Notre capitale entend bannir les moteurs thermiques d'ici 2035 à l'intérieur d'un large périmètre. Une décision drastique pour éviter un air malsain, mauvais pour la santé et pour l'environnement. Selon Odile, l'usage d'un nouveau type de diesel mériterait une dérogation. Bruxelles Environnement ne partage pas son avis. On a fait appel à une pointure dans le domaine pour nous éclairer.
Un peu partout en Europe se multiplient les LEZ, acronyme de Low Emissions Zones, en français: zone à faibles émissions. En Belgique, il y a Anvers et Gand, qui concernent moins les francophones. Mais depuis quelques années, il y a Bruxelles, où nous ressentons plus les conséquences.
Odile a contacté la rédaction de RTL INFO récemment, car elle fait partie de ceux qui vont devoir changer leurs habitudes en 2022, quand de nouvelles catégories de moteur deviendront interdites dans la capitale belge. Et elle estime qu'on "nous prend pour des idiots, car ma voiture qui a 16 ans partirait dans un autre pays où elle continuerait à polluer, alors qu'ici je pourrais utiliser un nouveau diesel qui diminue les émissions de CO2 de 90%", nous a-t-elle écrit via le bouton orange Alertez-nous.
Le HVO100, 70% plus cher que le diesel
C'est en lisant un article qu'Odile, 48 ans, a appris l'existence d'un nouveau type diesel en Belgique "dans la presse, après avoir déjà entendu parler de ce genre de carburant". Notre témoin de la région de Waterloo fait référence au diesel HVO100 (Hydrotreated Vegetable Oil) importé en Belgique par l'entreprise finlandaise Neste, spécialisée dans la fabrication de carburant et d'autres solutions chimiques renouvelables.
Ce carburant "est produit à partir de graisse et d’huile végétale hydrotraitée ; sa composition chimique et ses performances sont similaires à celles du diesel traditionnel (il peut donc être utilisé dans toutes les voitures diesel, même les anciennes), mais il est fabriqué sans énergie fossile et permet une réduction des émissions de gaz à effet de serre (CO2e) à hauteur de 90%", explique l'entreprise sur son site web.
Il est disponible dans quelques stations, uniquement en Flandre pour le moment (Q8 Zaventem, Rotselaar et Malines – bientôt Verlaine, Lokeren et Ranst). Autre frein pour le consommateur: le prix de ce carburant, environ 70% plus élevé que le diesel normal, dont le prix en octobre 2021 dépassait 1,6 euro le litre (soit potentiellement 2,7 euros le litre de diesel HVO100).
Odile roule peu avec sa Polo diesel: "Ce serait donc une bonne solution"
Tout le monde ne pourrait pas se permettre de faire 20.000 km par an avec un carburant d'un tel prix. Mais Odile est déjà une citoyenne qui réfléchit à sa mobilité. "J'ai une Polo de 2005, une diesel. Elle a 150.000 km. Elle fonctionne toujours très bien, je suis la première propriétaire".
Ce n'est donc pas le moyen de transport quotidien d'Odile. "J'habite Waterloo, donc je me rends au travail à Bruxelles en train durant la semaine. Mais le samedi, si je veux prendre les transports en commun, mon temps de trajet est multiplié par trois. C'est pour ça que je prends ma voiture".
Roulant peu avec cette voiture, Odile "envisagerait d'aller faire le plein de ce type de diesel" si c'était une alternative au remplacement de sa voiture. Mais ce n'est pas le cas. "J'ai contacté lez.brussels, je leur ai envoyé les informations que j'ai trouvées, mais ils m'ont d'abord répondu qu'ils n'étaient intéressés que par l'électrique, car les autres solutions ne répondaient pas aux besoins…"
Résultat: "Moi, je vais vendre ma voiture. Elle va partir, peut-être en Hongrie ou en Pologne. Et après ? Les pollutions vont s'arrêter par magie à la frontière ? Autant continuer à utiliser une voiture, avec un carburant qui va diminuer drastiquement les émissions, plutôt que de nous forcer à la vendre aux voisins. On nous prend pour des idiots".
Que dit Bruxelles Environnement ?
L'initiative de la zone à basses émissions bruxelloise émane, entre autres, de Bruxelles Environnement, à qui nous avons soumis l'existence de ce carburant HVO100. Son service de communication nous confirme "qu'il n'y a pas de dérogation prévue pour ce type de carburants".
L'organisme se base "sur des études menées dans le cadre de la sortie du thermique", qui "montrent qu'en termes de qualité de l'air, le biodiesel n'apporte rien". Principalement car "le biodiesel nécessite une combustion, et cette combustion est source d'émissions de polluants atmosphériques tels que les NOX et les particules fines, ce qui impacte la qualité de l'air et donc la santé".
