeur TV: notre témoin est connecté comme beaucoup de citoyens européens. Mais comme on l'a dit, il n'a jamais voulu de la téléphonie mobile.
Tout ce qu'on peut faire avec un téléphone, on le fait mieux avec un ordinateur
"Je n'ai rien contre les nouvelles technologies ! Tout simplement, je n'ai jamais eu besoin de téléphone portable. Ils sont arrivés dans les années 90, ils étaient très chers, certains en Italie par exemple, avaient des faux GSM et faisaient semblant de téléphoner, parce que ça faisait bien", se souvient-il.
"Les années ont passé, j'ai vu des gens qui s'équipaient de smartphones, mais moi j'avais un ordinateur, et tout ce qu'on pouvait et qu'on peut faire avec un téléphone, on le fait mieux avec un ordinateur".
Musique ("j'ai une chaîne hi-fi et des CD"), photographie ("j'ai un vrai appareil photo"): difficile de prendre Michel en défaut par rapport au 'manque' d'un smartphone.
Ce choix ne lui pose-t-il jamais de problème ?
Indéniablement, le téléphone portable a un côté très pratique, qui explique son succès. "C'est vrai que si je me trouve quelque part en balade, et que je dois contacter quelqu'un, ce peut être utile d'avoir un téléphone portable". Au fil des ans, il y a forcément eu des situations de ce genre. "Mais je suis toujours parvenu à trouver un téléphone portable quand j'en avais absolument besoin".
Et au niveau professionnel ? "Mes clients me demandent mon numéro de GSM, mais je dis directement que je n'en ai pas. Et que pour me contacter, c'est sur mon fixe. Généralement, je suis à mon bureau, et je peux répondre. Et quand je n'y suis pas, de toute façon, je ne sais pas les aider. Par exemple, en journée, si je suis chez un client, je ne suis pas disponible pour en aider un autre. Si je décrochais un GSM à ce moment-là, ça fait perdre du temps à tout le monde, et je trouve ça impoli d'interrompre une conversation, un travail, pour rien finalement car je suis occupé".
Tout le monde pendu à son smartphone pendant un souper, "c'est absurde!"
Si Michel n'a rien contre les nouvelles technologies, il n'aime pas trop les habitudes que les gens ont prises depuis qu'ils ont sans cesse un téléphone en poche. Avec un GSM, ça ne sonnait que pour un appel ou un message. Avec les smartphones, il y a des dizaines de raisons d'être interrompu, ou tout simplement de vouloir faire, lire ou regarder quelque chose, n'importe où, n'importe quand.
"Moi, j'ai connu les années 80, quand on se retrouvait ou qu'on mangeait ensemble, on était tout entier disponible pour les gens qui étaient là. Maintenant, tout le monde est à table avec le téléphone, et passe son temps à être en contact avec d'autres personnes. C'est absurde: pourquoi les gens se rencontrent-ils encore, alors ?"
Des paroles pleines de bon sens, qu'il est nécessaire de répéter. Tout en gardant la tolérance de Michel. "Les gens sont libres d'avoir un GSM ou de ne pas en avoir, de l'utiliser beaucoup ou de l'utiliser peu".
On veut protéger le consommateur, et c'est bien, mais on m'a enlevé un outil très précieux
PayPal, son premier "renoncement"
"Mais ce que je n'aime pas, c'est quand dans la société, des lois ou des tendances nous amènent, nous poussent inévitablement, à plus ou moins long terme, vers une obligation du téléphone portable".
Et d'après Michel, c'est ce qui est en train d'arriver. Effectivement, la récente DSP2 (Directive européenne sur les Services de Paiement, à lire ici) impose entre autre chose une "authentification forte" pour les comptes des utilisateurs européens de services de paiement en ligne. Une authentification forte est une procédure d'identification qui impose au moins deux facteurs d'authentification (exemple: un mot de passe + un SMS, mais ça pourrait être autre chose) indépendants l'un de l'autre.
"C'est le cas de PayPal. J'ai utilisé cette plateforme de paiement pendant des années. C'est très pratique pour faire des achats en ligne sans donner sa carte de crédit. Je chargeais le compte, puis j'achetais des choses sur internet".
Depuis peu, il ne peut plus effectuer de paiement via PayPal sans mettre à jour son profil, en y ajoutant un numéro de téléphone portable. Le but ? Recevoir un SMS lors des prochaines connexions ou lors de certaines opérations, permettant à PayPal de s'assurer que c'est bien Michel qui utilise son compte. C'est donc ce qu'on appelle l'authentification forte, et de nombreuses entreprises, même en dehors des paiements en ligne, y ont recours: Google, Facebook, Nest, Arlo, Microsoft, etc…
"On veut protéger le consommateur, et c'est bien, mais on m'a enlevé un outil très précieux".
Au lieu de fournir un numéro de GSM (celui d'un proche ou de sa famille), Michel a préféré "vider le compte et ne plus l'utiliser". Il regrette le fait que PayPal ne propose pas d'autres facteurs d'identification que le SMS.
Car le texte de loi européenne laisse place à l'imagination:
"L'authentification forte du client, c'est une authentification reposant sur l’utilisation de deux éléments ou plus appartenant aux catégories 'connaissance' (quelque chose que seul l’utilisateur connaît), 'possession' (quelque chose que seul l’utilisateur possède) et 'inhérence' (quelque chose que l’utilisateur est) et indépendants en ce sens que la compromission de l’un ne remet pas en question la fiabilité des autres, et qui est conçue de manière à protéger la confidentialité des données d’authentification".
Va-t-il craquer un jour ?
Quoi qu'il en soit, Michel a renoncé à PayPal. Mais il se rend compte qu'en dehors de ce système de paiement en ligne, il passe parfois à côté de quelque chose. "Par exemple, j'ai voulu utiliser WhatsApp sur un ordinateur, mais là il y a une condition technique, il faut avoir une application et un numéro de téléphone, je le comprends, je ne critique pas. Uber, ça fonctionne pas mal, je l'ai utilisé une fois, mais c'était avec mon fils qui avait l'application".
De plus, il voit "un espèce d'entonnoir" qui, comme expliqué avec PayPal, "va nous imposer de tout faire avec le smartphone". Et "on peut imaginer qu'un jour, ce genre d'authentification forte soit utilisée par l'administration pour payer ses impôts en ligne, etc".
Donc si dans un avenir plus ou moins proche, "on n'a plus la possibilité de fonctionner sans téléphone portable, là ça devient une obligation d'achat d'un téléphone portable, et je serai comme tout le monde obligé d'en avoir un. Ce ne sera pas de gaieté de cœur, mais si c'est jugé nécessaire par une loi…", conclut notre témoin, qui a sans doute encore quelques années devant lui.
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