Bruxelles Environnement précise de toute façon que "le débat est aussi bien plus large: nous nous dirigeons vers une sortie du thermique (moteurs essence et diesel) à l'horizon 2035. L'objectif est de diminuer drastiquement les émissions de polluants atmosphériques. Pour y arriver, vous le savez, "la LEZ interdit progressivement les véhicules les plus polluants. Un important palier est pour rappel prévu le 1er janvier prochain avec l’interdiction des véhicules DIESEL de type EURO 4. Ce cap est important puisqu’il s’agit de la dernière génération de véhicules diesel qui ne doit pas être équipée d’un filtre à particules". C'est le cas de la Polo d'Odile, qui même avec du biodiesel rejetant peu de CO2 comparé à un diesel normal, émettra d'autres particules dans l'air, dont Bruxelles veut se débarrasser.
Le HVO100 n'est pas du tout du biodiesel, c'est un nom commercial donné à un carburant de synthèse
Tout le monde a tort, selon une professeure d'université
Pour faire l'arbitre, nous avons contacté une pointure dans le domaine: Aurore Richel est docteur en Sciences Chimiques et dirige le laboratoire de biomasse et technologie verte de l'Université de Liège (campus de Gembloux Agro-Bio Tech).
Première correction de sa part dans le débat du jour: le HVO100 n'est pas du biodiesel. Ça commence bien.
Remise en contexte: "Actuellement dans nos pompes, il y a du diesel B7. Il s'agit de diesel de roulage, issu de l'industrie traditionnelle biochimique, qui contient 7% maximum de biodiesel".
On parle de "biodiesel, avec le suffixe bio, donc, pour dire qu'il s'agit d'un produit issu de l'agriculture. Raison pour laquelle, dans les premières publicités sur le biodiesel, on voyait souvent des champs de colza ou de tournesol. En Belgique, pour des questions de prix (ça coûte cher de faire pousser du colza et ce n'est pas la plante qui fournit le plus de matière pour produire du biodiesel), on a commencé à importer de l'huile de palme (responsable de déforestation), matière de choix pour faire du biodiesel. Qui est une matière liquide, assez visqueuse, qui contient des atomes de carbone et d'hydrogène (comme le diesel 'normal'), mais aussi d'oxygène. (C'est un peu technique, mais pour faire simple), quand il y a combustion du biodiesel, on émet moins de dioxyde de carbone qu'avec du diesel. Cependant, on ne peut pas l'utiliser pur dans les moteurs, il est trop visqueux, comme de l'huile de friture, donc on l'ajoute toujours au diesel traditionnel". Sachez également qu'il coûte plus cher à produire actuellement que le diesel traditionnel. Ce n'est donc pas une solution miraculeuse.
Un carburant de synthèse mais qui reste un hydrocarbure
Le HVO100 "n'est pas du tout du biodiesel, c'est un nom commercial donné à un carburant de synthèse, par une société qui s'appelle Neste, et qui est distribué par Q8". C'est "du diesel XTL, ça veut dire qu'on est parti d'une matière autre que du pétrole, et qu'on l'a traitée à très haute température, pour obtenir du carburant de synthèse, qui lui est une molécule qui contient des atomes de carbone et d'hydrogène. C'est le même produit, à peu de choses près, que le diesel de roulage traditionnel. Ça reste un hydrocarbure". Effectivement, "l'entreprise Neste se vante de fabriquer ce carburant à partir d'huile de collecte (par exemple récupérée aux déchetteries). L'avantage, selon eux, c'est qu'il n'y a plus de compétition avec l'agriculture (des terres allouées au colza au lieu du blé, pour faire simple), ni de problématique de déforestation liée à l'huile de palme. On est donc plutôt dans une logique d'économie circulaire, de circuit court, de valorisation d'un déchet. Jusque-là, c'est quelque chose d'assez génial. Mais c'est un hydrocarbure comme le diesel de roulage traditionnel, donc il émet la même quantité de dioxyde de carbone".
C'est quelque chose de pur, il n'y a que des hydrocarbures et pas les impuretés qui pourraient générer autre chose que du CO2
Un gros mensonge, alors, le coup des "90% de CO2 en moins" évoqué par Neste et Odile ? "C'est un argument faux car souvent, quand on compare du carburant, on parle de la phase d'usage. Entre un diesel 'normal' et un diesel de synthèse (comme le HVO100), les émissions de CO2 sont identiques à masse égale, à kilomètre égal", quand il est 'brûlé' par le moteur. "Logique: c'est la même molécule. Là où il peut y avoir des différences, c'est que pour un diesel comme le HVO100, on n'a pas besoin de culture (de colza, par exemple), ni d'extraire du pétrole du sol. Dès lors, c'est sans doute une économie de CO2 sur toutes les étapes en amont".
Du CO2 oui, mais pas tout le reste, comme les oxydes de soufre ou d'azote
Donc, pour la zone à basses émissions de Bruxelles, ce diesel HVO100 n'a aucun intérêt ? En réalité, si ! Voici pourquoi: en dehors du CO2 traditionnellement émis et qui est un gaz à effet de serre (à la base du réchauffement climatique), "les carburants de synthèse n'émettent pas d'oxyde de soufre, ni d'oxyde d'azote, ni rien du tout car c'est un carburant synthétisé: si c'est bien fait, on arrive à contrôler la nature des molécules obtenues. C'est quelque chose de (théoriquement) pur, il n'y a que des hydrocarbures et pas les impuretés qui pourraient générer autre chose que du CO2". Donc l'air ambiant respiré par les Bruxellois seraient moins mauvais pour la santé qu'avec du diesel traditionnel.
Conclusion: rien n'est simple…
En résumé, effectivement, tout le monde se trompe. Contrairement à ce que pense Odile, ce HVO100 n'est pas une solution à long terme car il émet à la combustion autant de CO2 coupable du réchauffement climatique (et c'est un enjeu crucial pour les prochaines décennies). Mais ce n'est pas du biodiesel: c'est un carburant de synthèse qui est plus pur que les autres. A la limite, donc, Bruxelles Environnement pourrait envisager une dérogation si son but est d'assainir l'air respiré….
On se rend surtout compte, grâce aux explications de notre experte de Gembloux, que c'est très compliqué pour le grand public de s'y retrouver, et pour le législateur de pondre des règles totalement cohérentes (car, et c'est un autre sujet épineux, promouvoir la voiture électrique dont il faut charger la batterie, c'est promouvoir la voiture qui roule indirectement au nucléaire ou au gaz, voire au charbon en Allemagne !).
On ne pourra pas tous passer à l'électrique
Aurore Richel conclut néanmoins sur une note très optimiste pour l'avenir. "Si des universités comme la mienne sont encore en train d'étudier les biocarburants, c'est parce qu'ils ont un intérêt majeur: on peut en faire des carburants neutres en carbone. Oui, ils vont émettre du CO2 dans leur phase d'usage, mais on peut se dire qu'à terme, ce n'est pas si grave si on trouve les technologies qui captent et réutilisent ce CO2 pour refaire des nouveaux carburants. C'est la théorie du kérosène vert". Où en est-on dans la recherche ? "Avec des faibles niveaux de maturité technologique, on est au stade de la démonstration. Ce n'est pas encore commercialisé, mais ce sont des technologies sur lesquelles planchent toutes les grandes compagnies aériennes et pétrolières". Selon la professeure, on pourrait y arriver "dans une dizaine d'années". Et son intérêt serait grand: "il ne faudrait pas changer tous les moteurs, ni les systèmes de distribution actuels de carburant". Et de toute façon, selon Aurore Richel, "on ne pourra pas tous passer à l'électrique, il y aurait trop de pression sur l'alimentation en électricité (qui pose déjà parfois problème aujourd'hui…)", tandis que les véhicules roulant à l'hydrogène se heurtent au problème "de produire de manière responsable et respectueuse de l'environnement de l'hydrogène en grosse quantité, et on n'y est pas encore".
COMPLEMENT D'INFO - La LEZ de Bruxelles: quel calendrier, quels effets ?
La fin des moteurs thermiques à l'intérieur du périmètre de la capitale belge sera progressive. Dans ces calendriers liés à la voiture, on se rend compte que tous les deux ou trois ans, une catégorie de moteur est bannie de la zone (pour les autres véhicules, voir le site) :
Et ça porte ses fruits, conclut Bruxelles Environnement: "Selon le dernier monitoring (2019), le nombre de véhicules polluants circulant en Région bruxelloise a baissé de 70% en 2019, de 88% depuis 2018. Les émissions de polluants nocifs pour la santé ont diminué, dans certains cas drastiquement (calculées sur base du nombre de véhicules qui circulent). On a comptabilisé, entre juin 2018 et décembre 2019:
- Une chute des émissions de Black Carbon (BC) de 77% pour les voitures et de 73% pour les camionnettes
- Une baisse des oxydes d’azote (NOx) de 11% pour les voitures et de 3,5% pour les camionnettes
- Une diminution des particules fines (PM2.5 ) de 11,5 % pour les voitures et de 21 % pour les camionnettes.
Une réduction des concentrations des polluants directement lié au trafic routier (calculées grâce aux stations) est également constatée :
- Les concentrations annuelles de NO2 ont diminué de 10% en moyenne sur toutes les stations de mesure de la Région. Pour la 1ère fois, la Région respecte les normes européennes en la matière dans les stations rapportées au niveau de l’Union Européenne.
- Les concentrations de Black Carbon et de Particules fines affichent aussi une tendance à la baisse sur l’ensemble des stations".
Vos commentaires